L'épidémie de Covid-19, déjà responsable de 2 663 morts en Chine, pousse la surveillance étatique à son paroxysme pour étouffer les contestations au régime de Xi Jinping.
D'après une enquête publiée par Vice News, Pékin est sur le qui-vive et traque sans relâche ses ressortissants publiant des messages relatifs au coronavirus ou au gouvernement sur les réseaux sociaux.
Un filet aux mailles très serrées
La surveillance du peuple chinois est institutionnalisée. Rien de neuf sous le soleil. Mais l'épidémie de nouveau coronavirus, officiellement déclarée par l'OMS à la fin du mois de janvier, pousse tous les curseurs de la répression à leur paroxysme.Apple pourrait devoir révéler comment s'opère la censure sur ses appareils commercialisés en Chine
Joshua Left (le nom a été modifié), est un jeune entrepreneur officiant dans la province de Wuhan. Lorsque l'épidémie s'est déclarée, l'homme se trouvait à San Francisco pour des vacances. Craignant que sa famille ne reçoive pas toutes les informations nécessaires, il lui a fait suivre des articles via son compte WeChat — un réseau social chinois géré par Tencent, notoirement monitoré par le gouvernement chinois.
« Ensuite les choses ont commencé à devenir bizarres », raconte Left à Vice News. Un administrateur WeChat lui a d'abord envoyé un message d'avertissement. Certains de ses contacts lui ont aussi demandé des précisions sur sa localisation, notamment concernant l'hôtel où il se trouvait au moment de publier ces messages. Face au refus de Joshua Left de communiquer ces informations, tous ses contacts lui ont ensuite demandé de revenir en Chine le plus rapidement possible.
Pour le jeune entrepreneur, ces messages ont été envoyés par ses contacts après que des agents du ministère de la Sécurité nationale leur ont mis la pression pour tenter de réduire au silence quiconque parlerait du coronavirus.
Contrôler le récit autour du coronavirus
Réfugié en Californie, Left craint de rentrer au pays et d'être interpellé pour avoir envoyé des informations sur le coronavirus à sa famille. C'est que, depuis les vives critiques à son objet en 2003 lors de la première épidémie de coronavirus, la Chine souhaite rester maîtresse de l'histoire qui sera racontée au monde entier. « Un vieux réflexe bureaucratique issu de la tradition communiste », explique la spécialiste de la Chine Marie Holzman dans une tribune publiée dans Le Monde le 29 janvier dernier. Illustration de ce muselage exacerbé : un premier cas de coronavirus a été identifié à Wuhan le 8 décembre 2019. Et malgré les cris d'alertes lancés par les médecins locaux aux autorités, ceux-ci ont d'abord été accusés de propager de fausses informations.Aujourd'hui, cette lutte pour un contrôle total du « scénario » chinois se poursuit sur les réseaux sociaux où les voix dissidentes sont réduites au silence. Sur WeChat — on l'a vu —, mais également sur Twitter qui, pourtant, est banni de l'empire du Milieu. Néanmoins accessible en utilisant un VPN, le réseau social de microblogging aura coûté à Jiang Ming, un citoyen de Dongguan, la visite d'officiers de police, ainsi qu'un interrogatoire où son téléphone a été confisqué pour servir de preuve contre lui. Son crime ? Un tweet dans lequel il fait endosser la responsabilité de l'épidémie au régime de Pékin.
Pékin tente de rattraper son retard
Pourtant, des observateurs réguliers de la censure chinoise s'étonnent du laxisme apparent du régime face aux nombreuses voix critiques qui s'élèvent contre lui. « Ce que nous avons constaté avec cette épidémie, c'est une brève période à l'intérieur de la Chine où la censure n'était plus aussi stricte et où le journalisme était plus incisif », observe Fergus Ryan, analyste spécialisé des médias sociaux chinois pour l'Australian Strategic Policy Institut.Un avis partagé par l'un des co-fondateurs de GreatFire.org, un observatoire de la censure en Chine : « ce n'est pas un scénario habituel ou typique de censure de la part du parti. Ils reconnaissent le besoin de partager de l'information pour arrêter la propagation du coronavirus, mais tellement de gens sont remontés contre la gestion de l'épidémie que les autorités ont du mal à savoir ce qui doit être censuré ou ce qui ne doit pas l'être ».
Coronavirus : une application en Chine pour savoir si on a côtoyé des personnes contaminées
Après l'allocution du président Xi Jinping le 20 janvier dernier, les cordons se sont rapidement resserrés. Une censure qui a repris de plus belle, mais une quête d'informations fiables tout aussi croissante de la part des citoyens chinois. GreatFire, qui agrège notamment des sources fiables d'informations sur le coronavirus, remarque que les visites sur son site sont passées d'entre 18 000 et 29 000 à 50 000 par jour depuis le 24 janvier.
Des informations qu'un bon nombre de Chinois essaient d'obtenir via l'utilisation d'un VPN mais, ces dernières semaines, le gouvernement est également parti en chasse contre ces outils.
Une censure de masse à laquelle n'échappe pas le corps médical. Sur Twitter, Jennifer Zeng, une blogueuse très active sur le partage d'informations relatives au coronavirus, publie une note de service à destination des unités médicales et gouvernementales de la ville de Xiantao, leur interdisant notamment la publication de quelque information que ce soit au sujet du virus.
Xiaotao City in #Hubei Province is very serious about controlling info about #COVID2019 #Coronavirus #CoronavirusOutbreak #coronaviruschina. See what they say you cannot do.#湖北 仙桃卫健委文件,直到今天首要任务仍然是压制 #疫情 信息 #武汉肺炎 #新冠肺炎 #新冠病毒 pic.twitter.com/4aJHgXcTxe
— 曾錚 Jennifer Zeng (@jenniferatntd) February 19, 2020
Source : Vice