Alors que la fusée Soyouz qui contenait un nouveau lot de satellites était juste arrivée sur son site de lancement à Baïkonour, les tensions sont montées d'un cran hier sur fond de sanctions et tensions. Menaces du directeur de Roscosmos, demandes impossibles à tenir, l'opérateur a tranché aujourd'hui et se retire du site.
Que va-t-il se passer pour ces 36 satellites en particulier ?
Chantage au lancement
Sanctions d'un côté, contre-sanctions de l'autre. Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, le secteur spatial est le témoin d'échanges houleux et de propos tranchants, dans un domaine habituellement policé, où la coopération est la norme. Au matin du 2 mars, les équipes russes de Baïkonour ouvraient le hangar du MIK pour laisser sortir Soyouz, sur son attelage tracté sur rail, pour l'emmener sur son site de lancement 31/6. Et ce n'est qu'une fois le lanceur à la verticale que le directeur de Roscosmos (D. Rogozine) a pris la parole, menaçant sur Twitter d'annuler la campagne de lancement si OneWeb refusait de se plier à de nouvelles conditions.
Les demandes étaient dignes de cette prise d'otages de satellites : garantie de la part de OneWeb qu'aucun satellite de la constellation ne serait utilisé à des fins de défense et vente de la part du capital de l'entreprise détenue par le Royaume-Uni (environ 40 %), que la Russie considère comme « hostile ». Deux conditions que l'opérateur ne pouvait pas tenir… D'une part parce qu'en tant que fournisseur de connectivité internet, il ne peut garantir que ses clients ne s'en serviront pas à des fins de défense, et de l'autre parce que le Secrétaire anglais aux entreprises a déclaré dans l'après-midi : « Il n'y a pas de négociation pour OneWeb, nous ne vendrons pas nos parts ».
Un climat calme et respectueux (non)
Parce que le débat n'était pas encore assez apaisé, D. Rogozine a publié dans l'après-midi une vidéo des équipes de Baïkonour recouvrant les drapeaux présents sur la coiffe. Ce qui est avant tout symbolique, mais frappera sans doute les employés de part et d'autre qui ont œuvré à cette campagne de lancement : ils font en général la fierté des partenaires internationaux qui font partie de l'aventure. OneWeb, par exemple, est une compagnie en partie anglaise, en partie indienne, mais aussi française…
Les satellites sont fabriqués aux États-Unis avec une entreprise conjointe, dont Airbus est le partenaire majoritaire, et les composants viennent du monde entier (y compris, pour les propulseurs en orbite, de Russie). Une internationalité intéressante pour une constellation de satellites mondiale, mais qui dans le cas actuel pourrait poser problème.
À ce point-là, autant l'envoyer en orbite… non ?
D'abord, que va-t-il se passer ce 5 mars ? Le décollage prévu ne semble plus à l'ordre du jour, et OneWeb a publié un communiqué laconique ce matin expliquant que l'entreprise suspendait tous ses tirs depuis Baïkonour. La partie russe cèdera-t-elle du lest au dernier moment ? Les satellites passeront-ils par pertes et profits ?
La réponse est complexe. L'opérateur ne voudra sans doute pas les laisser sur place (et à la merci d'une « étude poussée »), mais les récupérer sera coûteux, d'autant que leur chargement de carburant est déjà en place et que tout est prêt pour le décollage. Sans oublier les restrictions d'accès de et vers la Russie (Baïkonour est au Kazakhstan, mais la zone est une enclave russe).
Sur ce point, on peut imaginer l'agitation en réunion depuis hier entre OneWeb, Arianespace qui s'occupe de la commercialisation du vol, les assureurs et Roscosmos. En espérant que quelqu'un décroche : hier, un responsable de l'entreprise disait avoir découvert les conditions sur Twitter.
Une année qui s'annonce compliquée pour OneWeb
Les cinq autres vols prévus pour déployer les 220 satellites restants de la constellation orbitale sont évidemment en question. Ont-ils déjà été payés ? Quelles sont les conditions des contrats ? Et surtout, quelles solutions sont envisageables pour emmener les satellites en orbite ? Contrairement à une idée répandue, il n'y a pas tant d'alternatives à Soyouz dans le paysage mondial des lanceurs actuellement. Les fusées chinoises sont hors compétition (ce sont les fameuses restrictions ITAR américaines), les fusées européennes sont déjà sous une tension énorme à cause de l'invasion de l'Ukraine et de la transition vers Ariane 6, SpaceX est concurrent (sous une certaine forme) de OneWeb…
Reste l'Inde, dont les cadences sont encore minimales suite à l'impact de la crise sanitaire ? N'oublions pas que le matériel spatial, s'il a parfois l'air versatile, n'est pas une malle que l'on peut déposer à sa guise sous n'importe quelle coiffe et à n'importe quelle condition. Il faudra trouver une solution compatible avec les satellites OneWeb pour passer la crise. Et politiquement pérenne.
Source : Spacenews