Fleur Pellerin a comme prévu pris la parole face à la presse jeudi matin, après s'être entretenue avec Simon Dawlat, le fondateur d'AppGratis. La ministre a notamment justifié sa démarche par le fait d'utiliser la « parole publique » pour inciter Apple à renouer le dialogue avec AppGratis. Elle a dénoncé une suppression « brutale », survenue sans aucune forme de consultation préalable, mettant en difficulté cette entreprise forte de plus de 40 salariés. Il faut, selon Fleur Pellerin, prendre « la mesure de la manière dont ces grandes plateformes peuvent imposer unilatéralement ldes conditions de fonctionnement ou des conditions de marché qui ne sont pas compatibles avec l'éthique qu'on peut attendre de ces grandes entreprises ».
Dans la lignée des avis rendus par le conseil national du numérique (CNN) au sujet de la neutralité du Net et des services, elle a également appelé de ses voeux la mise en place d'un cadre réglementant les relations commerciales entre les « plateformes » telles que l'App Store d'Apple et les start-ups dont elles sous-tendent les produits, et s'est dit prête à porter la question au niveau de l'union européenne, après des travaux préalables menés par Bercy, son ministère de tutelle.
Simon Dawlat, fondateur et p-dg d'AppGratis, a quant à lui affirmé n'aspirer qu'à renouer le dialogue avec Apple, afin qu'une solution permettant à la société de retrouver le chemin de l'App Store soit trouvée. « On pense ne jamais avoir enfreint les clauses définies par Apple, qui sont sujettes à une interprétation subjective », a-t-il fait valoir jeudi. « Nous voulons donc de véritables informations ». La start-up, qui bénéficie toujours du soutien de ses récents actionnaires, anticipe une baisse importante, de l'ordre de 50%, de son chiffre d'affaires prévisionnel 2013. Elle visait jusqu'à ce retrait un volume d'affaires de l'ordre de 22 à 25 millions d'euros.
Clubic vous propose de retrouver ci-dessous l'intégralité de l'intervention de Fleur Pellerin (8 minutes environ). Toutes nos excuses pour cette image tremblante, due à une capture à main levée.
Publication initiale, 11 avril, 9h18
Vers 23 heures mercredi soir, Bercy a diffusé une invitation presse signalant le déplacement de Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'économie numérique, dans les locaux de la start-up française AppGratis, dont l'application de recommandation a récemment été évincée de l'App Store d'Apple. Dans le même temps, l'intéressée a confirmé la chose via Twitter, indiquant qu'elle s'y exprimerait « sur la neutralité des plateformes et les actions que l'Etat souhaite engager ».
Demain à 11H chez @appgratis, je m'exprimerai sur la neutralité des plateformes et les actions que l'Etat souhaite engager #NetNeut #Apple
— Fleur Pellerin (@fleurpellerin) 10 avril 2013
Cette annonce rapide et la référence discutable à la problématique de net neutralité ont suscité nombre de commentaires circonspects sur Twitter, où d'aucuns se sont interrogés sur la nature opportuniste de ce déplacement ainsi que sur la nature des annonces pouvant éventuellement être formulées par la ministre. Un sentiment que pourrait renforcer l'intitulé de l'invitation envoyée par Bercy, qui décrit en effet AppGratis comme une « entreprise gravement atteinte par la décision injuste d'Apple ». Pourquoi injuste ? Vraisemblablement parce que des applications concurrentes d'AppGratis restent accessibles via l'App Store, comme le souligne un autre tweet de Fleur Pellerin.
In the appstore's listings, plenty of apps similar to @appgratis remain, that appear to violate 2.25 and/or 5.6... #levelplayingfield?
— Fleur Pellerin (@fleurpellerin) 10 avril 2013
À ce stade, le caractère « injuste » de cette décision fait tout de même débat, en France comme aux Etats-Unis, notamment parce qu'il est de notoriété publique que Apple, Google et les autres éditeurs de kiosques de téléchargement suppriment régulièrement des logiciels de leurs App Store (voir par exemple Google Play Store : refonte et suppression de 60 000 applications dans l'actualité récente).
L'ampleur de l'affaire AppGratis est toutefois renforcée par les chiffres revendiqués par la société qui, depuis 2008, a installé un business suffisamment lucratif pour recruter 45 personnes et lever, début 2013, quelque 10 millions d'euros auprès du fonds d'investissement soutenu par Orange et Publicis. Bien que le service continue aujourd'hui sur le Web, tout ou partie de ces emplois seront-ils menacés ?
Elle affirme avoir déclenché plus de 100 millions de téléchargements d'application depuis son lancement. À première vue, Apple n'aurait qu'à se féliciter de la présence de cet intermédiaire capable de doper l'activité de son App Store. En septembre dernier, la firme de Cupertino a toutefois modifié les lignes de conduite associés à son App Store de façon à intégrer de nouvelles clauses visant à restreindre le champ de ces applications dédiées au marketing d'applications.
L'une d'elles (2.25) dispose par exemple que les applications qui affichent des Apps autres que celles de l'éditeur à des fins d'achat ou de promotion, d'une façon susceptible d'être confondue avec l'App Store conventionnel, peuvent faire l'objet d'une suppression. Le point 5.6 précise quant à lui que « les applications ne peuvent pas émettre de notifications push pour envoyer de la publicité, des promotions, ou une action marketing de toute sorte ».
Comme nous le signalions mardi, AppGratis a depuis sa suppression réagi par la voix de Simon Dawlat, son fondateur, qui dans un billet de blog affirme que son application se conforme à ses lignes de conduite, et se dit d'ailleurs persuadé que le service pourra continuer ses activités. D'autres en sont moins convaincus. AllThingsD indique ainsi tenir de sources proches d'Apple que cette éviction pourrait bien n'être que la première d'une longue série visant à éradiquer de l'App Store toutes les applications flirtant avec les restrictions posées par les clauses 2.25 et 5.6.
Ouriel Ohayon d'Appsfire, un autre service de recommandation, souligne quant à lui que toutes les applications n'adoptent pas les mêmes mécaniques de promotion, et se dit confiant dans la capacité de sa société à rester présente sur l'App Store, tout en admettant que le fait de travailler avec Apple et ses guidelines parfois fluctuantes requiert de parfois adapter son modèle. Il rappelle par ailleurs que d'autres applications, comme AppShopper, ont déjà été évincées de l'App Store pour non respect des clauses évoquées plus haut.
Reste à savoir quelle peut bien être l'action politique, au niveau français, sur ce terrain complexe. Les réponses de Fleur Pellerin sur le sujet sont attendues pour la fin de matinée.