La commission des lois de la chambre haute du Parlement a adopté un nouveau texte qui ménage la chèvre et le chou, à savoir la lutte contre les contenus haineux d'un côté, et la préservation de la liberté d'expression de l'autre.
Le Sénat étudiait, mercredi 11 décembre, la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. La commission des lois a, certes, adopté le texte, mais elle lui a apporté de nombreuses modifications en votant favorablement la bagatelle de 45 amendements. Depuis son dépôt sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 20 mars 2019, le texte initialement proposé par la députée Laetitia Avia a bien changé, du fait notamment d'un avis intermédiaire particulièrement critique du Conseil d'État.
Une lutte qui ne doit pas empiéter sur la liberté d'expression
Pour rappel, le cœur du texte consiste à obliger les plateformes en ligne à retirer, dans les vingt-quatre heures, un contenu haineux, sous peine de sanctions pénales.Dans leurs discussions, et sous l'impulsion de la présidente de la commission de la culture et sénatrice de la Seine-Maritime, Catherine Morin-Desailly, ou encore du président de la loi commission des lois, le sénateur de la Manche Philippe Bas, les sénateurs ont admis que les grandes plateformes devaient être davantage responsabilisées, afin qu'elles participent bien plus qu'aujourd'hui à la lutte contre la propagation des discours de haine en ligne.
Mais Philippe Bas en a profité pour adresser une mise en garde, celle « de ne pas remettre en cause une liberté démocratique fondamentale, la liberté d'expression », qu'il ne faut pas confondre ni atténuer sous le prétexte de la « lutte résolue contre le développement de contenus haineux sur Internet ».
Les sénateurs redoutent que les plateformes censurent à tout-va
La commission des lois a donc adopté un texte équilibré, à mi-chemin entre la lutte contre les contenus haineux et le respect de la liberté d'expression.Les 45 amendements adoptés font notamment valoir la suppression du texte du nouveau délit dit de « non-retrait » du contenu haineux. Les sénateurs, Christophe-André Frassa en tête, redoutent en effet une sorte de privatisation de la censure.
Concrètement, le volet pénal de la loi fait peser des risques pratiques et juridiques, et pourrait créer un déséquilibre aux dépens de la liberté d'expression, qui inciterait les plateformes à retirer des contenus licites, au moindre doute, par excès de prudence et par peur d'une éventuelle sanction. Ce qui serait évidemment contraire au droit de l'Union européenne.
La nouvelle version de la proposition de la loi permet aussi de clarifier la régulation administrative des grandes plateformes pour mieux tenir compte du droit européen, de la fameuse directive « e-commerce », qui offre aux hébergeurs un statut d'irresponsabilité. Une régulation, désormais prônée par la dernière version du texte, permettrait là aussi d'instaurer un équilibre entre les obligations à la charge des plateformes et le risque d'atteinte à la dignité humaine. C'est le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) qui devrait alors s'assurer du respect des droits et libertés, en dialoguant dans un premier temps avec les opérateurs, avant d'éventuellement les sanctionner par une amende d'un montant pouvant aller jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires mondial.
Le texte sera de nouveau discuté au Sénat, cette fois en séance publique, le 17 décembre prochain.
Source : Sénat