Le prochain bond de géant... Non. © Mars One
Le prochain bond de géant... Non. © Mars One

En 2012, un entrepreneur néerlandais promet gros, très gros ! Son entreprise, Mars One, doit envoyer les premiers humains vers Mars à l'horizon 2024, et les sélections démarrent. De la technique absente au débat philosophique (il n'y a pas de promesse de retour), l'aventure a fait du bruit. Avant de couler.

Les conséquences sont encore visibles aujourd'hui.

Un aller sans retour : génie ou folie ?

Le Hollandais Bas Lansdorp savait-il qu'il créerait un véritable raz-de-marée médiatique ? Assurément. Fin mai 2012, ce jeune entrepreneur est sous tous les projecteurs lorsqu'il rend public son projet, Mars One. Il s'agit de rien de moins que la promesse d'envoyer les premiers humains sur Mars, le tout en finançant l'aventure sous la forme de la plus grande et de la plus ambitieuse téléréalité possible, capable (avec les droits de diffusion) de lever environ 4,7 milliards d'euros.

De quoi préparer le budget pour les premiers pionniers qui, tels des aventuriers chargés d'un idéal le plus pur possible, partiraient pour un voyage vers la planète rouge, sans retour possible. Immédiatement, les opinions se polarisent : du génie pour les uns, une arnaque à grande échelle pour d'autres. Mais, en 2012, le secteur du NewSpace donne l'impression qu'il peut tout faire face à une NASA qui ne peut plus envoyer ses astronautes dans l'espace que depuis la Russie.

Optimiste... non ? © Mars One
Optimiste... non ? © Mars One

Un plan expliqué calmement vaut-il des milliards ?

Dès le mois de mai 2012, pour expliquer que son initiative est crédible, Bas Lansdorp se lance dans des séances de questions-réponses sur Reddit, fait des apparitions médiatiques, met en avant le comité scientifique de son association, qu'il décrit d'ailleurs comme n'étant pas destinée à faire des profits. Mieux encore, il présente l'agenda de son projet qui, pour le grand public, ne paraît alors pas complètement impensable. Le premier objectif, puisqu'il faut suivre un ensemble d'astronautes, est de les sélectionner. Il démarre donc un processus qui n'est pas vraiment celui suivi par les agences spatiales lors de leurs propres sélections, car un critère d'importance est celui de l'exposition médiatique.

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05 décembre 2014 à 17h00

Décryptage

D'autre part, Mars One explique viser une première mission martienne robotisée à l'horizon 2018, puis l'envoi de matériel en 2021 avant les premiers des 40 astronautes dès 2023. Le projet prévoit à chaque « fenêtre » de tir vers la planète rouge le départ de quelques pionniers pour un trajet de 7 mois avant leur atterrissage. Les débuts de l'aventure sont très suivis, non seulement à cause du processus de sélection (près de 200 000 premiers dossiers sont envoyés), mais aussi parce que Mars One contacte Lockheed Martin, habituée à travailler sur des projets spatiaux, pour sa première mission.

Pédagogue et passionné, Bas Lansdorp n'aura jamais entièrement convaincu... En tout cas, pas les investisseurs © Time / Mars One

Côté budget, des débuts peu reluisants

Le problème majeur de vouloir financer des missions martiennes habitées avec des droits et des diffusions télévisuelles, c'est que le spatial est un domaine où les investissements sont majoritairement réalisés en amont. Il s'agit donc pour Mars One de prouver sa capacité à emprunter avec suffisamment de sérieux pour que les investisseurs soient convaincus qu'ils ne mettent pas de l'argent dans une arnaque, et ce, même si la volonté manifeste de Bas Lansdorp n'est pas d'embobiner qui que ce soit. Malheureusement, une chambre d'écho médiatique n'est pas suffisante.

Une première campagne de financement participatif échoue à lever 500 000 euros (un peu plus de 300 000 sont collectés), ce qui est insuffisant pour quoi que ce soit. En parallèle, Mars One a bel et bien commandé une étude à Lockheed Martin, qui a produit trois plateformes à destination de Mars pour la NASA (Mars Polar Lander, Phoenix et InSight), pour pouvoir éventuellement en produire une nouvelle pour 2018. Sans attendre les résultats, Mars One offre d'ailleurs la possibilité d'acheter de l'espace et de la masse sur cette mission. Mais une fois de plus, les investisseurs ne s'y trompent pas, et fin 2014, l'entité a levé moins de 500 000 euros supplémentaires. En guise d'ordre de grandeur, une mission martienne « simple », c'est-à-dire sans instruments scientifiques majeurs, coûterait environ 250 millions d'euros (plancher), sans compter le lancement.

Vue d'artiste de la descente de la mission InSight en 2018 © NASA

L'idée des « droits TV » était-elle cependant si déplacée ? Les droits de la Premier League anglaise entre 2016 et 2019 se sont distribués à 7 milliards de dollars. On peut argumenter à raison sur le fait qu'un montant similaire n'aurait pas pu financer l'entièreté des missions de Mars One, mais cela leur aurait définitivement ouvert les portes.

Les années passent, et les doutes grandissent

Début 2015, Mars One tente de relancer l'intérêt public et sélectionne ses 100 « derniers » astronautes parmi les candidats, 50 hommes et 50 femmes. On y retrouve d'ailleurs un Français, et contrairement aux acerbes commentaires de l'époque, il ne s'agit pas (et de loin) d'un illuminé souhaitant mourir sur Mars. En effet, il est médecin, employé au CNES, père de famille… Mais qu'importe la finalité de Mars One, les heureux élus n'iront pas plus loin que des interviews télévisées.

En effet, en 2015, Bas Lansdorp le sait déjà, il n'y a pas d'argent dans les caisses pour concrétiser quoi que ce soit. Personne ne s'est manifesté pour envoyer un chèque à 9 chiffres chez Lockheed Martin (il n'y a donc ni mission en 2018 ni en 2021). Il n'y a pas d'autre capsule que celle présente sur certains visuels Photoshop de l'entreprise, pas plus de véhicule de transfert vers Mars, ni de quoi emmener du cargo ou des humains sur place, pas d'habitat, bref, rien. Et pourtant, Mars One s'accroche, malgré les doutes (publiquement, de nombreuses personnalités ont déjà émis, au moins, de grosses réserves, comme Buzz Aldrin), et annonce désormais un premier départ habité pour 2027.

C'est vrai que ces capsules ressemblent beaucoup à Dragon (cargo, V1) de SpaceX. Malgré tout... © Mars One

La fin, enfin, de l'utopie technique

Il faudra attendre janvier 2019 pour que l'aventure Mars One s'arrête, avec la liquidation officielle de l'entité au tribunal de commerce. Toutefois, c'était connu, les caisses étaient vides, et la surenchère n'a pas fonctionné. Au fil des années, Mars One est devenue une entité de moins en moins claire sur ses objectifs, ses moyens et ses intentions. Par exemple, les visuels étant très proches des véhicules de SpaceX (en particulier les capsules sur Mars, sorte de copies de Dragon), et Elon Musk s'étant lui-même prononcé en faveur d'une colonisation martienne en public, notamment après septembre 2016, les deux entités ont parfois été rapprochées. Pourtant, l'association des deux n'a jamais été concrète.

Plus vaseux encore, il semble que Mars One ait contacté ses astronautes sélectionnés pour les encourager à investir (ou à lever des fonds) pour leur propre aventure. Même s'il ne s'agissait pas d'acheter son propre ticket, il est tout de même un peu triste de constater que le seul geste concret qu'ils ont pu accomplir en tant qu'astronautes de Mars One fut de rallonger la durée de vie d'une initiative qui a toujours été sous perfusion.

En dehors des moyens financiers, il faut souligner que le manque de ressources techniques et technologiques aurait rapidement été bloquant. Oui, il est possible d'envoyer quelques centaines de kilogrammes sur Mars (et encore, seule la NASA y excelle, pour des missions très chères), mais tout le reste est pour l'instant absent de l'inventaire. Les questions d'utilisation des ressources sur place, de ravitaillement, de la base, des conditions post-atterrissage sont restées très en retrait par rapport à la sempiternelle question : pourquoi aller mourir sur Mars ? En 2017, le MIT a produit un rapport sur l'utopie de Mars One et tirait à boulets rouges sur le projet.

On va rappeler que depuis, d'autres ont "vendu" des cités sur Mars. Mais eux, ils ont des milliards © SpaceX

Un débat plus profond qu'il n'y paraît

Mars One aura néanmoins eu le mérite de soulever un débat délicat, celui de notre rapport à la mort dans le cadre de l'exploration et de l'expansion habitée à travers le Système solaire. Trop tôt ? Peut-être. Le grand public réagit très mal aux drames, et tout particulièrement à ceux concernant l'exploration spatiale. Dans un sens, c'est une très bonne chose, et cela a mené à des choix drastiques, comme l'abandon des navettes et la mise en place de systèmes de sécurité particulièrement performants et redondants. Mais les astronautes professionnels, à l'image des guides de haute montagne, savent très bien les risques auxquels ils s'exposent, en particulier dus à l'environnement dans lequel ils travaillent.

Le dernier équipage décédé lors d'une mission orbitale. Inévitablement, un jour, il y en aura d'autres © NASA

En croyant libérer d'entrée l'épineuse question de la mort des équipages, Mars One a généré à l'envi des questionnements sur notre rapport à l'exploration. Pourquoi aller mourir sur Mars ? S'agissait-il de missions suicides ? L'idéal d'un futur habité doit-il nécessairement reposer sur les cadavres de ses pionniers ? Et qu'en est-il d'une mort accidentelle, télévisée à grande échelle dans les premières heures d'une mission ?

Rappelons que le drame de Challenger a traumatisé une génération entière ! Avec la fin de l'aventure Mars One, le débat reste ouvert. Elle sera peut-être au cœur d'une aventure lunaire avant d'être martienne, ou se reposera si le Starship fait un jour ses allers-retours entre la Terre et Mars. Reste qu'une partie des réticences à se tourner vers la planète rouge aujourd'hui vient de ces visuels et de l'idée d'un voyage sans retour.