HYPERLIEN | Interviewée par Le Monde suite à la parution de son ouvrage Behind the Screen (non traduit), la chercheuse américaine Sarah T. Roberts revient en détail sur les métiers, opaques, de la modération sur les grandes plateformes du Web.
« Sarah T. Roberts : « Les géants du Web ont choisi de rendre le processus de modération invisible » »
En quelques mots :
- Selon Sarah T. Roberts, l'inefficacité de la modération sur les réseaux sociaux découle directement de leur volonté initiale de ne jamais intervenir directement sur le contenu. Un argument qui pouvait être séduisant il y a dix années, mais qui ne correspond plus du tout ni à la réalité, ni aux usages récents des médias sociaux (le live comme tribune pour les tueries de Christchurch en Nouvelle-Zélande, par exemple).
- Plus loin, la chercheuse explique que l'une des conséquences de cet investissement tardif dans la modération est la déshumanisation totale de l'action modératrice. En d'autres termes : les plateformes n'accordent aucun crédit à ces petites mains, qu'elles prévoient en outre de remplacer dès que possible par des solutions automatisées « ne nous habituons pas trop à l'idée qu'il y a des humains, c'est juste temporaire », illustre l'autrice.
- Minés par le manque de reconnaissance à l'égard de leur profession, et par les scandales à répétition qui montrent que le système est faillible, les modérateurs des plateformes développent des troubles psychosociaux inquiétants. Exposés quotidiennement à des images choquantes, les modérateurs se retrouvent isolés dans leur mal-être. Un mal-être qui est, en plus, couvert d'une forte omerta dans ces milieux. « Le problème, c'est que si je me lève pour aller parler au psychologue, mon manager et mes collègues me voient tous me lever et comprennent que j'ai un problème. Je ne veux pas qu'ils le sachent », rapporte Sarah T. Roberts, citant un modérateur qu'elle a interrogé pour son enquête.