Nous nous donnons 5 citations et 5 paragraphes pour vous convaincre.
Cette semaine, nous nous éloignons des rives agitées des Caraïbes pour nous plonger dans Horizons Parallèles, un projet littéraire de longue haleine qui n'est pas sans faire penser à la série Black Mirror. Tout un programme !
Horizons Parallèles (2018 - 2019), S A I D
Chers lecteurs, chères lectrices, je vous invite aujourd'hui à traverser une œuvre qui me tient particulièrement à cœur, tant pour sa qualité que pour la philosophie dans laquelle elle a été réalisée.Horizons Parallèles est un projet Bradbury lancé par l'écrivain belge S A I D en fin d'année 2018. Suivant une célèbre réplique de l'auteur des Chroniques Martiennes, S A I D s'est lancé dans un marathon d'une année consistant à écrire une nouvelle par semaine pendant 52 semaines. Car comme le disait Ray (Bradbury, donc), il est impossible de faire 52 mauvais textes à la suite (ou alors il faut songer à changer de carrière).
Rares sont les écrivains à tenter une telle expérience. Encore plus rares sont ceux qui utilisent des outils et licences libres pour le faire. Car c'est là toute la force du projet Horizons Parallèles : il est totalement en marge des productions classiques. S A I D est auto-édité, conçoit lui-même ses recueils papier de façon artisanale et ses nouvelles sont gratuites.
Ne me reste plus qu'à vous chroniquer 52 nouvelles en 5 paragraphes... Une tâche délicate que nous allons trancher au sabre (laser, évidemment) : je vous invite donc à me suivre dans 5 des 52 Horizons Parallèles de S A I D parmi - non pas les meilleures, mais - mes préférés.
“Le rêve était terminé.”
La fin du rêve, nouvelle #08Dans le futur, les publicités s'invitent dans les rêves des citoyens, trouvant leur chemin via à un implant cérébral. Dix-sept ans que les héros, Nathan et Nina, vivent ainsi de rétributions pour la diffusion de rêves sur mesure. Mais toutes les bonnes choses ont une fin : le programme va bientôt s'arrêter, la faute à des effets secondaires indésirables. De plus, ces publicités oniriques ont l'inconvénient de brouiller la mémoire en enfouissant les souvenirs les plus anciens.
Dans cette nouvelle qui clôture les deux premiers mois du projet Bradbury de S A I D, son écriture s'affine. Le monde futuriste qu'il décrit ici n'est pas sans faire penser au nôtre, la publicité s'invitant partout, s'adaptant à nos goûts pour enrichir les multinationales. Difficile de ne pas penser à nos chers GAFAM !
Mais surtout, cette nouvelle m'a mis un sacré coup au cœur. C'est sans conteste la plus dure - psychologiquement parlant - du projet Horizons Parallèles. L'auteur distille avec savoir-faire une angoisse qui ne cesse de monter jusqu'au dénouement final, cru et cruel. Le rêve se brise pour laisser la place à la dure vérité, dissimulée depuis l'adolescence de nos deux protagonistes. Un récit glaçant et savoureux jusqu'au bout !
"La Terre gela, les peuples migrèrent pour s'éloigner de la Ceinture, les autres moururent."
Au premier flocon venu, nouvelle #28S'il ne fallait retenir qu'une nouvelle du projet Horizons Parallèle, peut-être serait-ce celle-ci. S A I D utilise ici la magie des licences libres pour adapter l'univers des Chroniques de la Terre Gelée - de François TJP et Tristan Lohengrin - à sa propre sauce.
La recette nous plonge immédiatement dans cet univers glacial où notre bonne vieille Terre subit un phénomène mystérieux appelé la Pliure. Le héros anonyme de cette courte nouvelle tente coûte que coûte de regagner Malayah, l'un des derniers bastions humains survivant tant bien que mal au froid qui enserre la planète bleue depuis des siècles. Bien entendu, le retour est loin d'être de tout repos. Pour tout dire, cette fameuse Pliure viendra happer notre héros avec des effets pour le moins... perturbants.
Je ne vous en dit pas plus pour ne pas risquer de vous gâcher le plaisir de la découverte. Sachez juste que ce récit est un exemple bien représentatif des écrits de S A I D : court, haletant et avec une chute qui ne laisse pas de marbre. Ce n'est certes pas du Damasio, mais le style de notre comparse belge est idéal pour une lecture rapide durant la pause déjeuner, par exemple.
Pour compléter votre aventure dans cette froide Terre du futur, je ne peux que vous recommander d'écouter la fiction audio Le Chasseur qui a donné l'inspiration à notre Bradbury francophone. L'univers open source de la Terre Gelée est incroyablement riche, profitant d'apports communautaires tous plus originaux les uns que les autres. Ambiance garantie !
“C'est de la folie, mais c'est putain de rock'n roll !”
Les choses en grand, nouvelle #34Des 52 nouvelles du projet Horizons Parallèles, voici celle qui m'a tiré le plus rire... bien qu'elle m'ait également retourné l'estomac...
Dans ce monde chronologiquement proche du nôtre, l'auteur nous fait vivre les turpitudes du groupe de hard rock Fractale. Face à une perte grandissante de succès, ses membres doivent redoubler d'ingéniosité pour conserver les faveurs de leurs fans. Alors quand leur manager leur propose de participer à une expérience de miniaturisation, le leader n'hésite pas : Fractale sera le premier groupe de rock à jouer au sein d'un... corps humain !
En tant que fan d'AC/DC, Iron Maiden et autres groupes culte de heavy qui gratte, autant dire que je me suis régalé avec cette nouvelle. Vous l'aimerez aussi si vous préférez la musique classique !
Malgré la chute rock'n'roll de ce récit, celui-ci nous mène une fois de plus dans un monde très proche de celui qu'on connait, bien que technologiquement plus avancé. C'est l'une des clés de mon attachement aux Horizons Parallèles : presque toutes les nouvelles qui y sont présentées pourraient bien se produire un jour ou l'autre. Certes, la miniaturisation du corps humain n'est pas pour maintenant. Mais franchement, quand ça sera possible, vous pensez vraiment que personne ne tentera de se faire des gros sous avec des méthodes absurdes ?
“On lui avait fait comprendre qu'il prenait trop de place, lui, le gros.”
Au rouge, nouvelle #45“Mangez, bougez” ça vous dit quelque chose ? Imaginez un monde où avoir la ligne est une condition sine qua non pour bénéficier de l'accès aux soins, aux transports, aux prêts bancaires... Ce monde, c'est la République. Avoir la forme, c'est avoir la belle vie. Alors, imaginez un peu le cauchemar que doit vivre Olivier, récemment devenu le dernier obèse sur terre...
Reflet de notre société où nos données de santé sont de plus en plus exploitées à des fins commerciales, ce récit m'a glacé. Le traçage est permanent, sortir des clous de la société est encore pire qu'en notre début de 21ème siècle. Avec son business de la santé, la République ne semble pas si éloignée que ça de nous...
Au final, on se sent aussi seul que le pauvre Olivier en lisant ce récit. Allant toujours à l'essentiel, S A I D affine encore son style pour la fin de son projet Horizons Parallèles. Chacune de ses nouvelles se fait plus oppressante, plus réaliste. On sent bien ici les recherches effectuées par l'auteur belge avant la rédaction de chacune de ses histoires. Le réalisme de chacun des mondes qu'il nous livre nous happe, nous emporte et nous subjugue. Je ne peux qu'approuver !
“Il n'aurait jamais de nom, mais il avait été libre au moins une fois dans sa vie.”
Éléphant bleu, nouvelle #52Dernière nouvelle des Horizons Parallèles, Éléphant bleu clôture une année haletante et un très bon projet Bradbury francophone. S A I D, au meilleur de sa forme, nous y décrit une humanité qui a acquis le Savoir. Chacun apporte son expérience, ses découvertes et les partage au monde entier. La connaissance est universelle. L'individu n'existe plus, seul compte la conscience collective.
Sympa comme pitch, non ? On nage ici en plein épisode de Black Mirror - excellente série que je vous conseille vivement de regarder en passant. La nouvelle est vraiment très courte, nous menant dans les pas de cet inconnu qui n'a pas de nom, mais qui pour une fois dans sa vie veux faire ce qu'il veut sans subir la pression des vingt milliards d'humains qui peuplent la Terre.
Éléphant bleu nous oriente cette fois dans un avenir qui semble plus onirique, moins connecté à la réalité que la plupart des autres récits de ce projet. Si cette nouvelle peut sembler plus expérimentale au premier abord, elle ne manque toutefois pas de saveur. On y retrouve ce style propre à l'auteur belge qui arrive à nous happer en quelques pages.
En un mot comme en cent, si vous aimez les nouvelles d'anticipation ou de science-fiction, ce projet mérite indéniablement votre attention. Riche, varié et intense, faisant toujours un pas à côté de la réalité pour mieux la questionner, Horizons Parallèles est une belle réussite ; une réussite à dévorer et partager.
Les récits sont diffusés sous licence CC-BY SA et Art Libre.