Data scientist : "Si c'est seulement pour l'argent, tu t'es trompé de chemin"

Alexandre Broutart
Publié le 12 mai 2016 à 18h41
« Le métier le plus sexy du 21ème siècle » selon la Harvard Business Review. En plus de faire rêver la jeunesse technophile, le métier de data scientist est notamment en train de changer en profondeur le paysage des vieilles industries. Pourtant, d'une société à l'autre, la fonction résisterait mal à l'épreuve d'une définition uniforme. Retour sur le métier le moins conventionnel du nouveau siècle.

« Mon équipe de data scientists est autant constituée de "kiwis" (terme consacré pour parler des locaux) que d'étrangers » nous confie Quentin-Gabriel Thurier, fan de judo, de surf, de physique quantique et du groupe The Doors. « Outre le français que je représente, on compte aussi dans nos rangs un indien, un russe, et un chinois. »

Premier signe d'une flexibilité à toute épreuve, le data scientist parle avant tout la langue des chiffres, et à ce titre, est particulièrement bien mondialisable. Comme en attestent les pontes du sujet, on importe ce profil des quatre coins du globe, surtout depuis que la demande croissante n'est plus satisfaite.

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Quentin Thurier dans les locaux de la société Qrious en Nouvelle-Zélande.


C'est la seconde fois que Quentin est embauché en tant qu'analyste de données en masse, et pourtant la fracture est assez nette entre la société de webmarketing parisienne et la société Néo-zélandaise dans laquelle il oeuvre désormais. Avant, chez Netbooster, son terrain de jeu ne dépassait pas les centaines de Gigabits de données (sur le cloud de Google) et sa mission relevait principalement du domaine de la publicité ciblée, en analysant à la loupe les allées et venues des internautes. Aujourd'hui ses prérogatives cybernétiques sont tout autres : c'est avec des Térabits de données captées directement sur les réseaux GSM des antennes télécoms qu'il compose aujourd'hui.

Et le changement d'échelle implique des « départements data » entiers, très loin donc du binôme de data scientists de la start-up française. Dans ces plus grandes équipes, les tâches sont plus décomposées qu'ailleurs, et Quentin nous explique par exemple que ce sont plutôt les data scientists séniors qui font le pont avec les clients, en l'occurence des sociétés de transports et de tourisme pour la plupart qui ont besoin d'analyser avec précision l'affluence et la mobilité.

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Mais Quentin n'a pas toujours laissé aux autres le soin des explications didactiques : « En France, quand je suis sorti de mon école d'ingénieur, il fallait que j'explique sans cesse les avantages de notre méthode. C'est une composante du métier dont les jeunes ne sont pas forcément au courant : il faut être pédagogue et rendre abordable ce que tu fais, car les clients ne sont pas toujours éduqués à ce niveau de statistique, il y a un vrai travail d'éducation. C'est aussi un moment important pour le data scientist qui se rend compte que, s'il n'est pas parfaitement capable d'expliquer sa méthode, c'est peut-être qu'il n'en a lui-même pas vu tous les aboutissants. »

Loup solitaire, aventurier, et ouvert : le mantra du data scientist

Pour son plus grand bonheur, Quentin est plutôt« dans le dur » (entendre : avec les machines), et passe le plus clair de son temps à tester des modèles algorithmiques ou à s'informer sur les dernières trouvailles de la recherche de pointe : « Il ne faut pas se leurrer, on ne fait pas data scientist si on a peur de mettre les mains dans le cambouis, d'essayer sans cesse de nouvelles choses, tout en gardant la plus grande curiosité pour l'évolution des techniques. »

Rester devant des machines toute la journée, mais pas seulement : « Si tu restes trop bloqué dans ton coin, tu risques de faire des erreurs, d'où la nécessité absolue d'un vrai travail d'équipe au sein du département data. » Quentin évoque aussi le danger que représentent les entreprises qui embauchent un data scientist « sans vraiment savoir où il vont, sans avoir de plan, juste parce qu'ils ont entendu parler de big data. Dans ce cas, le risque de sentir très isolé est très fort. »

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Le « kiwi », tel qu'il est désigné par les Maoris, est l'oiseau emblématique de Nouvelle-Zélande. Ce terme sert aussi à désigner les néo-zélandais eux-mêmes.


Pour se prémunir de ce genre d'expérience, Quentin conseille vivement aux futurs data scientists de faire attention aux offres d'emploi qui ne semblent pas très au fait des techniques d'extraction de données en masse : « dès que je vois Excel et Powerpoint dans les compétences demandées je passe mon chemin » avouera-t-il. « De la même façon, je n'accepterai jamais un emploi avant d'avoir parlé avec mes futurs collaborateurs et pas seulement mon supérieur hiérarchique. »

Entre autres recommandations, Quentin évoque aussi le principe de responsabilité dont se doivent tous les acteurs du big data et en particulier les data scientists : « si tu as affaire à des données sensibles (de santé, de géolocalisation, etc.) comme lorsque tu travailles dans les administrations publiques par exemple, tu as une responsabilité éthique, car il est très vite fait de détourner l'usage des mégadonnées. Il y a de fortes responsabilités à tous les niveaux, il faut donc être ultra-sceptique envers toi-même tout comme avec les autres. C'est un métier de passionnés, si c'est seulement l'argent qui te motives, c'est que tu t'es trompé de chemin. »

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