A quelques semaines du coup d'envoi de la coupe du monde de football, la libéralisation prochaine des jeux d'argent en ligne suscite de nombreux émois dans l'univers du Web francophone. Il faut dire que les perspectives sont des plus encourageantes : d'après Jean-Emmanuel Casalta, directeur général du cabinet NPA Conseil, les mises pourraient représenter de 2 à 3 milliards d'euros dès 2010 en année pleine et rapidement croitre jusqu'à atteindre un volume global compris entre 4 et 6 milliards en 2013.
Jeux d'argent et médias, le couple gagnant ?
Tous attendent donc avec impatience le vote final de l'Assemblée nationale sur le « Projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne ». Étudié, mardi, par la Commission des finances, il a été validé dans les termes définis lors de l'examen au Sénat. Les députés n'ont plus qu'à effectuer un vote conforme en séance publique, le 31 mars prochain, pour que la loi soit avalisée et que les décrets nécessaires à son application puissent être rédigés. Les paris sportifs, les courses hippiques et certains jeux de table comme le poker pourront alors être opérés par les acteurs agréés en France.
Le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) a réuni lundi une centaine des acteurs concernés à l'occasion de ses premières Assises du jeu en ligne, afin de dégager quelques axes de réflexion et quelques bonnes pratiques pour engager le plus rapidement possible une activité conforme avec les futurs textes de loi. Dans la salle, des éditeurs de jeux en ligne bien sûr, mais aussi des prestataires techniques, des représentants des médias et des opérateurs mobiles.
Si les deux premiers sont attendus, les deux derniers ne sont pas les moins impatients. Tous sont en effet en train de tisser des partenariats avec des spécialistes du jeu, afin de profiter de la manne attendue. D'une part, grâce aux importantes retombées publicitaires qui découleront du lancement de cette activité. Pour Jean-Emmanuel Casalta, elles se monteront à 200 ou 250 millions d'euros annuels sur les trois ans à venir et le marché sera d'autant plus dynamique que se développeront rapidement des offres dédiées au mobile ou aux plateformes de TV sur IP.
La plupart tissent des partenariats : Orange et la Française des jeux, Lemonde.fr et SportingBet, RMC et le PMU, etc. et devraient rapidement déployer une stratégie associant contenus médias et jeux libéralisés. « Certains opérateurs de jeux vont même devenir de véritables marques média, en développant une offre entertainment, comme des services de paris en direct qui pourraient être amenés à diffuser certains événements », estime Jean-Emmanuel Casalta.
De nombreuses contraintes
En admettant que le projet de loi soit voté conforme, il reste à la future Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) à prononcer les agréments nécessaires. Valables cinq ans, ils seront le viatique indispensable à qui souhaite opérer des jeux d'argent, et se basent sur un volumineux cahier des charges qui vise essentiellement à limiter la fraude, prévenir les risques d'addiction et restreindre l'accès aux mineurs.
Le jeu sera donc contraignant. Pour l'éditeur d'une part qui devra garantir un niveau de sécurité et de conformité plus proche de ce qui se fait dans le milieu bancaire que dans celui de l'e-commerce, mais aussi pour le joueur. A l'inscription, celui-ci se verra en effet délivrer un compte temporaire, qui ne deviendra définitif qu'après vérification de son identité par l'intermédiaire de l'envoi d'un courrier postal.
Sur le plan technique, l'Arjel demande par ailleurs un accès à toutes les données de jeu, de façon à pouvoir contrôler le bon respect de son cahier des charges. Cet accès devra s'effectuer à partir de machines stockées sur le sol français, même si le reste de plateforme de jeu est hébergé à l'étranger, a précisé à ce sujet Olivier Kuhn, directeur des opérations média et télécom chez Atos Worldline, invoquant un « principe de surveillance basé sur la traçabilité ».
Il y aura, enfin, l'arsenal pénal, susceptible de punir de trois ans de prison et de 90.000 euros d'amende les offres illicites. L'Arjel aura par ailleurs la possibilité de saisir le juge des référés pour demander qu'un site déclaré illicite ne soit plus accessible pour les internautes français, a rappelé Benjamin Jacob, président de la commission Jeux en ligne du Geste. Reste encore à définir les modalités techniques et financières d'un tel filtrage, une question qui fait également débat dans le cadre de la loi Loppsi (sécurité intérieure).
Si de nombreux écueils restent à franchir, tous préfèrent toutefois se concentrer à l'heure actuelle sur l'ouverture du marché, date à laquelle une multitude d'acteurs s'engouffreront avec comme objectif unique la conquête des nouveaux joueurs et parieurs. « Il y a aura une vraie prime à la "primo-inscription" », du fait de la lourdeur des processus de vérification de l'identité, estime Jean-Emmanuel Casalta. Un constat qui complique, encore, l'élaboration d'une stratégie marketing valable. Elle se fera vraisemblablement au tout dernier moment, une fois que les décrets d'application et les nécessaires décisions du CSA quant aux messages et supports publicitaires tolérés auront été publiés.