La blockchain était l'une des tendances de l'édition 2019 du salon Viva Technology. IBM, entreprise qui dépose le plus de brevets au monde, est un acteur incontournable de cette technologie en pleine croissance.
La blockchain, à l'inverse des cryptomonnaies, bénéficie d'une popularité grandissante. Les pouvoirs publics sont sensibles à cette petite révolution, le gouvernement français ayant par exemple prévu d'investir massivement dans cette technologie. À l'occasion de Viva Tech 2019, Clubic est allé à la rencontre de Luca Comparini, d'IBM France, pour faire le point sur une technologie à laquelle la société américaine s'intéresse fortement.
Interview de Luca Comparini, responsable blockchain pour IBM France
Clubic - Dans une interview donnée le mois dernier, Bruno Le Maire a rappelé tout le potentiel de la blockchain. Le fait que le gouvernement veuille s'impliquer dans cette technologie est-il une bonne chose, selon vous ?
Luca Comparini - Je pense qu'il faut faire un distinguo entre différentes technologies blockchain. Il y a d'un côté les cryptomonnaies, et d'un autre côté des technologies qui sont utilisées dans le monde des affaires et qui ne nécessitent pas forcément ce cadre réglementaire parce qu'elles le respectent nativement. Nous le voyons dans les différents projets, le monde des cryptomonnaies ouvre beaucoup de questions quant à la fiscalité, la gestion d'actifs et le transfert d'actifs. Ces technologies peuvent réinstaurer de la confiance au sein de certains écosystèmes business.
Comment IBM Blockchain aide les entreprises à rassembler les parties prenantes et les filières du monde entier ?
Pour fédérer l'écosystème, il y a plusieurs aspects. La blockchain est un protocole innovant et à fort potentiel. C'est aussi de la technologie qu'il faut déployer sur le cloud, dans les data centers. Mais avant tout, la blockchain est un outil pour implémenter une gouvernance décentralisée dans des réseaux où deux composantes sont extrêmement importantes : la gouvernance de réseau, c'est-à-dire comment on anime et on motive le réseau, et le business, c'est-à-dire comment chaque participant du réseau peut trouver un intérêt à participer à une nouvelle forme de collaboration voire de compétition, qui nécessite un écosystème fédéré.
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On sait que la blockchain permet d'exécuter un nombre plus important de transactions, avec plus d'efficacité. Quel obstacle peut rencontrer la blockchain aujourd'hui ?
L'un des obstacles à son développement peut être la phase de surmédiatisation que l'on vient de vivre par rapport aux cryptomonnaies, avec des levées de fonds assez rapides et conséquentes à l'aide de la technologie blockchain (les ICO, STO). C'est intéressant de regarder cette dynamique, mais en même temps, il y a une facilité extrême à lever de l'argent sur des projets qui parfois n'ont pas su rebondir et prendre leur envol. C'est un aspect qui risque de freiner le développement, car on peut associer la blockchain à cette expérience parfois douteuse.
Or, la blockchain est bien plus qu'un outil permettant de lever de l'argent. C'est un nouveau protocole qui habilite de nouvelles formes de collaboration entre sociétés, entre business et entre consommateurs.
L'État français prévoit d'investir 4,5 milliards d'euros dans les innovations dites de rupture, dont fait naturellement partie la blockchain. Ce montant vous paraît-il suffisant, en sachant qu'il n'y a pas de détails temporels sur la manière d'étalonner cette somme ?
Personnellement, je trouve que le montant est assez intéressant, malgré le fait qu'il n'y a pas de deadline, comme vous le dites. Il y a ici un État qui reconnaît le potentiel d'une technologie et qui décide de favoriser la compétitivité de l'écosystème et du marché en favorisant l'adoption de certaines technologies innovantes. Je trouve cela assez enrichissant.
« La blockchain est en train de devenir mainstream et de nous toucher toutes et tous »
Quels sont les gros clients, les gros comptes blockchain d'IBM ? On connaît déjà le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce....
Dans le monde, il y a un an et demi, IBM avait déjà environ 500 projets en cours. En France, on voit la blockchain émerger sur plein de secteurs différents. Au démarrage, il y a deux ans, nous étions plutôt liés au monde de la banque, de l'assurance, des services financiers. Des tiers de confiance ont voulu utiliser la technologie pour accélérer certaines démarches de transformation. Nous avons vu une deuxième vague arriver, plutôt sur des chaînes de valeur verticales dans lesquelles on peut retrouver du supply chain industriel, la traçabilité alimentaire, la traçabilité des produits de luxe, les énergies, la logistique. Et sur tous ces secteurs, nous voyons émerger des plateformes industrielles avec des clients français et européens. Il y a le suivi du transport maritime par container de la compagnie Maersk par exemple. Le dernier grand nom que j'aime bien évoquer, c'est Carrefour, avec la fameuse purée Mousline.
La collaboration entre Carrefour et Nestlé autour de la purée Mousline montre que la blockchain est en train de devenir mainstream et de nous toucher toutes et tous, qui faisons nos courses dans un supermarché. Et pas seulement donc sur des produits spécifiques ou de niche, mais sur des produits connus de tous. La collaboration permet de traverser, pour la première fois, un processus métier qui est multi-acteurs. Avoir une visibilité où la data est apportée par Nestlé et Carrefour, cela permet de donner une notion de transparence sur tout le processus. Lorsque nous allons dans un magasin Carrefour et flashons le QR code présent sur le paquet de Mousline, chaque consommateur peut avoir accès, via son smartphone, à des données relatives aux différentes étapes de la vie du produit : production, composition du produit avec les variétés de pommes de terre utilisées, les contrôles qualité, les inspections, les dates et lieux de stockage avant la mise en rayon, l'acheminement vers les entrepôts, etc.
« La 5G, je la vois comme une disruption qui rendra le monde des objets connectés plus facile d'accès à tous les publics »
Le public est-il prêt pour ça ?
De façon personnelle, je suis extrêmement gourmand de cette transparence, et les nouvelles générations sont sensibles à ces outils digitaux qui les engagent mieux. C'est une vision beaucoup plus fine, complémentaire à celle d'un Yuka par exemple, qui peut nous permettre de faire des choix plus réfléchis.
Qu'est-ce que la 5G va changer par rapport à la blockchain ?
La blockchain doit être alimentée. Le monde des objets connectés, par exemple, peut faciliter l'acquisition de la data sur la blockchain. La 5G, je la vois comme une disruption qui rendra le monde des objets connectés plus facile d'accès à tous les publics et va augmenter le potentiel encore plus disruptif de la data.
Quels sont les investissements d'IBM dans la blockchain ?
Nous sommes très engagés autour des énergies open source portées par la fondation Linux dans le projet Hyperledger. C'est un investissement très conséquent, puisque nous parlons ici de centaines de personnes. Des équipes se structurent dans toutes les organisations IBM du pays, la France s'étant structurée depuis 2015, avec plusieurs dizaines de personnes.
Ce qui est intéressant, ici, c'est la courbe. Cela représentait une personne en 2015, et des dizaines aujourd'hui. Et tous les signaux nous laissent imaginer qu'on va continuer à grandir à grandir.
« On fait le raccourci que toutes les blockchains sont gourmandes et consommatrices d'énergie, ce qui n'est du tout le cas »
Nous savons que la blockchain consomme beaucoup au niveau énergétique. Qu'est-ce qu'une société comme IBM peut répondre sur cette question ?
Sur la consommation énergétique de la blockchain, il y a un souvent un raccourci qui est fait. Je m'explique. On parle souvent de la blockchain publique du Bitcoin ou de certains protocoles comme Ethereum, qui sont basés sur des mécanismes de consensus extrêmement gourmands en termes de consommation énergétique (pour de bonnes raisons, parce qu'on respecte le principe de sécuriser une blockchain dans laquelle les participants ne se connaissent pas). On fait le raccourci que toutes les blockchains sont gourmandes et consommatrices d'énergie, ce qui n'est du tout le cas.
Une blockchain de type permissionnée, que l'on déploie chez nos clients, n'est pas plus gourmande qu'un téléphone mobile ou qu'un petit ordinateur. L'impact énergétique reste extrêmement faible à l'échelle d'autres technologies qui sont plus gourmandes.
Quels secteurs ont le plus à gagner avec la blockchain aujourd'hui ?
Cela dépend fortement du pays. Sur la France, le secteur des services financiers a bien compris les enjeux, impacts, défis et bénéfices de cette technologie innovante. Ils y travaillent depuis longtemps, du fait, au départ, d'une peur des intermédiations. Ils ont découvert ce que la blockchain, technologie de désintermédiation, peut apporter. Aujoud'hui, les secteurs autour de la supply chain (gestion de chaîne logistique) sont demandeurs, tous ceux de l'énergie et de la logistique. Le rêve ultime, c'est que le secteur public commence à engager des démarches fortes.
Beaucoup d'experts considèrent que les cryptomonnaies sont mortes. Est-ce une vérité ?
Il faut dissocier la blockchain des cryptomonnaies, mais le phénomène technologique reste intéressant. Comme toutes les technologies innovantes, il y a des vagues de transformation, et il faut suivre, anticiper les impacts et ne pas attendre que les technologies nous dévorent.