Initialement conçue comme un simple client de messagerie instantanée doté d'un module d'appels voix (sur IP) gratuit, l'application Line ne cesse de s'étoffer de nouvelles fonctions au fur et à mesure qu'elle poursuit sa croissance vertigineuse. Lancée à l'été 2011 au Japon sur les décombres de Fukushima où elle palliait les carences des réseaux de téléphonie traditionnelle, elle compterait aujourd'hui plus de 230 millions d'utilisateurs dans le monde. Une croissance ahurissante, plus rapide que celle de tout autre réseau social, que son éditeur entend bien ne pas voir s'arrêter de sitôt. Dans sa ligne de mire, on trouve désormais l'Europe : l'Espagne tout d'abord, où Line aurait séduit 15 millions d'utilisateurs en moins de neuf mois, puis la France, où l'application sera officiellement lancée d'ici la fin de l'année.
Line : la synthèse des réseaux sociaux ?
Les représentants de Line se régalent à raconter la genèse du phénomène : l'application aurait été très rapidement conçue par des ingénieurs japonais après les terribles accidents de Fukushima, quand une partie de l'archipel nippon était privé des télécommunications classiques, pour permettre aux populations touchées de communiquer avec leurs proches. Portée en quelques semaines sur iOS et Android, l'application a très rapidement été enrichie de ce que Line appelle les stickers, des petites vignettes illustrant une émotion ou un sentiment. Au royaume du kawaii, Line comprend qu'il y a sans doute une demande pour des représentations plus évoluées que les traditionnels smileys et emoji et multiplie le nombre de ses stickers. Sur Line, il existe ainsi des dizaines, voire des centaines de façons d'illustrer la colère ou la joie.
La société y verra par ailleurs rapidement l'un des premiers piliers de son modèle économique : les stickers sont gratuits, à l'exception de ceux qui font appel à des personnages sous licence commerciale (Hello Kitty ou Mickey par exemple). Très vite, Line se dote également d'un module de voix sur IP, totalement gratuit pour l'utilisateur et d'autant plus agréable à utiliser que l'application n'affiche aucune publicité. Comme tout bon client de messagerie instantanée, Line se destine au cercle privé : les conversations y sont donc limitées aux contacts approuvés, avec la possibilité de gérer des échanges en groupe. En Asie du sud-est, le succès est immédiat et Line s'impose rapidement comment la messagerie préférée des jeunes, permettant à l'éditeur de revendiquer des taux de pénétration exceptionnels : 47 millions d'utilisateurs au Japon, 18 millions à Taïwan ou 17 millions en Thaïlande.
Un Whatsapp socialisé ?
Pour Line, qui acquiert le statut d'opérateur de télécommunications au Japon, il s'agit maintenant de capitaliser sur cette croissance fulgurante. Pour ce faire, l'éditeur travaille sur deux fronts parallèle. Le premier, c'est celui de son application phare, qu'il étoffe d'une page d'accueil en forme de timeline, histoire que la messagerie instantanée devienne un vrai réseau social sur lequel on pourra suivre l'actualité de ses amis. Le second passe par la mise au point d'applications satellite : Line Camera par exemple, propose de redécorer les photos prises avec son smartphone de dessins et de filtres similaires à ceux des fameux photomatons nippons. L'éditeur élabore également toute une série de jeux similaires à ceux qui connaissent tant de succès sur Facebook ou sur les grands portails Web historiques. Puzzle, simulation à la Farmville, gardien de zoo, Line décline sans complexe tous les concepts populaires, avec à chaque fois la promesse d'applications gratuites, dépourvues de publicités, mais nourries aux suppléments payants (les fameux achats in-app) qui constituent rapidement le deuxième pilier de son modèle économique.
Restait une troisième voie à explorer, incontournable à l'heure où toutes les marques planchent sur la façon d'investir à des fins marketing Facebook, Twitter et consorts : celui d'une offre dédiée aux entreprises, qui passera par la timeline. L'éditeur propose en effet à des marques ou à des personnalités de créer leur page Line, que les utilisateurs pourront choisir de suivre. Ils recevront alors une alerte lorsque l'un nouveau contenu est posté sur cette dernière. La marque concernée pourra de son côté payer pour être plus visible au sein de l'application, et donc gagner des followers. En parallèle, Line propose également aux marques la création de stickers personnalisés, à leur couleur, distribués gratuitement aux internautes. L'exemple favori de Kunny Sim, chargée du développement de Line en Europe, est celui d'une célèbre boisson gazeuse : aujourd'hui, beaucoup d'utilisateurs de Line expriment leur joie grâce à un sticker qui montre un personnage en train de boire un Coca, illustre-t-elle, ravie de suggérer que pour la marque en question, le bénéfice en termes de notoriété est énorme.
C'est par l'intermédiaire des dispositifs proposés aux marques que Line se propose de conquérir l'Europe. La société, de passage à Paris lundi pour préparer son arrivée en France, évoque ici sans complexe son lancement en Espagne. Forte de ses importantes réserves de cash (Line a réalisé 75 millions de dollars de chiffre d'affaires sur le deuxième trimestre de l'année), elle attaque en effet les nouveaux marchés à l'aide d'un impressionnant dispositif de communication.
Un rouleau compresseur marketing
En Europe, Line commence par fédérer des marques puissantes et chères au public ciblé, auxquelles elle propose la création d'une page officielle, ainsi que de stickers personnalisés. Elle incite ces marques à utiliser Line pour leur communication et pilote ces dernières pour qu'elles réservent à son application des contenus et informations exclusifs, à même de générer de l'engagement chez les utilisateurs. Sur le marché espagnol, Line s'est ainsi adjoint les service de Coca Cola, mais aussi de deux grands clubs de football rivaux : le Real Madrid d'un côté et le FC Barcelona de l'autre. Tous deux proposent des stickers à l'effigie de leurs joueurs et font circuler via Line des contenus qui ne sont pas diffusés sur leurs autres canaux de communication. L'éditeur a également convaincu le joueur de tennis Rafael Nadal. Tous trois comptent aujourd'hui plus de 500 000 followers sur Line qui, de son côté, a puisé dans ses fonds pour accompagner son lancement d'une importante campagne de pub en TV. Un réseau social gratuit capable de s'offrir des spots sur les principales chaines nationales pour accompagner son lancement, voilà qui relève sans doute du jamais vu.
À en croire Line, la mécanique fonctionne au delà de toute attente, puisque ses applications mobiles compteraient maintenant plus de 15 millions d'utilisateurs en Espagne. On ne parviendra cependant pas à apprendre quels sont les chiffres d'usage réels (nombre d'utilisateurs quotidiens par exemple), en dépit de nos questions répétées. Après tout, il se peut que le spectaculaire engouement suscité en phase de lancement s'épuise assez vite, les internautes revenant vers leurs réseaux habituels une fois l'effet de nouveauté passé ? « Notre travail avec les marques et la qualité de nos applications font que les utilisateurs restent sur Line », répond le responsable local, lui aussi venu à Paris.
En France, Line reproduira un dispositif similaire, mais refuse à ce stade de communiquer le nom de ses partenaires : on imagine que les grands clubs de foot, les chaînes adeptes du TV crochet et quelques célébrités ont déjà été démarchés. Le lancement officiel interviendra quoi qu'il en soit avant la fin de l'année. L'application principale et ses multiples déclinaisons sont bien entendu d'ores et déjà disponibles au téléchargement. D'ici là, Line se sera sans doute ouvert aux appels vidéo, la prochaine grande fonctionnalité annoncée.