Les deux premiers vols en 2023 n'étaient que l'amuse-bouche. Alors que les autorités n'ont pas encore donné les autorisations pour un 3e décollage, les équipes de SpaceX font tout pour être prêtes d'ici fin février. En coulisses, les exemplaires s'alignent et la production est prête à passer à la vitesse supérieure.
Cela ne fait pas tout à fait trois mois que le dernier décollage de Starship, avec le booster Super Heavy B9 et le vaisseau S25, s'est terminé par de spectaculaires explosions. Certes, SpaceX a énormément progressé l'an dernier, et dépasser la frontière de l'espace des 100 km d'altitude avec Starship était remarquable. Il reste néanmoins énormément à montrer et de nouveaux sommets à atteindre pour ce programme, qui est sous pression en interne, mais aussi de la part de la NASA qui attend Starship pour le plan lunaire Artemis. À la Starbase, au Texas, tous s'affairent pour les derniers détails avant le troisième vol...
Objectif, refaire au moins aussi bien
Retour en avril 2023. Lors du premier décollage de Starship, ce dernier avait réussi à s'élever au-dessus de son site de lancement, au prix d'une ample destruction de ce dernier : des morceaux de béton éparpillés, des impacts sur les installations aux alentours. De quoi lancer une enquête environnementale, et engager des travaux qui ont duré un trimestre entier pour améliorer ce que les équipes appellent « l'étage 0 » de la fusée.
D'autre part, certes, Starship avait décollé, mais de nombreuses pannes de moteurs successives avaient rapidement condamné le vol. Le deuxième étage ne s'était pas séparé, les systèmes de sauvegarde n'avaient pas réussi à faire sauter la fusée qui avait finalement explosé d'elle-même.
Bref, SpaceX était attendu au tournant.
Le deuxième vol était dès lors une incomparable réussite. Super Heavy avait décollé avec ses 33 moteurs, sans soulever de gigantesques nuages de débris grâce à un nouveau système de plaque refroidie situé sous le pas de tir et à un genre de déluge d'eau vaporisée par les moteurs-fusées. Jusqu'à sa séparation, Super Heavy s'était comporté comme prévu, explosant lors d'une tentative de retour pour amerrir sur l'océan, tandis que Starship, dépassant les 100 km d'altitude, avait pratiquement réussi sa mission, détruit alors qu'il ne restait que quelques secondes dans sa phase de propulsion. En janvier, lors d'une assemblée des employés de SpaceX sur le site, Elon Musk avait expliqué publiquement que sans un dégazage prévu sur ce profil de vol test particulier, qui a mené à un incendie au sein du Starship (puis à sa désintégration), le vaisseau aurait pu atteindre l'orbite.
Ces derniers mois, en plus de nouvelles réparations et améliorations du site de lancement, les équipes ont travaillé pour améliorer les réservoirs au sol et le système de remplissage dédié à Starship et Super Heavy. De nombreux équipements sont désormais encore mieux protégés en vue du 3e lancement. Ce dernier impliquera le Starship S28 et le booster B10, qui ont déjà passé une première séquence de tests de remplissages et de mises à feu, individuellement. Après un mois de travaux supplémentaires, le B10 a été réinstallé sur sa plateforme de tir le 9 février. Le premier assemblage complet de B10 et SN28 est attendu dans les jours et semaines à venir, avec à la clé un compte à rebours fictif.
Un troisième vol aux objectifs similaires... ou presque
Pour le 3e décollage, en plus de l'amélioration des processus au sol, les équipes de SpaceX vont surtout tenter d'obtenir un maximum de données et de confirmations. Les étages évoluent rapidement, ce qui n'est pas sans risque sur la fiabilité, même si évidemment tous espèrent que Super Heavy s'élancera correctement au-dessus de la Starbase. Le plan de vol sera à priori le même que pour les deux premières tentatives : après la séparation des étages, Super Heavy tentera de démontrer un retour sur Terre contrôlé pour se poser (retour réalisé sur l'océan, pour des questions de sécurité). Starship, de son côté, poursuivra son accélération pour atteindre une vitesse et une altitude suffisante pour simuler un vol orbital. En réalité, il s'agira d'un vol balistique parabolique, avec environ 30 minutes d'impesanteur avant une descente au large de l'archipel d'Hawaï.
Là encore, SpaceX tentera de faire revenir Starship S28 à travers l'atmosphère et, si son bouclier thermique le lui permet, de manœuvrer pour se poser à la verticale, toujours en mer. Inutile de le préciser, si la démonstration se poursuit jusqu'à cette étape en particulier, ce sera à nouveau un immense progrès. Même si le vol n°3 s'arrête plus tôt, il s'agit encore pour la firme californienne de cerner précisément les points à améliorer. Sans oublier des progrès évidents pour améliorer la cadence des vols : s'il décolle en mars, moins de quatre mois se seront écoulés après le lancement numéro 2. Et il est déjà prévu d'augmenter le rythme pour passer sous le trimestre pour le reste de l'année. Elon Musk a déjà expliqué s'attendre à envoyer des satellites Starlink avec Starship dès 2024 (on restera prudent, il avait annoncé la même chose en 2022, même si évidemment il y a plus de chances cette année).
Au cours de son vol, le prochain exemplaire de Starship devrait néanmoins tenter une démonstration inédite, au service de ses futurs vols pour la NASA. Il s'agira d'un transfert d'ergols entre deux réservoirs initialement clos, avec un système de transfert, de valves et de pressurisations qui représentera la base de travail pour les futurs échanges d'ergols entre deux véhicules Starship différents, en orbite. Un sujet sur lequel SpaceX souhaite montrer des avancées rapidement, en même temps que ses progrès techniques. Car malgré les retards annoncés pour la mission Artemis III, le calendrier sera serré à tenir pour que le gigantesque véhicule de l'entreprise fondée par Elon Musk soit à l'heure au rendez-vous.
Les installations au sol progressent
Si l'activité récente est relativement discrète, les observateurs sur place n'ont pas manqué de remarquer l'évolution des systèmes au sol. Pas uniquement sur la tour, sur les « bras de levage » (qui devraient servir un jour à rattraper un booster en vol) ou sur les lignes de carburants.
Une partie des anciennes installations dédiées en 2020-2021 aux premiers essais en vol de Starship à quelques kilomètres d'altitude ont été démantelées. SpaceX fait de la place pour un deuxième site de lancement. Des éléments sont d'ailleurs déjà en cours de transfert de la Floride vers le Texas, même si, administrativement parlant, SpaceX n'a pas l'autorisation de mener un grand nombre de lancements par an à la Starbase, ce qui intrigue de nombreux observateurs. Peut-être s'agira-t-il également de remplacer le premier site après quelques tirs pour l'améliorer.
De la même façon, Spacex teste désormais ses étages ailleurs que sur les installations de lancement, sur une petite annexe non loin du village de Boca Chica. Une fois complétés dans la « Starfactory », l'usine à Starship et Super Heavy, les étages sont envoyés là-bas pour de premiers essais structurels, les tests sous pression de leurs réservoirs et celui de leurs éléments mobiles (ailerons, grilles de stabilisation, etc.).
La production, de son côté, est en travaux perpétuels depuis 5 ans à présent : les bâtiments sont érigés, puis remplacés quelques mois ou années plus tard par des installations plus grandes et mieux adaptées à l'échelle d'une fusée qui, une fois assemblée, mesure 122 mètres de haut. En soi, le rythme de fabrication n'a pas encore atteint son potentiel, puisque SpaceX continue d'améliorer chaque exemplaire en fonction de ses retours d'expérience. Toutefois, on sait que les étages dédiés aux prochains vols, les Starship S29 et S30, ainsi que leurs Super Heavy B11 et B12, sont déjà prêts à mener leurs tests de mise à feu. Les équipes sont dans les starting-blocks.
SpaceX attend toujours ses papiers
Un élément qui bloque toujours l'entreprise d'Elon Musk, c'est la nature actuelle des vols de Starship : aux yeux de l'administration, en particulier la FAA, ce sont des vols de démonstration de prototypes. Et ces derniers sont encadrés au cas par cas, c'est-à-dire que pour chaque essai l'agence américaine examine les causes et conséquences de l'échec, donne ses propres pistes d'amélioration centrées sur la sécurité des vols et la fiabilité et ne délivre le prochain sésame que si ces recommandations ont été prises en compte.
Des allers-retours qui sont sans doute particulièrement utiles et dont SpaceX ne se plaint pas publiquement (au contraire de son créateur), d'autant plus qu'elles apportent une expertise certaine au processus. Mais, cela coûte cher en temps d'échange et en modifications. Ainsi, alors que les équipes de la Starbase se préparent aux derniers essais avant un possible vol au mois de mars, l'administration américaine n'a pas encore livré ses conclusions sur le vol n°2 ni autorisé une troisième tentative. Heureusement, il ne s'agit pas que d'un rapport : les experts et les équipes de SpaceX sont en relation étroite.
Trois ou quatre tirs avant une nouvelle version plus puissante ?
Cela fait déjà plusieurs fois et plusieurs mois qu'Elon Musk laisse entendre qu'après les prochains essais, une nouvelle version de Starship serait en préparation, avec un design amélioré pour être plus fiable, plus puissante et plus efficace (grâce notamment à une nouvelle amélioration des moteurs Raptor).
Le mystère demeure pour l'instant, même s'il y a des rumeurs pour évoquer des changements qui seront appliqués après l'exemplaire S32. Il y a donc de quoi voir venir, non ? Eh bien, pas nécessairement. Car l'emblématique fondateur de SpaceX a laissé entendre qu'une prochaine version serait aussi plus longue de potentiellement 20 à 30 mètres. Un futur casse-tête pour les travailleurs de la Starbase, si cela se concrétise.
D'ici là, il faudra déjà faire ses preuves avec un troisième décollage !