Arrivé en 2008 alors qu'Opportunity et Spirit roulaient allègrement à des milliers de kilomètres de là, l'atterrisseur Phoenix, lui, visait le nord de Mars. Mission légère, mais risquée, elle a pourtant réussi des analyses chimiques détaillées du sol de la planète rouge, et étudié son climat pendant cinq mois.
Il a fallu faire rentrer tout ça dans une toute petite enveloppe.
Cherche plateforme pas cher
Au début des années 2000, la NASA fait face à un problème qui ne s'applique qu'à elle. Elle a réussi à faire atterrir sur Mars deux petits rovers (Spirit et Opportunity), mais cherche désormais des moyens pour envoyer sur la planète rouge des instruments plus ambitieux… et surtout, pour moins cher. En effet, il y a déjà le projet de Mars Science Laboratory (MSL, Curiosity) qui prend de l'envergure et va absorber plusieurs milliards de dollars. L'agence américaine souhaite explorer et découvrir le sol martien sur les grandes plaines, à de très hautes latitudes près de sa calotte glaciaire. Heureusement, elle peut se reposer sur deux anciens projets : le Mars Polar Lander, qui s'est crashé sur Mars le jour de son arrivée, le 3 septembre 1999 et le concept Mars Surveyor 2001 Lander, annulé dans un contexte budgétaire difficile au tournant de la décennie. Finalement, c'est le projet de l'Université de l'Arizona, Phoenix, qui est choisi. Cette dernière est responsable en partenariat avec la NASA, et reçoit une enveloppe de 320 millions de dollars.
Il faut être efficace
Or ce qui peut paraître beaucoup représente en réalité un budget très restreint, en particulier pour développer et envoyer des instruments scientifiques nouveaux. Ainsi, l'équipe de décideurs fige assez vite l'idée d'un atterrisseur fixe, et non pas d'un rover. Pourquoi ? Parce que la mobilité, c'est de la masse de perdue, alors qu'il est déjà envisagé de poser Phoenix dans un paysage absolument plat. Surtout, il faut économiser un maximum de poids pour pouvoir se poser avec une plateforme qui pèse pratiquement le double des rovers Oppy et Spirit, qui nécessite plus d'énergie pour faire fonctionner ses instruments et qui sera dans une région plus hostile, en particulier à cause des températures. Plus question d'utiliser les « grappes de raisin », ces énormes ensembles d'airbags, pour se poser. Il faudra, cette fois, une descente contrôlée avec une séquence entre bouclier thermique, parachute et propulseurs. La marge d'erreur est limitée.
Petit labo scientifique
En contrepartie, Phoenix embarque un « package » scientifique performant. Un bras robotisé de 2,3 m de long se terminant par un godet pour creuser, un mât avec caméras ainsi qu'une station météorologique avec également un laser LIDAR, un analyseur de gaz (les échantillons sont brûlés dans un four puis les gaz sont analysés par spectroscopie) et un analyseur chimique avec microscope, et enfin de quoi diluer des échantillons et les examiner. Trois grosses suites instrumentales qui viennent en plus de l'imagerie. Une caméra nommée MARDI (Mars Descent Imager) est en plus censée observer le dessous de l'atterrisseur, de l'éjection du bouclier jusqu'au moment de toucher la surface, le jour de l'arrivée sur Mars. Malheureusement, les équipes ont découvert peu avant le départ que ces données pourraient corrompre l'enregistrement et la lecture des valeurs de la centrale inertielle… MARDI a donc été désactivée, faute de temps pour s'occuper du problème avant son voyage vers Mars.
Posé, une fois pour toutes
Phoenix décolle le 4 août 2007 à bord d'une fusée Delta II depuis la Floride, pour un trajet de neuf mois vers la planète rouge. Un voyage sans incident, qui s'est terminé le 25 mai 2008 pour son atterrissage près du pôle Nord, dans une région appelée « Green Valley », avec des concentrations de glace d'eau record hors des calottes glaciaires mesurées par les orbiteurs de la NASA et de l'ESA. L'approche et l'atterrissage sont suivis de près par ces véhicules depuis l'orbite, et au bout du suspense (le parachute s'est par exemple déployé avec 7 secondes de retard) les équipes peuvent exulter : les Américains ont à nouveau réussi à poser un véhicule correctement sur Mars ! 15 minutes plus tard, lorsque la poussière est retombée, Phoenix commence à étendre ses deux grands panneaux solaires en forme de disques, puis démarre ses opérations scientifiques. Le 28 mai, avec un jour de retard, le bras robotisé est déployé avec succès. C'est important : en fonction des conditions sur place, les équipes n'ont alors planifié que 90 jours de survie pour la mission.
Une belle moisson scientifique
Heureusement, grâce aux résultats et à l'activation des différents instruments, les scientifiques savent qu'elle pourra probablement survivre un peu plus longtemps. Le mois de juin est dédié aux premières expériences, mais aussi à l'étalonnage des instruments. Le plus capricieux est sans doute l'analyseur de gaz TEGA (Thermal and Evolved Gas Analyser), pour lequel il a été difficile d'amener les échantillons du godet récupérateur jusqu'à l'ouverture… Et comme il a fallu plusieurs jours, les résultats ont semblé biaisés à cause de la potentielle évaporation ou sublimation des matériaux comme la glace d'eau. Car de la glace, il y en a ! Dès les premiers « coups de pelle », les équipes de la NASA observent sur les clichés la sublimation de glace d'eau autour du site, que l'on peut désormais qualifier de permafrost. Ce grand désert couvert de sable et de poussière est en fait plutôt une gigantesque étendue boueuse, gelée depuis des milliards d'années. Les températures sur place évoluent entre -20 et -98 °C…
Les résultats exploitables ne se font pas attendre. La mission livre des images détaillées du site le plus au nord jamais visité sur Mars, des informations sur la météorologie martienne (y compris l'observation de nuages d'eau et de neige), sur le sol et sa composition. Phoenix permet notamment d'isoler des perchlorates, ce qui abaissa amplement les possibilités de trouver des organismes bactériens à la surface de la planète rouge. Les sels de perchlorates ont depuis été retrouvés par Curiosity, y compris dans ses forages du sol du cratère Gale. Ce qui n'empêche pas de trouver des traces ou des briques de vie passée, mais complique sérieusement leur apparition aujourd'hui. À l'inverse, c'est une bonne nouvelle : il y a peu de risques que des bactéries terrestres puissent véritablement contaminer l'environnement martien.
On étend, on étend, et puis…
L'atterrisseur Phoenix réussit à dépasser sa durée de vie prévue, et fonctionne encore au mois de septembre 2008. Toutefois, sa position très au nord est sensible aux variations saisonnières, et il reçoit de moins en moins de soleil, en particulier pour alimenter ses instruments les plus gourmands, analyseurs de gaz et de sol. Le 28 octobre, même si elles s'y attendaient, les équipes déplorent une première coupure dans les communications : Phoenix s'est placée en mode de sauvegarde avant de recevoir à nouveau assez d'énergie pour reprendre contact avec la Terre. Un ballet qui ne va pas durer, et le 2 novembre, l'atterrisseur envoie une dernière fois ses données. La NASA tentera de le contacter jusqu'au 10, après quoi la mission est déclarée terminée. L'agence, par acquit de conscience, tentera également de reprendre contact lorsque les conditions d'ensoleillement reviendront au beau fixe sur ce site en 2010, mais grande surprise, Phoenix ne renaîtra pas à nouveau de ses cendres.
Mal connue malgré ses résultats scientifiques solides, la mission est aujourd'hui éclipsée par d'autres laboratoires (à roues cette fois-ci) comme les fameux Curiosity et Perseverance. Toutefois, Phoenix a montré de belles performances, lavé l'affront de la mission ratée Polar Lander, et validé une plateforme qui servira dix ans plus tard pour une mission similaire malgré d'autres instruments : InSight (ironiquement cette dernière a coûté beaucoup, beaucoup plus cher). Et s'il n'est pour l'instant pas prévu d'en réutiliser une similaire, car les concepts de mission martienne évoluent, Phoenix reste un « livreur d'expériences scientifiques » qui a fait ses preuves sur Mars. Peu peuvent en dire autant.