« Assurer à la France prospérité et emploi ». La mission confiée à la commission Innovation 2030, présidée par Anne Lauvergeon, n'est pas des plus aisées. L'ancienne dirigeante d'Areva a remis vendredi son rapport (publié par Le Monde) au Président de la République. Au menu : stockage d'énergie, recyclage, valorisation des richesses marines, protéines végétales et chimie du végétal, médecine individualisée, innovation au service de la longévité... Et big data.
En ce sens, la France doit donc mettre en oeuvre tous les efforts pour être à la pointe dans le domaine. Le rapport dresse une série d'orientations vers lesquelles se diriger pour y parvenir. Ce qui fait échos aux 34 plans de reconquête de la filière industrielle publiés par le gouvernement le 12 septembre dernier, intégrant également le big data et partageant les objectifs édictés par le présent rapport.
La France « dispose de nombreux atouts »
Le big data vise à sélectionner, analyser et exploiter des milliards de données dans des domaines aussi divers que variés. Tout cela pour être en mesure de prendre des décisions opportunes. Un phénomène qui découle du développement constant de l'Internet comme de l'avènement des smartphones et des tablettes. En 2015, le cabinet estime à 8 Zettaoctets le volume de données disponibles sur la Toile, soit 8 milliards de Téraoctets. La filière française pesait selon le rapport 4,8 milliards d'euros en 2010, et jouirait d'un taux de croissance annuel d'environ 7%. Et le marché est là, puisqu'il devrait peser d'ici à 2025 environ 5 000 milliards de dollars dans le monde.
Ses applications sont sans limite, touchant aussi bien le domaine de la mobilité, la santé, l'environnement, l'agriculture, le secteur de la banque/assurance, la culture, le tourisme, la publicité en ligne, le marketing, la recherche, l'éducation, les études économiques ou démographiques, ou encore la relation client...
Plusieurs éléments laissent penser aux membres de la commission Innovation 2030 que la France a son rôle à jouer dans cette perspective. Le rapport mentionne ainsi quelques pépites, nées en France, et parties pour certaines d'entre elles se frotter à la concurrence aux États-Unis, ce qui est notamment le cas du spécialiste de la publicité en ligne, Criteo. Il cite encore des services comme Withings, Parrot ou encore Sigfox. À qui il faut ajouter un vivier de start-up qui seraient prêtes à éclore, moyennant un petit coup de pouce de l'action publique. Sans oublier non plus un système éducatif capable « de former des ingénieurs ayant une très bonne maîtrise des mathématiques et des statistiques nécessaires aux algorithmes capables de traiter des informations hétérogènes et gigantesques ».
Les propositions du rapport
Le rapport dresse ainsi cinq propositions pour faire de la France un acteur majeur du big data. Il s'agit en premier lieu de renforcer les initiatives en matière d'Open Data, soit la mise à disposition des données publiques en vue de leur exploitation. La France a déjà lancé sur ce point le projet Etalab. Mais le rapport souhaite accélérer le mouvement selon le modèle britannique, pour permettre à des start-up « de créer des écosystèmes en France par la valorisation de certains usages à des fins commerciales ».
Le rapport préconise encore la valorisation des données par la création de cinq licences d'exploitation des données, selon qu'elles proviennent de Pôle emploi, de la Sécurité sociale, l'éducation nationale et l'enseignement supérieur ainsi que les aides à la valorisation du patrimoine touristique. Il s'agit ici de renforcer la collaboration entre pouvoirs publics et acteurs privés.
Troisième proposition : la consécration d'un droit à l'expérimentation, sous l'égide « d'un observatoire des données ». Il s'agit d'évaluer l'efficacité et le bien-fondé de certaines pratiques permettant l'exploitation des données, avant de réfléchir à un possible encadrement législatif.
D'après le rapport, un trop grand nombre d'acteurs potentiels du secteur font actuellement face à une barrière à l'entrée, pénalisés par la nécessaire maîtrise de technologies très complexes inhérentes à tout projet centré autour du big data. Pour lutter contre ce phénomène, Anne Lauvergeon propose l'instauration d'un centre de ressources technologiques, facilitant l'accès et la pénétration du marché par de jeunes pousses. Un véritable incubateur, basé sur le collaboratif.
Et puisque le marché Français ne peut à lui seul suffire au développement et à la croissance des start-up, le rapport liste deux mesures censées permettre de favoriser le passage à l'export. À savoir la mise à contribution de grands groupes, chargés de prendre sous leur aile des PME lors de leur « déploiement à l'international ». Tout en incitant les pouvoirs publics à intervenir davantage vis-à-vis de ce secteur.
Les limites de la filière big data en France
En dépit de ces éléments, reste que l'ère du big data pose immanquablement plusieurs difficultés, que le rapport s'évertue à relever. La première, en réalité, coule de source. Elle porte sur la nécessité « d'inventer des solutions innovantes » et des « modèles économiques autour de ces données ». Innover pour être innovant, en quelque sorte. Le rapport pose toutefois sur ce point la question de l'accès au financement pour la croissance des entreprises de la filière.
Vient aussi le débat sur la protection des données. Ou comment s'assurer du respect de la vie privée des internautes et de l'exploitation qui est faite de leurs données. Ici, la commission plaide pour une régulation, mais pas à n'importe quel prix. Elle insiste en effet sur la nécessité de ne pas interdire l'exploitation a priori de certaines technologies par la France, ce qui renvoie au concept de droit à l'expérimentation.
Une question reste cependant en suspens. Comment, à l'heure ou des géants américains tels que Google, Facebook, Yahoo et autres Amazon jouissent d'une masse de données inégalée, les acteurs français pourraient rivaliser ? On peut penser que l'initiative française reposera avant tout sur le développement de technologies permettant l'exploitation efficiente de données, au-delà de la seule collecte de masse. Reste à savoir si ce positionnement suffira à peser lourd dans une filière en pleine expansion.