Régis Granarolo : nous sommes dans un secteur très cyclique c'est-à-dire qu'il évolue au gré du contexte économique. Depuis 2008, l'activité des services informatiques est régulièrement corrélée à l'évolution du PIB. Après il faut bien comprendre que nous ne sommes pas dans une situation de plein emploi. De même, on assiste à une amplification des phénomènes conjoncturels, les évolutions se font plus rapidement comparativement à l'ensemble du marché du travail par exemple, lors de la précédente crise (2008-2009), le chômage des informaticiens a augmenté 3 fois plus que la hausse du chômage en France.
L'objectif des politiques actuelles est de favoriser la croissance de l'Economie par le numérique. Cette stratégie est-elle forcément génératrice d'emplois ?
R.G : A mon sens, il y a un décalage entre la croissance et l'emploi. Par exemple le secteur du logiciel, malgré sa croissance, n'a quasiment pas créé d'emplois en 5 ans. Pour l'instant, la plupart des partis politiques font des consultations sur le sujet, ce qui est une bonne chose. Par contre, il faut bien prendre garde à la tentation d'aller plus vite que les usages. Par exemple en 2001, les services étaient en avance sur les usages ce qui a provoqué l'éclosion et l'éclatement de la « bulle Internet ».
Aujourd'hui il y a un travail d'évangélisation à l'égard des TPE et des PME à mener. Sans travail de fond, on s'orientera vers un nouveau crash de la « nouvelle Economie ».
Le ministre de l'Economie numérique, Eric Besson a avancé le chiffre de 450 000 créations d'emplois d'ici 2020 sur le secteur du numérique. Cette prévision est-elle réaliste ?
R.G : Le MUNCI se base sur des statistiques publiques (Insee, pôle emploi...) alors que l'étude publiée par McKinsey (et mise en avant par le gouvernement, ndr) nous montre des chiffres qui me semblent fantaisistes. Cette dernière prévoyait la création de 700 000 emplois sur 15 ans mais si l'on prend uniquement les métiers du numérique (Télécoms, éditeurs, SSII...), on arrive au chiffre exhaustif de 269 000 emplois.
L'étude en question était basée sur une évolution très prononcée des services Cloud mais n'a pas pris en compte la crise 2.0. Dans ce contexte plutôt difficile, le chiffre de 450 000 emplois d'ici 2015 avancé par le ministre me paraît donc difficile à réaliser.
Autre point mis en avant, la formation. Le gouvernement propose de mettre en place des filières de formation dans les universités pour les jeunes diplômés et les professionnels orientées vers les métiers du logiciel et d'internet. Quelle est votre position ?
R.G : L'effort principal ne doit pas être seulement porté sur la formation initiale mais aussi sur l'apprentissage en continu. A l'heure actuelle, on constate que les formations proposées aux demandeurs d'emplois ne sont pas en corrélation avec le marché. Les formations qui correspondent au mieux au marché du travail sont quasi inexistantes.
Justement, l'objectif affiché pour 2012-2020 est de soutenir ces entreprises innovantes. Comment transformer l'essai sur le terrain de l'emploi ?
R.G : Difficile à dire. Une chose est cependant certaine, les informaticiens sont motivés pour intégrer une SSII lorsque celle-ci propose de travailler dans l'innovation. En ce sens, ces sociétés pourvoient de nombreux emplois. Il faut maintenant que les SSII amènent de réelles innovations, qu'elles fassent des efforts sur la valeur ajoutée des produits et services qu'elles proposent.
Quelles sont, selon vous, les pistes pour renforcer le poids de la France mais aussi de l'Europe dans le numérique ?
R.G : La concentration est à l'œuvre dans de nombreux secteurs qualifiés de numériques. L'industrie du logiciel passe progressivement sous contrôle de sociétés américaines ou même asiatiques. Nous sommes donc pour un « Patriot Act » à l'européenne c'est-à-dire un dispositif qui proposerait une meilleure protection du secteur du logiciel. Toutes les grandes croissances économiques n'ont été possibles que grâce à une certaine part de souveraineté. L'Union européenne doit donc se saisir du sujet de manière plus profonde et aller dans le sens d'un plus grande indépendance technologique dans les TIC.