Éric Carreel, le président et cofondateur de Withings, le 3 juillet 2024 © Alexandre Boero / Clubic
Éric Carreel, le président et cofondateur de Withings, le 3 juillet 2024 © Alexandre Boero / Clubic

Le cofondateur de Withings, Éric Carreel, dévoile les ambitions de l'entreprise française de santé connectée, très présente à l'international, et notamment aux États-Unis. Entre innovation technologique et défis réglementaires, il évoque l'impact de l'IA, l'expansion internationale et la vision d'une santé préventive accessible à tous. Un regard unique sur l'avenir de la santé digitale.

Éric Carreel, le fondateur et président de Withings, fleuron français de la santé connectée, nous a accueilli dans son bureau, il y a quelques jours à Issy-les-Moulineaux, au terme d'une visite insolite des laboratoires de l'entreprise, que nous vous ferons découvrir dans quelques petits jours. Le dirigeant, lui, qui fut notamment à l'oeuvre de la création de la célèbre Livebox, en connaît un rayon sur la Tech.

De l'empreinte grandissante de Withings dans le monde de la santé jusqu'à l'émergence de l'intelligence artificielle, en passant par les complexités réglementaires propres à son domaine d'activité, Éric Carreel a pris du temps pour nous livrer à la fois son expérience et son ressenti du moment.

Withings, une réussite française

Lorsqu'il cofonde Withings en 2008, Éric Carreel s'aperçoit rapidement qu'il peut changer la vie des gens. « Aujourd'hui, quand je résumé la force essentielle de Withings, c'est d'être capable d'aller chercher des mesures de qualité clinique, en vie réelle, en grand nombre et pendant des années ». Une mission devenue essentielle, « parce que le monde de la santé doit se disrupter », nous dit Éric Carreel.

« On ne peut plus considérer que tout le monde va aller aux urgences à chaque fois qu'il a un peu mal à la gorge, ou qu'il ne se sent pas bien. On ne peut plus considérer que le médecin va suivre les malades chroniques uniquement avec un rendez-vous tous les six mois. Donc la santé doit sortir du milieu médical, elle doit être dans nos vies, et pour cela, il faut qu'il y ait de la mesure qui remonte ».

La balance Withings Body Smart, version Paris 2024 © Alexandre Boero / Clubic
La balance Withings Body Smart, version Paris 2024 © Alexandre Boero / Clubic
La balance Withings Body Smart, version Paris 2024, en gros plan cette fois © Alexandre Boero / Clubic

C'est donc là que Withings intervient, même si aujourd'hui, « vous avez des milliers d'applications qui demandent à leurs utilisateurs s'ils se sentent bien, s'ils ont de la fièvre. On voit que ça marche quelques jours, puis après les gens s'arrêtent ». Les utilisateurs de Withings conservent et éprouvent leurs objets pendant plusieurs années, c'est une autre force. « On a un chiffre dont on est très fiers, c'est le taux de 72% d'utilisation de nos produits 3 ans après leur acquisition », revendique son président. Dans le domaine de l'électronique, la statistique est effectivement colossale.

Une perception des produits de santé connecté qui change, même auprès des médecins

« Prenons conscience que le monde de la santé est en train d'être disrupté. C'est ce que je dis régulièrement à nos salariés », confesse Éric Carreel. De plus en plus, les médecins voient d'un bon oeil l'utilisation de produits de santé connecté, comme soutien et surveillance de certaines données.

« Il y a quelques jours, un cardiologue m'expliquait que, probablement, d'ici quelques temps, on dira que porter une montre toute la journée est mieux pour détecter les risques cardiovasculaires qu'un Holter, qui est un enregistrement cardiaque effectué grâce à des électrodes, que l'on doit porter pendant 24 heures. En 24 heures, il peut ne pas se passer grand chose ».

Autre exemple cité par le patron de Withings : l'apnée du sommeil. « On a un produit, le Sleep Analyzer, pour lequel il a été démontré que pour mesurer l'apnée du sommeil, il est meilleur que l'appareil de référence, que la polysomnographie, ces capteurs que vous gardez 24 heures sur vous, chez vous ou à l'hôpital. Une équipe australienne a démontré que l'apnée peut ne pas arriver pendant ces 24 heures. Et le fait qu'on soit perturbé pendant cette nuit-là n'est pas forcément une mesure de référence par rapport à ce qu'on vit pendant la nuit ».

Avec un pèse-personne, une balance connectée, « les gens ont l'impression qu'ils n'ont que le poids et la masse grasse, mais en fait on mesure la rigidité des artères, on pratique un ECG etc. L'évolution de ces mesures nous permet de construire des scores. Et ces scores ont une signification sur l'évolution de la maladie. On n'avait jamais eu ces datas auparavant. Ça va nous permettre d'accompagner les patients ».

Les produits et solutions Withings, pourquoi pas un remboursement Sécu ou mutuelle ?

Aujourd'hui, Withings travaille avec plusieurs mutuelles, parmi lesquelles Klesia. « Il y a des expérimentations pour pousser un peu loin l'apport de ces objets avec un accompagnement médical », nous révèle Éric Carreel, qui se rend très régulièrement au ministère de la Santé, pour avancer sur ces sujets.

« Au-delà du fait qu'on a un certain nombre de ministres qui changent régulièrement dans la santé, c'est une profession qui est en surcharge, qui est stressée. On manque de médecins, on a des déserts médicaux. Les discussions sont compliquées, parce qu'il faut trouver plus d'argent, il faut démontrer un intérêt, il faut qu'on fasse le lien avec les personnes les moins favorisées, la priorité étant donnée aux déserts médicaux  ».

Le BeamO, le prochain produit de la marque, ici en plein test dans les labos de Withings © Alexandre Boero / Clubic

La problématique de la mise sur le marché d'un produit médical innovant

Durant notre discussion, Éric Carreel a légitimement évoqué les défis liés à la mise sur le marché des produits médicaux en Europe, en comparaison avec les États-Unis. Pour lui, la complexité croissante du processus réglementaire européen pourrait avoir des conséquences potentielles sur l'innovation. Il explique que le processus de développement d'un produit médical comporte trois séries de tests : des tests d'usage, des tests de compatibilité électromagnétique, et des tests médicaux.

Selon lui, la nouvelle réglementation européenne a considérablement complexifié le processus : « On peut dire que tout ça est fait pour la sécurité des patients. En fait, je pense qu'on s'est un peu trompé, parce qu'on est rentré dans une complexité qui est essentiellement administrative ». Il décrit le système européen comme rigide et peu propice à l'innovation, avec des notified bodies (des organismes) chargés de vérifier la conformité des produits.

L'approche de la FDA (Food and Drug Administration), l'administration américaine chargée des médicaments aux États-Unis, est aux yeux d'Éric Carreel bien différente. « Là-bas, c'est très curieux parce qu'ils sont toujours dans un système concurrentiel, mais là, dans le système de la santé, ils n'ont qu'un seul organisme, la FDA. Et cet organisme est très innovant ».

« Il y a un vrai risque, pour nous Européens, c'est de s'enliser un petit peu dans ces procédures administratives qui deviennent très complexes ».

Pendant que la France progresse à son rythme, Withings saisit l'opportunité américaine

Face à une France qui avance plus lentement, Withings a boosté son développement à l'international. L'entreprise est présente dans 40 pays du monde, en Asie, en Europe bien sûr, et bientôt aux Émirats, mais aussi en Espagne et en Italie. « Aujourd'hui, on travaille énormément aux États-Unis », nous dit le cofondateur de Withings. Les USA pèsent pour 40% du chiffre d'affaires de la firme, contre 55% pour l'Europe (la France et l'Allemagne représentent chacune 20%), et 5% pour des pays comme l'Australie ou l'Asie.

Il y a cinq ans, Withings a créé une division, Withings Health Solutions, qui lui permet de travailler avec des fournisseurs de soins, assurances et hôpitaux américaines. « Les Américains n'ont pas une santé meilleure que la nôtre, elle est plutôt plus mauvaise, et le système de santé est moins efficace que le nôtre. Avec l'hyper-obésité, le diabète et autres, ils sont obligés de trouver des solutions. Comme ils sont dans un système où il n'y a pas une sécurité sociale qui couvre 85% des dépenses, les expériences sont plus faciles ».

Aux États-Unis, beaucoup de gens ne vont se soigner que lorsqu'il devient impossible de faire autrement, « ce qui coûte une fortune et n'est pas bon pour le patient, qui sera souvent dans un état plus grave ». En arrivant à prévenir ces dysfonctionnements de notre santé, on peut inverser les tendances sur le patient, pense Withings, et aussi faire des économies.

Aujourd'hui, il existe de nombreux moyens de simplifier la prise de mesures. « Avec le U-Scan, notre analyseur d'urine, on place un device dans les toilettes, avec cette idée de dire "voilà, pendant trois mois, le device va décider lui-même quand il faut prendre une mesure, et il n'y a rien d'autre rien à faire". Il n'y a alors rien de stigmatisant pour le patient », explique Éric Carreel. « C'est ce sens-là qui est absolument important ».

Éric Carreel, appuyé contre son bureau © Alexandre Boero / Clubic

Le futur de Withings ? Ne pas multiplier les produits, et s'appuyer sur l'intelligence artificielle

Éric Carreel nous partage sa vision de l'avenir pour l'entreprise, mais aussi l'impact de l'intelligence artificielle. D'abord, le dirigeant nous confirme qu'il ne souhaite pas multiplier à outrance les produits à disposition. « On préfère rendre les produits plus profonds, un petit peu comme ce qu'on peut faire avec les smartphones ». L'objectif, donc, est d'améliorer les capteurs existants pour recueillir des données de santé plus significatives.

« Notre rêve, c'est qu'en montant sur un pèse-personne, en dormant avec son Sleep Analyzer ou en portant sa montre, on puisse capter des informations de plus en plus profondes, grandes et significatives ». Carreel souligne ainsi l'importance d'un suivi de santé discret mais efficace, qu'il appelle un « ange gardien silencieux ».

Quant à l'intelligence artificielle, Withings fait déjà appel aux grandes modèles de langage (LLM) pour diverses tâches : pour écrire du logiciel, pour le support client, ou encore pour le marketing. « Là où on a un gros travail, c'est de ne pas l'utiliser uniquement en interne pour être plus efficace, mais aussi de s'en servir au service de l'utilisateur ».

Concernant l'IA, Éric Carreel ne passe pas par quatre chemins, lui qui a pourtant du métier : « Ça fait 35 ans que je bosse, j'en ai jamais vu une [révolution] comme ça ». Withings adopte aujourd'hui une approche agnostique vis-à-vis des modèles d'IA, en les testant et en les combinant selon les besoins. L'entreprise ne perd en tout cas pas de vue son principal objectif : s'adresser à la « majorité silencieuse » confrontée à des problèmes de santé chroniques, un défi croissant de notre société au sens large.

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