Jean-Jacques Urvoas nommé garde des Sceaux : la nouvelle a fait l'effet d'une bombe. Suite à la démission de Christiane Taubira, c'est lui qui devient ministre de la Justice au sein du gouvernement. Pour les défenseurs de la liberté du Net, l'ancien député du Finistère est surtout vu comme celui qui fut le rapporteur de la loi sur le renseignement. Celle-là prévoit notamment, sur les réseaux des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d'accès à Internet, l'installation de « boîtes noires », permettant aux services de renseignement de recueillir, en temps réel, les données de connexion relatives à des personnes préalablement identifiées comme présentant une menace.
« Une douche froide », « l'épouvantail des libertés » titraient respectivement Le Monde et RTL. Alors que La Quadrature du Net ne cachait pas non plus sa colère, le groupe d'activistes Anonymous s'emparait à sa façon du sujet, en attaquant le site Internet du nouveau garde des Sceaux.
Le différend nait peut-être dès 2013, alors que Jean-Jacques Urvoas remet au gouvernement un rapport concernant le cadre juridique des activités de renseignement - ces travaux sont donc antérieurs aux attentats de Paris de janvier 2015. Outre l'élargissement des techniques d'interception au domaine numérique, le rapport mettait notamment en évidence la nécessité de transformer la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui se composait de trois magistrats, d'un député et d'un sénateur, en renouvelant cette sélection. Aujourd'hui la nouvelle CNCTR est composée de membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation, d'une personnalité qualifiée pour ses connaissances en matière de communications électroniques, d'ingénieurs et de parlementaires. Depuis 2010, Jean-Jacques Urvoas était lui-même membre de la CNCIS.
pour souhaiter la bienvenue a notre facon au nouveau ministre de la justice on a down son blog https://t.co/lrHeoKGxFH #OpPs #Anonymous
— Anonymous France (@AnonymousArmyFr) 27 Janvier 2016
Suite à la loi sur le renseignement de 2015, la controverse était déjà bien nourrie : « cette loi met en place la surveillance généralisée et légalise les pratiques des services de renseignement attentatoires aux libertés fondamentales, sans aucune garantie sérieuse contre les dérives potentielles » déclarait La Quadrature du Net, quand de nombreuses associations et institutions comme l'Observatoire des médias Acrimed, dénonçaient une loi « liberticide ». Même le New York Times pointait du doigt une politique « indûment expansive et intrusive ».
La grogne populaire remettait alors en cause les nouvelles techniques des services de renseignement (comme les ISMIcatchers) ou l'aval décisionnel donné au premier ministre plutôt qu'à un juge. Elle aurait aussi pu s'étonner de la disposition de l'article 9 qui modifie le code monétaire et financier pour permettre à la cellule de renseignement financier dénommée « Tracfin » de recueillir auprès des entreprises de transport ou des opérateurs de voyage et de séjour des données identifiant leurs clients ou concernant les prestations qu'ils leur ont fournies. De même, l'article 10 qui modifie le code pénal peut désormais exonérer les agents de renseignement de poursuites pénales lorsqu'ils portent atteinte à des systèmes d'information situés hors du territoire national.
Juillet 1991 : affaire des écoutes de l'Élysée
Pourtant le nouvel appelé au gouvernement s'est maintes fois défendu sur ces sujets, expliquant qu'il souhaitait justement « donner un cadre légal » aux pratiques du renseignement. « Ce texte vise à renforcer l'Etat de droit », assure-t-il, « dissipe les zones grises. Demain, ce qui ne sera pas dans la loi sera illégal ». Le rapport d'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2014 appuyait ce constat : « La France demeure en effet la seule démocratie occidentale à ne pas bénéficier d'un cadre juridique, laissant de ce fait nos services dans la plus parfaite indigence juridique, exposant les fonctionnaires qui œuvrent en ce domaine et créant les conditions de possibles atteintes aux libertés fondamentales pour les citoyens ».On peut aussi reconnaître que depuis le scandale des écoutes de l'Elysées en 1991, le système d'approbation du premier ministre suite à l'avis d'une Commission était déjà la règle. Si le contrôle d'un juge a bien été supprimé, c'est dans la loi relative à la lutte contre le terrorisme de 2006 quand il s'agit d'autoriser l'accès aux données de connexion, ou la décision de bloquer un site faisant l'apologie du terrorisme.
Le texte de loi sur le renseignement de 2015, dont le rapporteur était justement Jean-Jacques Urvoas, plaide aussi la transparence : « l'absence de règles claires approuvées par le Parlement en matière de renseignement favorise les suspicions infondées sur l'activité des services spécialisés et fragilise leur action » peut-on y lire.
Le blog de Jean-Jacques Urvoas, désormais rétabli.
Si certains y voient toujours un « mensonge d'État », la nouvelle législation mettait en avant un certain nombre de garde-fous : « La CNCTR peut recommander l'interruption de la mise en œuvre d'une technique qu'elle estime irrégulière » dit le texte, et « si ses recommandations ne sont pas suivies d'effet, la commission peut décider, de saisir le Conseil d'État »(article L. 821-6), dès lors qu'au moins deux de ses membres en font la demande.
De même, la loi impose que la CNCTR établisse un rapport d'activité public chaque année (L. 833-2) et que ses membres et agents puissent pénétrer à n'importe quel moment, à des fins de contrôle, dans les locaux des opérateurs et des prestataires de service (article L. 871-4). Désormais La CNCTR peut aussi être saisie d'une réclamation individuelle tendant à vérifier la régularité de la mise en œuvre d'une technique et outre la CNCTR, la Conseil d'État peut annuler une autorisation jugée irrégulière, et ordonner la destruction des renseignements recueillis.
Suite à une saisine, le Conseil constitutionnel a confirmé que la loi sur la surveillance des communications internationales n'était pas contraire à la Constitution.
Lors de la cérémonie de passation de pouvoirs avec Christiane Taubira, Jean-Jacques Urvoas a déclaré « ne pas chercher à bouleverser l'univers judiciaire » et « s'attacher à ce que la seule loi d'importance soit votée, c'est-à-dire la loi de finances »
A lire également