Un char d'assaut qui émet moins de CO2, c'est concevable, mais cela va nécessiter un peu de travail © Karolis Kavolelis / Shutterstock
Un char d'assaut qui émet moins de CO2, c'est concevable, mais cela va nécessiter un peu de travail © Karolis Kavolelis / Shutterstock

La protection de l'environnement n'est généralement pas une priorité pour les forces armées. Cependant, de nouvelles technologies de batteries et de motorisations pourraient un jour changer la donne, voire même offrir de nouveaux avantages stratégiques sur le champ de bataille.

Savez-vous combien de carburant consomme un char Leclerc ? L'excellence à la française en avale près de 200 litres par heure en utilisation normale. Cet ordre de grandeur sera généralement le même pour d'autres modèles, compte tenu du poids de ce type d'engin et de ses besoins très spécifiques.

Véritable générateur de CO2, le tank d'aujourd'hui est bruyant, facilement repérable en raison de sa production de chaleur, et en totale contradiction avec nos enjeux écologiques actuels. Des motorisations électriques pourraient atténuer certains de ces défauts, mais les armées peuvent-elles se les offrir ?

Des batteries encore trop peu performantes

Quand il s'agit de nouvelles technologies militaires, on pense naturellement aux États-Unis. La première puissance militaire mondiale dépense presque sans compter lorsqu'il s'agit de développer de nouvelles armes et de nouveaux dispositifs, et les véhicules électriques ne font pas exception. Alors que le budget alloué à ces derniers était de 47,8 millions de dollars en 2022, il a été porté à 78,4 millions de dollars pour 2023. Insuffisant selon l'armée américaine, qui souhaite passer la barre des 270 millions de dollars en 2024.

Cependant, malgré tout cet argent, on est encore loin de voir des chars électriques sur le champ de bataille. « Il n'existe actuellement aucune technologie permettant de générer, de stocker et de distribuer de l'énergie dans un délai tactiquement pertinent pour les troupes de première ligne », commente-t-on au sein de l'armée de Terre.

Il va falloir de sacrées bornes de recharge pour alimenter un char d'assaut ! © cherezoff / Shutterstock
Il va falloir de sacrées bornes de recharge pour alimenter un char d'assaut ! © cherezoff / Shutterstock

Idéalement, un char de 50 tonnes devrait être entièrement rechargé en une quinzaine de minutes, tout en conservant une autonomie convenable. Cela nécessiterait toutefois une station de recharge de 17 mégawatts, soit 20 fois plus que le plus puissant générateur mobile dont dispose l'US Army pour le moment. Le défi est donc de taille, mais les États-Unis se sont donné jusqu'à 2050 pour développer un tel véhicule tout électrique, ainsi que les composants et l'infrastructure nécessaires à son fonctionnement.

La difficulté de s'affranchir du pétrole

La solution intermédiaire, comme dans le secteur civil, résiderait selon certains dans l'hybridation. Celle-ci est considérée comme étant réellement faisable et utile, et c'est là-dessus que se concentrent les efforts à court terme outre-Atlantique, mais également sur le Vieux Continent.

En France, par exemple, l'armée a récemment confié à Furion et Ian Motion le développement d'un nouveau moteur pour ses quads Polaris MV850. Pour répondre au cahier des charges, les deux entreprises sarthoises ont combiné des éléments que l'on n'attend pas forcément sous le même capot. En effet, si le nouvel engin est désormais propulsé par trois moteurs inspirés de ceux de la Citroën Ami, il est également équipé d'une batterie lithium-fer-phosphate (LFP) généralement utilisée en Formule E pour sa capacité à… s'enflammer moins facilement que d'autres types de batteries.

Le Polaris MV850 dans son format hybride a jusqu'à fin 2024 pour convaincre les militaires de son efficacité © Agence Innovation Défense

Ces quads sont capables de parcourir 20 km en mode tout électrique, dans un silence relatif et en dégageant le moins de chaleur possible. Pour l'instant, leurs batteries se rechargent complètement en une dizaine d'heures, mais c'est sans compter sur les deux moteurs à combustion que l'on retrouve à l'arrière. Ceux-ci sont issus du monde du karting, et ont pour principale fonction de recharger les batteries afin d'assurer une autonomie totale de 200 km à l'appareil.

On est encore loin des chars d'assaut, mais pour l'instant, c'est sur ce type de véhicules légers et de soutien que les armées installent des moteurs moins gourmands en énergie fossile. Dans le cas du projet français, l'électrification apporte même un avantage en termes de furtivité, ce qui pourrait être un véritable atout pour les troupes sur le terrain.

« Des avantages considérables en termes de coûts et d'environnement »

Le Royaume-Uni a également de grandes ambitions en matière d'électrification. En effet, selon les responsables de l'armée britannique, sa flotte actuelle de véhicules militaires pourrait être la dernière génération à dépendre des combustibles fossiles. C'est pourquoi le pays investit des millions de livres sterling dans l'étude des dernières technologies en matière de véhicules électriques.

« Les systèmes de propulsion électrique ont le potentiel d'augmenter considérablement le rendement énergétique de nos véhicules de combat », commente William Suttie, l'un des scientifiques à la tête du programme. « Combinée à d'autres solutions renouvelables telles que les panneaux solaires intégrés, cette technologie peut offrir des avantages considérables en termes de coûts et d'environnement. »

Les technologies actuelles en matière de batteries sont encore loin de pouvoir alimenter assez efficacement des monstres de métal tels que le Challenger 2 de l'armée britannique © Martin Hibberd / Shutterstock

Si le Royaume-Uni cherche à inscrire ses activités militaires dans un objectif écologique national, il répond aussi à l'engagement de l'OTAN d'« améliorer de manière significative l'efficacité énergétique des forces armées ». Une plus grande autonomie par rapport aux pays producteurs de combustibles fossiles est également un objectif affiché par certains commandements, et l'utilisation de biocarburants peut d'ores et déjà répondre à ces attentes.

Un long chantier technologique et politique

Les enjeux sont également humains. Selon l'armée britannique, un plus grand respect de l'environnement pourrait faciliter le recrutement de nouvelles générations plus sensibles à ces questions. Cependant, la réalité du terrain risque de toujours faire passer l'écologie au second plan, comme ne manquent pas de le souligner certains hommes politiques.

Aux États-Unis, Donald Trump et d'autres membres de son parti politique n'ont pas hésité à exprimer leurs doutes quant à l'électrification des véhicules de combat. « J'ai de sérieuses inquiétudes quant aux chaînes d'approvisionnement et à la logistique nécessaires pour soutenir les véhicules militaires écologiques », confie l'élu républicain Michael Waltz. Selon lui, les matières premières nécessaires à la fabrication des batteries posent un sérieux problème de dépendance vis-à-vis de la Chine, le grand adversaire du moment de l'Oncle Sam.

Les batteries, nerf de la guerre du troisième millénaire ? © Chemistry World

De plus, les moteurs à combustion sont généralement la solution la plus accessible pour propulser les véhicules militaires, ce qui constitue un véritable défi concurrentiel. « En fin de compte, nous devrions nous concentrer sur les véhicules de combat les plus létaux, et non sur les plus respectueux de l'environnement », poursuit Waltz. « Je peux vous garantir que la létalité sera le premier objectif de nos adversaires ». En l'état, il est difficile de le contredire, et il faudra encore attendre des avancées technologiques majeures pour apercevoir des chars d'assaut électriques à la hauteur de ce qui se fait de mieux aujourd'hui.

Mais quoi qu'il en soit, lors d'un conflit armé, la protection de l'environnement sera-t-elle jamais une priorité ? À la lumière des guerres passées et actuelles, le doute est permis.