Valentina Terechkova dans sa capsule Vostok © URSS / N.A.
Valentina Terechkova dans sa capsule Vostok © URSS / N.A.

Avec ces deux missions simultanées pour clore le programme Vostok, les autorités soviétiques veulent affirmer leur supériorité dans l'astronautique, avec deux premières : le vol le plus long et la première femme dans l'espace. Ces vols réussiront, mais pas sans leur lot de difficultés, tandis que les États-Unis préparent déjà Gemini.

Tout ça était avant tout une question d'image publique.

Loin devant Mercury

Si le programme américain Mercury s'est terminé en mai 1963, les capsules Vostok soviétiques n'ont pas terminé leur aventure à cette date. En effet, depuis les vols record de Vostok 3 et 4 en simultané, l'URSS a l'ambition de clore le dossier en beauté. Pour cela, elle prépare depuis quasiment deux ans, et dans le plus grand secret, un atout de poids pour son programme spatial comme pour la propagande : une petite promotion de cosmonautes féminines.

À l'origine, S. Koroliov et les autorités préparent même un double vol féminin. Toutefois, le plan est révisé début 1963 lorsque les Soviétiques estiment qu'une seule première suffira, puisqu'il n'y a aucun vol équivalent en préparation à l'Ouest. Les bases de la mission sont les suivantes : Vostok 5 décollera d'abord pour un marathon de 8 jours en orbite, au cours duquel il sera rejoint pour un vol en formation par Vostok 6 et sa cosmonaute (3 jours). De quoi éclipser de loin les performances de Mercury.

V. Bykovsky, V. Terechkova et Y. Gagarine en uniforme. À noter qu'à leur entrée dans le programme cosmonautique, les femmes n'étaient pas dans l'armée, elles ont donc démarré au grade le plus bas. V. Terechkova a terminé colonel © URSS / N.A.
V. Bykovsky, V. Terechkova et Y. Gagarine en uniforme. À noter qu'à leur entrée dans le programme cosmonautique, les femmes n'étaient pas dans l'armée, elles ont donc démarré au grade le plus bas. V. Terechkova a terminé colonel © URSS / N.A.

Les premières femmes cosmonautes

Sélectionnées dès février 1962, cinq femmes se préparent pour leur vol orbital et sont formées dans une multitude de domaines liés aux vols d'essai. En effet, pas question de les sélectionner au sein de l'armée de l'air, puisque les pilotes féminines n'y sont alors pas acceptées.

Valentina Terechkova, elle, est parachutiste de compétition. Ouvrière textile, avec un père mort en héros durant la Seconde Guerre mondiale, 26 ans et une carte du parti communiste, son profil retient l'attention des autorités qui lui proposent la formation de cosmonaute. Après un an de formation, elles ne sont plus que trois à pouvoir prétendre à une place sur Vostok : les deux Valentina (Terechkova et Ponomaryova) et Irina Solovyova. C'est finalement la première qui sera sélectionnée, avec un éloquent compliment pour l'époque : Valentina Terechkova est « Gagarine avec une jupe ».

La pression est lourde sur ses épaules, dans un environnement militaire et véritablement 100 % masculin. Une partie des hommes s'attendent même à la voir rater sa mission, où à ce qu'elle soit trop fragile. Irina Solovyova est finalement désignée comme sa remplaçante.

En route pour le record

Côté masculin, le titulaire de la mission Vostok 5 est Valeri Bykovsky. À 29 ans (trois ans de plus que Valentina), il fait déjà figure de vétéran, car il faisait partie des premiers cosmonautes sélectionnés pour Vostok, et ce, dès 1960. Calme, intelligent, presque flegmatique, Valeri Bykovsky est le candidat idéal pour passer une semaine dans son étroite capsule.

Les cosmonautes et leurs remplaçants arrivent à Baïkonour juste après le succès de la dernière mission Mercury-Atlas américaine. Il leur faudra de toute façon de la patience. L'arrivée de la fusée sur le pas de tir pour Vostok 5 est d'abord retardée par de forts vents, puis par un problème de radio. Le 9 juin, alors que V. Bykovsky est déjà à bord de la fusée, un appel de Moscou vient annuler la campagne. Une tempête solaire dirigée vers la Terre pourrait potentiellement augmenter le taux de radiation en orbite basse de plusieurs centaines de fois la dose reçue lors des missions précédentes. Les discussions et débats avec les scientifiques retardent le vol jusqu'au 14 juin, mais pas plus. À 13 h 58 (heure de Paris), Vostok 5 s'envole pour l'orbite basse et la plus longue mission du monde.

Photo supposée être celle du décollage de Vostok 6 © URSS / N.A.

Une fois en orbite, éjecté de son lanceur, V. Bykovsky effectue ses premières manœuvres. Tout a l'air de bien se passer, mais le centre de contrôle le prévient après quelques poignées de minutes : sa fusée l'a propulsé sur une orbite sous-optimale. Il vole entre 175 et 222 kilomètres d'altitude, ce qui pourrait (surtout en fonction de l'activité solaire) remettre en question la durée de 8 jours prévue. Il faut en effet que la capsule soit capable de freiner au bon moment pour pouvoir revenir se poser au Kazakhstan et ne pas rentrer sur l'atmosphère « quelque part » au hasard sur Terre.

Toutefois, son orbite est suffisamment stable pour au moins 6 jours, aussi les équipes donnent-elles le feu vert pour Vostok 6. Dans l'intervalle, le cosmonaute fait une apparition à la télévision nationale, se détache de son siège, expérimente l'impesanteur et observe la Terre dans son hublot. Il réussit même à inquiéter le centre de contrôle en s'endormant une ou deux orbites trop tôt par rapport au planning.

Vol en duo, le retour

Valentina Terechkova décolle presque deux jours après son collègue masculin, mais au moins, avec Vostok 6, ni la cosmonaute ni les équipes au sol n'ont souffert d'un quelconque retard sur le planning. La fusée décolle le 16 juin à 11 h 29 (heure de Paris) et atteint l'orbite moins de 10 minutes plus tard.

La double mission est rapidement un succès national et international. Valery et Valentina, qui sont au plus proche de leurs orbites respectives, réussissent à établir un contact radio moins d'une demi-heure après le décollage ! Puis la première femme dans l'espace passe à son tour à la télévision, dans un puissant moment de gloire de l'Union soviétique. Les médias du monde entier ont un sujet tout trouvé pour leur édition du soir, et les livres d'Histoire, une nouvelle ligne à ajouter.

Les deux cosmonautes reçoivent un appel de Nikita Khrouchtchev et tentent de s'apercevoir l'un l'autre dans le ciel noir, mais sans trop de succès. V. Terechkova rapportera avoir vu une étoile « plus brillante que Vega » qu'elle soupçonne d'avoir été Vostok 5, mais son collègue fait chou blanc.

Et maintenant, passer une semaine là-dedans... © Wikimedia / Stolbovsky

Un long record

Après les premières heures de vol en commun, les occupants des deux véhicules entrent en période de sommeil. En réalité, outre l'aspect « record de vol », aucun des cosmonautes n'a grand-chose à faire avant d'attendre le moment de la rentrée atmosphérique. Il y a d'ailleurs quelques doutes sur Vostok 6, V. Terechkova ayant eu des difficultés pour orienter correctement sa capsule. Pourtant, son vol est toujours prévu pour presque 3 jours. Celui de V. Bykovsky est raccourci à 5 jours, l'orbite se rapprochant doucement du seuil en dessous duquel les physiciens ne peuvent plus assurer une rentrée contrôlée. Le temps passe, et les deux cosmonautes sont de plus en plus isolés. Après 24 heures, ils sont trop éloignés l'un de l'autre pour communiquer par radio, tandis que les échanges avec le sol sont… artificiels. En effet, la pression est forte sur leurs épaules.

Bykovsky tente d'établir un record de durée de vol, tandis que Terechkova (surnommée « La mouette » à la radio) a la lourde tâche de la représentation féminine. Elle veut bien faire et ne pas flancher. Pourtant, elle ne peut s'alimenter correctement. Lors d'un essai, elle est prise de vomissements. Cela n'avait rien à voir, selon ses commentaires, avec le mal de l'espace, mais plutôt avec la qualité de la nourriture. Les deux cosmonautes ont des douleurs articulaires (la capsule Vostok, même quand on peut se détacher de son siège, est minuscule) et des brûlures à cause des frottements de leurs combinaisons, des casques avec micros et des positions prolongées. Valeri Bykovsky devient tout de même titulaire d'une autre « première spatiale » moins glamour que les autres (qui reçut aussi moins de publicité), puisqu'il devient le premier cosmonaute à aller aux toilettes, se libérant d'une constipation sévère.

Valentina Terechkova, devenue pionnière spatiale en juin 1963 © URSS / N.A.

Retour sur le plancher des vaches

Vostok 6 et Valentina Terechkova se posent en premier. L'orientation est bonne, mais une erreur de calcul (ou un délai dans l'allumage moteur) fait dévier la trajectoire de la capsule, qui se posera loin des équipes de récupération, dans la steppe kazakhe. La première cosmonaute s'est éjectée comme prévu de Vostok, puis elle a rejoint sa capsule à pied, a échangé quelques paroles (mais aussi sa nourriture de vol qu'elle n'avait pas pu ingérer) contre à manger avant d'attendre les militaires soviétiques durant une bonne heure.

Son collègue Valeri Bykovsky subira une rentrée atmosphérique plus chaotique à cause d'une mauvaise séparation du bloc propulsif. Toutefois, l'aventure se termine bien aussi, avec une bonne éjection et une bonne fin de mission sous parachute. Plus près des équipes de récupération, Valeri Bykovsky peut rapidement se reposer. Il signe effectivement un record de durée de vol, avec 4 jours et 23 heures en orbite.

Gloire internationale

Comme les autorités soviétiques l'avaient espéré, le succès de ce double vol est retentissant. Valentina Terechkova en particulier, après un véritable triomphe à Moscou et dans toute l'URSS, va faire plusieurs fois le tour du monde. Elle sera envoyée dans 42 voyages en tant qu'ambassadrice à l'étranger ! Sa renommée internationale restera à la postérité comme l'image d'une jeune femme de 26 ans capable de s'imposer et de faire aussi bien que ses collègues masculins. Même si, en réalité, il s'agissait bien d'une action d'image de l'administration.

Après quelques promesses liées à l'entrée en service de la future capsule Soyouz, les autres femmes du corps des cosmonautes abandonnent bien vite l'idée de voler en orbite. Leur nom ne sera jamais prévu au manifeste. Il faudra attendre 19 ans pour voir une autre femme (Svetlana Savitskaya), soviétique elle aussi, s'envoler pour l'espace. Valentina Terechkova passe cependant toute sa carrière dans l'astronautique, avec au passage un doctorat en ingénierie aérospatiale obtenu en 1977. Elle ne fait cependant plus autant l'unanimité pour le personnage qu'elle est aujourd'hui. Élue russe du Parlement (la Douma), elle est l'une des plus farouches supportrices du programme de Vladimir Poutine.

Un double timbre commémoratif pour Vostok 5 et 6 © N.A.

Valeri Bykovsky, de son côté, après son vol réussi, volera à deux autres reprises avec Soyouz. Il accompagnera notamment l'astronaute allemand Sigmund Jahn dans le programme Intercosmos.