© Blue Andy / Shutterstock
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Cet été, la France a dévoilé un plan visant à porter la filière électronique jusqu'en 2030, symbolisé par une mégafab de semi-conducteurs qui s'installera en Isère. Si l'ambition est réelle, les contours de cette stratégie restent flous.

En juillet, Emmanuel Macron a présenté le plan Électronique 2030, doté d'une enveloppe de 5,7 milliards d'euros, qui fait partie de la stratégie plus globale France 2030. Ce plan est spécialement dédié à l'évolution des composants et systèmes électroniques, avec une volonté du gouvernement de s'éloigner progressivement de sa dépendance chronique à la Chine. L'annonce forte de ces dernières semaines, l'ouverture prochaine d'une usine de production de semi-conducteurs du côté de Crolles en Isère, est en train de secouer le cocotier. Une « mégafab », carrément flatteuse sur le papier. Mais quels produits en sortiront ? Et de façon plus générale, quelles sont les réelles ambitions de la France en la matière ?

Le constat : l'Europe est à la traîne dans la fabrication mondiale de composants semi-conducteurs

Il existe une pénurie de puces, mais aussi une pénurie de compétences dont le monde entier souffre et plus particulièrement l'Europe, qui aujourd'hui représente à peine moins de 8 % de la production planétaire de semi-conducteurs, contre 20 % en 2000. Aujourd'hui, l'évidence veut que trois quarts des composants semi-conducteurs soient fabriqués dans la région Asie-Pacifique, c'est-à-dire en Chine, à Taïwan, en Corée du Sud ou bien au Japon.

La France va donc consacrer plus de 5 milliards d'euros au développement de la filière électronique, dont 800 millions d'euros dédiés à la recherche dans ce secteur, 50 millions d'euros à la formation, et le reste réservé à l'investissement dans des capacités de production. Le gouvernement considère que son plan aidera à augmenter les capacités de production de composants électroniques de l'ordre de 90 % d'ici 2026-2027.

L'État a saisi les enjeux d'une conception et d'une fabrication sur le sol européen, les semi-conducteurs étant des matériaux utilisés pour la fabrication de composants (les puces) intégrés dans des systèmes électroniques de produits essentiels, comme les systèmes de communication, les voitures, les cartes de crédit, les équipements électroménagers, les équipements de santé, les systèmes de défense, les capteurs civils et militaires ou les unités de production d'énergie renouvelable, pour ne citer qu'eux.

Une mégafab à Crolles pour relancer l'activité de semi-conducteurs en France

Dès 2018, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Autriche mettaient sur pied le plan Nano 2022, afin de donner un coup de fouet à la recherche, au développement et à l'industrialisation de composants électroniques dans des filières comme l'IoT, l'automobile, l'aérospatial, la défense et la sécurité.

Six industriels sont associés à ce programme (STMicroelectronics, Murata, Lynred, Soitec, UMS et X-FAB). Le premier d'entre eux, le fabricant de semi-conducteurs STMicroelectronics, a d'ailleurs mis en place la première ligne de production de composants GaN sur silicium, pour l'électronique de puissance haute performance, à Tours.

© Pixabay
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La multinationale, qui compte Bpifrance et le ministère italien de l'Économie et des Finances comme principaux actionnaires, porte d'ailleurs un projet d'envergure dans l'hexagone. En association avec GlobalFoundries, le plus grand fondeur américain de puces, STMicroelectronics va installer une mégafab à Crolles, en Isère, qui devrait entrer en production dès 2023. Le site, qui est déjà le plus important en termes de production de puces françaises, va ainsi doubler de capacité de production de semi-conducteurs d'ici 2026. « C'est faire en trois ans et demi ce qui a été fait en trente ans d'histoire sur ce site », explique Jean-Marc Chéry, patron de STMicroelectronics.

Les solutions technologiques françaises émergent

Qu'est-ce qui sera fabriqué dans cette usine de production ? On l'ignore encore avec précisions (nous avons essayer de contacter STMicroelectronics, sans réponse pour le moment), mais le ministère de l'Économie et des Finances nous en a dit un peu plus sur les puces que la France veut fabriquer sur le territoire.

On sait notamment que GlobalFoundries fabrique des puces centrées sur les technologies FD-SOI, économes en énergie et que l'on retrouve dans les microcontrôleurs, les enceintes connectées, les radars automobiles ou les smartphones 5G. Google équipe par exemple ses Pixel 6 de puces FD-SOI de technologie française, portée par Soitec, pour son émetteur-récepteur 5G en bande millimétrique. Le composant est en technologie FD-SOI de 28 nanomètres, licenciée à STMicroelectronics, mais il est fabriqué par Samsung. La mégafab iséroise pourrait à terme changer ce dernier détail, pourquoi pas.

« STMicroelectronics développera et industrialisera la technologie 18 nm FD-SOI, la plus avancée pour un acteur européen », confirme le ministère., qui évoque aussi le « développement de la prochaine génération de procédés de fabrication de semi-conducteurs basés sur la technologie FD-SOI6 avec un procédé de fabrication de la classe 10 nm pour répondre aux principaux besoins industriels français et européens de 2030. »

La mégafab pourrait conduire à la création de 1 000 emplois directs, afin de faire tourner un maximum cette nouvelle unité de production. En plus des 5,7 milliards d'euros de financement initial, 10 milliards d'euros d'investissements seront réalisés, en France, pour mener à bien des projets d'envergure et offrir au pays, dans le cadre du futur projet européen commun (PIIEC), la première industrialisation au niveau mondial de technologies électroniques de pointe. La France pourrait ainsi, selon le président Macron, augmenter sa production d'environ 30 % dans les quatre ou cinq prochaines années.

Des efforts soutenus par la Commission européenne

Le 8 février dernier, la Commission européenne a annoncé le Chips Act, qui peut se résumer à la nouvelle stratégie de l'UE dans les semi-conducteurs, mêlant innovation, recherche, augmentation des capacités de production, sécurisation des approvisionnements et viviers de compétences.

Ce Chips Act devrait porter sur 43 milliards d'euros d'investissements (publics et privés) pour pouvoir, dans le futur, mieux appréhender les éventuelles perturbations des chaînes d'approvisionnement. Bruxelles pense que l'UE pourrait, grâce à cette stratégie, doubler la part de marché européenne de fabrication de semi-conducteurs, pour atteindre les 20 % d'ici 2030.