Guillaume Monteux, bonjour. D'où vous est venue l'idée du projet Milibris ?
En 2008, je considérais que la lecture numérique était trop mal outillée pour devenir un marché de masse, alors qu'on sentait bien les prémices d'une révolution des contenus liés à l'écrit. L'idée était donc de m'entourer d'une équipe d'ingénieurs pour réfléchir à la façon de procurer une lecture plus agréable sur PC, puis par extension sur d'autres écrans, qu'une simple consommation d'information.
Par la suite, on s'est rendu compte, en analysant la chaîne de valeur presse / édition, que c'est la place d'intermédiaire qui allait répondre au plus grand besoin. Notre équipe a donc développé Milibris, après s'être assurée que les plateformes existantes dans le domaine de la vidéo ou de la musique ne pouvaient pas opérer de l'écrit. Elles n'étaient justement pas en mesure de le faire, parce que le niveau de granularité est différent. Dans l'écrit, on ne peut pas prélever aléatoirement les trente premières lignes d'un texte pour en faire un extrait, il faut des outils, d'analyse sémantique par exemple, qui transportent l'oeuvre et lui apportent de la valeur, d'où la notion de publication.
Milibris sert donc à transformer un document écrit brut en livre électronique ?
Milibris va ingérer du contenu, que ce soit du PDF, de l'ePub, du HTML, du XML ou du contenu visuel. Sur l'écrit, elle va procéder à des opérations de transformation, de conversion ou de mise au format, puis procéder à une analyse sémantique, pour reconnaître les chapitres dans un roman ou les articles dans un journal. On adjoint ensuite les règles de monétisation et de sécurisation, puis on reconstitue le fichier pour qu'il soit lu sur le terminal du client, avec à chaque fois un format adapté. Le traitement est automatisé de bout en bout. Surtout, il est multi-sources, aussi bien presse qu'éditeurs, multi-formats, multi-terminal et multi-vendeurs, puisque nous ne vendons pas directement.
Côté sécurisation, comment procédez-vous pour la gestion des droits numériques (DRM) ?
Dans l'univers de l'édition, on utilise de facto le système de DRM d'Adobe, qui présente deux inconvénients. D'une part, il est cher, de l'ordre de quelques dizaines de centimes d'euro, et de l'autre l'expérience utilisateur est assez catastrophique, puisqu'il faut une authentification chez Adobe. Pour ce qui est du prix, ça n'est pas très grave pour un livre vendu 20 euros, mais sur un titre de presse à 0,79 euro, c'est plus gênant.
On a donc commencé très tôt à produire un DRM maison. Au sein de notre plateforme, l'éditeur a donc le choix entre l'outil d'Adobe et le nôtre, qui est à coût zéro et avec lequel l'expérience utilisateur est complètement transparente, puisque les droits sont gérés au niveau de la plateforme. Aujourd'hui, les éditeurs se laissent convaincre. Quand on a été retenu par Orange, l'accord prévoyait d'ailleurs qu'Orange utilise notre DRM sous son propre nom et collabore avec nous à la rendre plus robuste. C'est ce que l'on a fait, et cela reste un actif Milibris.
Pourquoi Orange s'est-il tourné vers Milibris pour Read and Go ?
On a simplement répondu à un appel d'offres en début 2009, avant d'être sélectionné en fin d'année. Orange a tout de suite compris l'intérêt de disposer d'une plateforme qui ne soit pas qu'un simple outil de distribution, mais aussi de publication. Aujourd'hui, on agrège le contenu le contenu que vendra Orange au sein de Milibris, ce qui y attire de nombreux éditeurs. Notre plateforme sert de socle et Orange propose son alternative aux modèles verticaux mono-terminal que peuvent proposer Amazon ou Apple.
Pourquoi les éditeurs ne devraient-ils pas aller travailler avec ces acteurs verticaux au cas par cas selon vous ?
L'important, c'est de ne pas avoir à se raccorder à cinquante plateformes différentes. Les éditeurs qui aujourd'hui syndiquent leurs contenus chez quinze acteurs, ou tiennent à ce que tous les distributeurs récupèrent les contenus directement chez eux, sont dans une vision à court terme. Une plateforme unique permet de remettre au carré les contenus, de compléter les métadonnées une bonne fois pour toute etc, tout en laissant à l'éditeur le contrôle de ses contenus à partir d'une porte d'entrée unique. Dans le numérique, il faut garantir un service simple et prédictible, ce qui n'est pas possible si on travaille avec trop d'acteurs différents.
La presse est-elle plus facile à convaincre ?
Aujourd'hui, la presse connait mieux les voies du numérique que l'édition, ne serait-ce que parce qu'elle cherche déjà depuis longtemps comment monétiser son information en ligne. C'est l'enjeu aujourd'hui et à ce niveau, nous leur permettons de reprendre la main sur la distribution, puisque nous ne vendons pas directement (pas de B2C), mais aussi de garder la main sur leur base client, avec un encaissement direct du chiffre d'affaires. Soit un modèle beaucoup plus simple que celui de la distribution en kiosque !
L'autre grand argument qui parle à la presse, c'est qu'on leur donne le sentiment qu'ils peuvent se projeter dans la lecture de demain. Aujourd'hui, un magazine ou un journal en version électronique ressemble surtout à un PDF enrichi, avec éventuellement un peu de multimédia. Demain, nous voudrions aller beaucoup plus loin, en permettant de désassembler l'information, puis de la ré-assembler à la guise de l'éditeur, en suivant par exemple un template élaboré par son directeur artistique. Notre vision se rapproche un peu de ce que font aux Etats-Unis des magazines comme Wired, en conservant tout de même des repères dans la lecture, qui restent importants, au même titre que la maquette.
Du côté des terminaux mobiles, prônez-vous le natif, comme une application iOS, ou l'interopérable, à base de PDF ou de HTML5 par exemple ?
Quand c'est possible, nous tendons logiquement à la factorisation, mais le natif a ses avantages. Le HTML5 par exemple est particulièrement portable, mais même cette logique à ces limites, puisque les moteurs de rendu peuvent différer d'une plateforme à l'autre. Nous pensons que les technologies de demain seront des mix intelligents entre une forme de factorisation, sans doute faite à partir du HTML5, et le natif, pour coller aux exigences de rapidité et d'ergonomie. La lecture en PDF, on se dit souvent que c'est décevant, mais il faut bien comprendre que cette déception est parfaitement normale si l'on doit attendre une seconde à chaque fois que l'on veut tourner une page.
De l'écrit numérique, payant et dûment valorisé, ce serait donc possible, en presse comme dans le livre ?
La clé, pour faire marcher le payant, c'est d'offrir du contenu de qualité, bien sûr, puis de distribuer l'information de façon intelligente, sur de beaux outils, en temps réel. Voyez un Amazon qui va chercher 500 millisecondes de chargement sur sa page de garde, et qui constate un véritable impact sur ses ventes : les années 2010 offrent une relation directe entre chiffre d'affaires et technologies. Dans ce contexte, être dans la moyenne ne suffit pas, il faut envoyer du bois ! Après, il existe de vrais enjeux autour de la complétude des catalogues.
Quels projets pour l'avenir, notamment sur le plan financier ?
Pour l'instant, Milibris fonctionne sans fonds d'investissement, et commence à réaliser un chiffre d'affaires qui n'est pas ridicule. En 2010, nous étions à l'équilibre. A l'avenir, certaines questions vont se poser, puisque les volumes de données à traiter vont grandir. Il nous faudra peut-être de l'argent pour aller chercher les titres qui nous manquent - aujourd'hui, je suis à peu près le seul commercial de la boite ! - ou pour aller à l'international. Sur la presse, on a déjà signé avec certains titres sous leur propre marque, mais aussi par l'intermédiaire du GIE Presse, sans oublier Read And Go. il sera donc logique de partir à l'international. Dans le livre, l'offre est très fragmentée, donc on a encore beaucoup à faire avec les éditeurs.