Dévoilé en octobre 2010, le Mac App Store, la boutique de logiciels réservée à Mac OS X, a su attirer de nombreux développeurs. Au fil des mois, les différents éditeurs ont ainsi repensé leurs stratégies pour prendre en compte ce nouveau canal de distribution. Mais au fait le jeu en valait-il la chandelle ? Huit mois après l'ouverture du Mac App Store au 6 janvier 2011, la société Apple a-t-elle su remettre en place une nouvelle poule aux oeufs d'or et reproduire le succès de son kiosque d'applications pour iOS ? En contactant plusieurs développeurs Clubic s'est penché sur le sujet.
La transition vers le Mac App Store
L'une des particularités du Mac App Store est la possibilité, pour le consommateur, de recevoir d'une traite l'ensemble des mises à jour pour chacune des applications téléchargées. Le processus s'apparente donc à celui du système iOS. Afin de pouvoir glisser son application au sein de ce canal privilégié des utilisateurs de Mac OS X, il était donc tout d'abord nécessaire de revoir l'architecture des logiciels. Interrogé par nos soins l'année dernière, Mike Wray, président de Mariner Software (MacJournal, StoryMill, Mariner Writer...), expliquait : « il semblerait que les développeurs aient besoin de créer deux versions de leurs logiciels, une pour le Mac App Store et une autre pour les autres distributeurs ». Près d'un an plus tard, M. Wray admet que le processus n'a pas été tout rose. « A certains moments nous nous sommes un peu embrouillés », déclare-t-il en pointant la politique d'admission d'Apple.
L'équipe développant le logiciel d'édition graphique Pixelmator avoue également avoir eu quelques difficultés pour procéder à la transition. En effet, outre le dispositif de mises à jour, l'éditeur doit également ôter son système de licences afin d'intégrer celui proposé par Apple. « Au début il y a eu pas mal de confusion pour le processus de transition. Alors pour remettre tout à plat nous avons publié une FAQ qui a permis de clarifier certaines choses ». Concrètement, Pixelmator a demandé aux clients ayant précédemment acheté son logiciel à 59 dollars de le racheter au travers du Mac App Store moyennant 29 dollars tout en bénéficiant d'une mise à jour gratuite vers les versions ultérieures 2.x.
Des conditions d'utilisation trop sévères ?
Relativement lourdes, les conditions d'utilisation du Mac App Store sont également critiquées par certains développeurs pour qui le processus de validation à pris plusieurs mois. Pixelmator n'a eu aucun problème pour proposer son éditeur. De son côté, le gestionnaire de bloc-notes Evernote explique : « le processus d'approbation peut prendre de quelques jours à une semaine. Cela dépend. Nous connaissions les conditions et avions fait en sorte que l'application respecte ces dernières ».
Pour sa part, Kosovan Oleksandr, PDG de MacPaw (CleanMyMac, Ensoul, MacHider) explique que si son éditeur de photos Ensoul fut accepté sans problème, les choses furent plutôt différentes pour l'utilitaire Machider permettant de dissimuler et de protéger les fichiers stockés sur son Mac. « Le processus de préparation et de soumission à l'App Store nous a pris près de deux mois », déclare-il. « Cela a été très dur de retirer des fonctionnalités pourtant très demandées et sur lesquelles nous avions passé beaucoup de temps ». Il ajoute que l'application CleanMyMac, le produit phare de la société, devrait perdre la plupart de ses fonctions pour être accepté au sein du nouveau kiosque d'Apple. « Il deviendrait une espèce de produit handicapé et tout ce que les gens apprécient disparaîtrait », ajoute-t-il. L'une des solutions viserait à découper l'application en plusieurs petits utilitaires.
Pour M. Wray, le Mac App Store souffrirait d'erreurs de jeunesse : « le Mac App Store est encore très jeune. Apple est clairement en train d'améliorer le système et travaille davantage avec les développeurs ».
Si l'on considère les mauvaises aventures de certains édieurs, l'on pourrait alors s'interroger sur les bénéfices réels du Mac App Store. Faut-il véritablement prendre le temps de revoir son application pour se plier aux règles strictes d'Apple ? La commission de 30% que s'octroie a firme de Cupertino sur chacune des ventes est-elle justifiée ?
Quelles incidences sur le prix de vente ?
L'une des craintes principales émises par les développeurs au lendemain de l'annonce de Steve Jobs concernait le prix de vente des applications. En effet, afin d'enregistrer un maximum de téléchargements et de multiplier les clients, les éditeurs ont tendance à brader leurs applications au sein de la boutique d'iOS. Entre-temps, Apple a permis aux développeurs de bénéficier d'achats "in-app" permettant de proposer davantage de fonctionnalités moyennant un micro-paiement. Les éditeurs de Mac OS X ont-ils été affectés par ce phénomène ?
Evernote, qui commercialise en option des souscriptions annuelles, explique que les utilisateurs peuvent migrer vers l'offre premium au travers de l'iTunes App Store ou directement sur le site de la société. Cependant, « Apple s'octroie une commission sur les mises à jour effectuées au travers de sa boutique mais les utilisateurs trouvent cette option pratique donc cela va nous convient parfaitement ». La firme estime que les kiosques d'applications constituent un canal très efficace en terme de ventes et de marketing. « Ils permettent aux sociétés comme Evernote de faire ce que nous faisons de mieux, c'est-à-dire de développer de bons produits et de bons services. Cela vaut bien les commissions demandées par les app stores ».
Si l'on compare le prix de vente des logiciels de MarinerSoftware, certains affichent un prix de vente bien plus compétitif au travers du Mac App Store plutôt que sur le site de la société. Sur le kiosque d'Apple, StoryMill et MacGourmet sont ainsi commercialisés à 39,99 dollars contre 49,99 dollars sur le site de l'éditeur. La différence est encore plus flagrante pour l'application Montage ($19,99 vs $49,95). « Normalement les prix sont identiques », nous explique-t-on « mais vous êtes peut-être tombé sur une promotion exclusive que nous déployons de temps en temps pour nos campagnes marketing ». M. Wray explique que la stratégie vise à mieux se positionner face à la concurrence, une technique qui passerait alors par une baisse des prix. Le PDG précise tout de même que ces derniers « ne baisseront pas au point de perdre de l'argent »
Si Pixelmator se montre plus discret sur les effets économiques du Mac App Store, l'éditeur explique que les 30% de commission reversés à Apple sont tout à fait acceptables au regard du nombre de ventes. « C'est nous qui déterminons le prix ; Apple n'intervient pas dans ce processus »
Mac App Store : un outil marketing ?
Les fonctionnalités du Mac App Store proposées aux éditeurs permettent également d'obtenir davantage de visibilité. A l'instar de la boutique d'iOS, Apple a mise en place plusieurs catégories permettant aux utilisateurs de découvrir les nouveautés, les titres les plus populaires ou la sélection des responsables du kiosque.
"Nous étions sûrs qu'il y aurait d'énormes bénéfices."
-Evernote -
-Evernote -
Pour certains, il ne fait aucun doute que ces outils sont très importants. L'année dernière, Binarynights, éditeur du logiciel FTP Forklift et de l'utilitaire de captures d'écran Dikk, déclarait : « Apple a clairement prouvé qu'ils avaient une meilleure solution et quelque part nous aimons leur "dictature" », en soulignant qu'il s'agissait d'un modèle économique très intelligent.
Ce sentiment semble être partagé par la société Evernote qui explique : « nous étions sûrs qu'il y aurait d'énormes bénéfices. Evernote était là lorsque le Mac App Store a ouvert ses portes et les enregistrements de nouveaux utilisateurs ont doublé ». La start-up précise que sur le million de téléchargement enregistré sur le Mac App Store durant les premières 24 heures, Evernote en aurait pour sa part comptabilisé 90 000, soit 9%. L'application fut sélectionnée plusieurs fois pour paraître au sein des catégories Featured et Top Charts, « et à chaque fois nous observons un bond dans les enregistrements de nouveaux utilisateurs », se satisfait Julia O'Shaughnessy, directrice Marketing Europe pour Evernote.
L'effet Mac App Store pour Evernote après l'ouverture du kiosque
L'application Pixelmator a également été sélectionnée pour les catégories Nouveautés, Actualités, Nos préférés et Les plus rentables. « Cela a véritablement un impact : ça fait du bien de voir que votre application se porte aussi bien. Cela vous encourage d'autant plus à continuer le développement pour rester sur cette trajectoire ».
Chez MarinerSoftware, le kiosque est simplement perçu comme un nouveau canal de revendeurs. Mike Wray admet cependant : « bien sûr le fait qu'Apple possède sa propre audience de plusieurs millions d'utilisateurs ne fait pas de mal :) ». Puisque MarinerSoftware a déjà plus de vingt ans, la firme bénéficie depuis longtemps d'une large base d'utilisateurs. M. Wray avoue cependant que de nouveaux arrivants ont découvert ses logiciels au travers de ce kiosque. Et d'ajouter : « A chaque fois qu'Apple soutien votre produit vous pouvez être sûrs que vous obtiendrez une pic en terme de visibilité et de ventes ».
"Nous avons perdu une grosse part du gâteau."
-MacPaw -
-MacPaw -
M. Oleksandr, pour qui la politique d'Apple reste bien trop stricte, ne voit pas les choses du même oeil. Celui-ci affirme ainsi : « Apple a fermé le plus gros canal de téléchargements d'applications Mac, le portail de téléchargement d'Apple. CleanMyMac était l'un des produits les plus téléchargés là-bas et nous avons perdu une grosse part du gâteau sans pour autant avoir la possibilité de migrer tranquillement vers l'AppStore. ». Selon lui, l'équipe de support technique ne se montrerait pas la hauteur tout comme les outils de promotion.
Au travers de ces témoignages il semblerait donc que le Mac App Store porte réellement ses fruits pour les éditeurs d'applications. Si le processus de transition et la phase d'approbation semblent plutôt lourdes, les outils mis à disposition par Apple permettraient cependant de multiplier les ventes tout comme la visibilité des logiciels. Reste que les conditions d'utilisation du kiosque ne permettent pas d'y placer n'importe quel utilitaire et les outils ciblant davantage les technolophiles, tels que CleanMyMac mais également Onyx ou CandyBar, modifiant certains fichiers du système, sont bannis. Comme l'explique M. Oleksandr : « En général, une place de marché unique avec beaucoup d'applications bénéficiera aux utilisateurs ordinaires, mais si ces derniers limitent leurs achats seulement au Mac App Store, ils ne prendront jamais connaissance d'applications très utiles qui ne peuvent prendre place au sein de cette boutique à cause de ses restrictions ».