Nicolas Sadirac : "42 veut des esprits créatifs, pas formatés"

Thomas Pontiroli
Publié le 18 septembre 2013 à 15h32
Alors que le processus de sélection des 800 étudiants de l'école d'informatique 42 approche de la fin, le directeur général, Nicolas Sadirac, revient pour Clubic Pro sur la philosophie de cette formation qui ne délivre aucun diplôme, et dont un tiers des candidats n'a pas le baccalauréat.

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Nicolas Sadirac, directeur général de 42
Bonjour Nicolas Sadirac. La troisième piscine vient de commencer. Pouvez-vous donner quelques chiffres ?

Nous avons enregistré 70 000 candidats pour les tests de capacité en ligne réalisés tout en amont, dont 20 000 les ont réussi. Parmi eux, nous en avons retenus 4 000 dont 2 500 sont passés ou sont en train de passer par la piscine. C'est donc notre test de sélection ultra-dense sur trois semaines qui nous permet de voir qui parmi les étudiants admissibles sont aptes à persévérer dans le développement informatique et collent à notre vision.

Comment sélectionnez-vous vos étudiants à ce stade ? Quels sont les critères regardés ?

Nous retiendrons 800 étudiants au final. Les principales qualités recherchées sont la capacité à s'adapter car le monde de l'informatique est en mutation continue et les développeurs ont besoin de cela pour espérer évoluer. Nous voulons qu'ils sachent travailler en autonomie mais également en groupe. C'est assez original car traditionnellement les écoles appellent cela tricher. Nous appelons cela collaborer.

C'est d'ailleurs un critère que nous prenons en compte dans la notation. Au début on craignait que la mentalité française type concours bloque les candidats et les empêche de collaborer ensemble. Ce qu'on observe c'est qu'ils se regardent un peu pendant les premiers jours puis ils finissent par travailler ensemble car ils se rendent compte qu'ils n'y arriveront pas seuls. Des îlots se sont formés à l'école.

L'autre point important que nous prenons en considération c'est la capacité des étudiants à progresser. On ne cherche pas d'ingénieurs en informatique déjà formés. Ceux qui réussissent tous les tests haut la main et qui ne montrent pas une courbe de progression, on ne les prend pas. D'ailleurs, quel intérêt ils auraient à venir chez nous ? C'est un métier d'artiste et on préfère des développeurs médiocres qui ont une marge de progression énorme, un background qui ne les a pas formatés, et qui sont très motivés.

Sur le forum de l'école et ailleurs sur le Net, certains se plaignent des conditions de travail.

Il est vrai que la question du logement pose problème. Du coup on a beaucoup d'étudiants qui dorment sur place (NDLR : un tiers des postulants selon une estimation d'un candidat interrogé). Cela donne un peu une ambiance de squat mais où est le problème ? C'est génial. On veut des gens qui en veulent.

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L'un des faire-valoir de 42 est d'accueillir des étudiants sans diplôme. Quel est le but recheché ?

Xavier Niel (NDLR : qui finance l'école) avait la volonté de trouver des jeunes dont l'esprit n'a pas été abimé par des schémas de pensée formatés, des apprentissages carrés. En prenant des non diplômés, on cible des personnes pour qui tout est possible et qui ont donc un potentiel de remise en question et d'innovation plus important.

Quel est le profil effectif des candidats ? Et pourquoi avoir limité l'âge d'inscription à 30 ans ?

L'un des chiffres les plus intéressants est que nous avons 34% de candidats qui n'ont pas le baccalauréat. Nous avons également attiré 11% de filles alors que la moyenne dans le secteur est située entre 5 et 7%. L'âge moyen est de 22 ans et très ramassé dans cette tranche. On pensait qu'on aurait davantage de gens plus âgés. Quant à la limite de 30 ans, je me suis aperçu dans le passé qu'on ne devait pas favoriser un trop grand écart d'âge car c'est plus difficile ensuite de constituer des groupes qui marchent.

À l'issue de leur formation, où iront ces étudiants ? Y'a-t-il des ponts entre 42 et Free ?

Il n'y a aucun pont avec Free, cela n'a rien à voir. Xavier Niel voulait répondre à une question : pourquoi est-ce qu'il existe des gens talentueux hors du système ? Nous nous adressons à tout l'écosystème : les start-up, les SSII car elles attachent de plus en plus d'importance à l'innovation mais aussi les grands groupes comme Airbus. Évidemment nos étudiants n'iront pas là pour l'administration système mais se dirigeront plutôt dans leur cellule spéciale pour l'innovation. Bref nous ne mettons pas de barrières.

Bien sûr il n'est pas exclu que des étudiants se dirigent vers Free, et c'est normal. Xavier Niel avait besoin de talents à la base. Il reçoit plus de 80 CV par semaine mais ne trouve personne, alors qu'il y a aucun problème de prix. Dans l'équipe dédiée à la Freebox, seulement deux personnes sont diplômées par exemple. Il est évident que certains étudiants rejoindront Free, mais il n'y a aucune volonté en ce sens.

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À quelle problématique répond 42 dans l'univers de la formation aux métiers de l'informatique ?

Il y a deux systèmes de réinsertion aujourd'hui. Le premier concerne les bons étudiants situés en zone à urbaniser en priorité (ZUP). Ils sont acceptés dans des grandes écoles via des programmes spéciaux et cela marche à peu près mais cela concerne peu de personnes. En second lieu il y a ceux qui ont décroché et qui aspirent à un cadre meilleur. Là cela ne fonctionne pas. Car il y a un problème de paradigme.

J'ai rencontré la direction générale de l'Enseignement il y a quelques jours et tout le monde est persuadé que l'inadéquation entre la formation et la vie professionnelle est due aux entreprises. Il n'y a pas de remise en question et pas de réelle prise en compte du décalage entre la vie personnelle et de l'école. À 42 il n'y a pas de cours, les étudiants se forment en collaborant aux projets ce qui stimule leur intérêt.

Pensez-vous finalement que la méthode 42 soit la réponse à la grande question de la formation ?

Nous sommes dans une phase de transition et 42 y participe. Nous passons d'un monde où le but des entreprises était de produire. Il fallait donc recruter des personnes qualifiées aux profils standardisés. Ce à quoi ont très bien répondu les écoles d'ingénieur. Or aujourd'hui nous valorisons de plus en plus l'innovation, et donc la singularité. Dans ce monde, c'est la différence qui est au centre de la valeur.

Notre mode de fonctionnement, basé sur la créativité et l'adaptation, s'apprend dans la jeunesse. Beaucoup d'informaticiens restent dépendants de leur formation et peinent à se former. Ils doivent sortir du système. Pour l'instant, le ministère ne comprend pas ce que fait 42 mais nous ne sommes qu'au début d'une migration qui durera 30 ans. La rentrée se fera la troisième semaine de novembre.
Thomas Pontiroli
Par Thomas Pontiroli

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