Alors que les géants du numérique dévorent une part grandissante de l'énergie mondiale pour alimenter leurs data centers, une source d'énergie millénaire refait surface dans leur stratégie énergétique. La géothermie nouvelle génération attire désormais les investissements massifs de Google, Meta et leurs pairs.

 Contrairement aux énergies fossiles, la géothermie produit très peu de gaz à effet de serre. © Luckyting / Shutterstock
Contrairement aux énergies fossiles, la géothermie produit très peu de gaz à effet de serre. © Luckyting / Shutterstock

Dans les vastes étendues désertiques de l'Utah, une révolution souterraine se prépare. Loin des champs de panneaux solaires et des alignements d'éoliennes qui parsèment désormais le paysage américain, des foreuses s'enfoncent à plusieurs kilomètres sous terre, là où le mercure grimpe. Cette chaleur, aussi vieille que la Terre elle-même, attise aujourd'hui les convoitises des mastodontes du numérique, en quête perpétuelle d'énergies fiables et décarbonées pour leurs installations énergivores.

Une renaissance portée par plusieurs start-up et des avancées techniques issues de l'industrie pétrolière qui pourraient modifier les règles du jeu de l'énergie décarbonée. Encore plus lorsqu'on connaît l'impact énergétique délétère de l'intelligence artificielle sur notre planète, qui pourrait, à terme, nous conduire dans une grave crise environnementale.

Parce qu'une piqûre de rappel ne fait jamais de mal, il convient de définir ce qu'on entend précisément par énergie géothermique : c'est l'exploitation de la chaleur interne de la Terre. Cette chaleur, résiduelle de la formation de notre planète et générée par des processus radioactifs, est stockée dans les roches et les fluides du sous-sol. C'est une énergie renouvelable, propre et durable, tirant parti d'une source de chaleur pratiquement inépuisable. Voilà pourquoi les acteurs de ce secteur s'y intéressent.

Les titans de la tech plongent dans les entrailles de la Terre

L'histoire s'accélère depuis qu'en octobre dernier, Fervo Energy, jeune pousse texane, a reçu le feu vert des autorités américaines pour développer son grand projet dans le comté de Beaver. Cette centrale géothermique sera capable de générer une puissance colossale de 2 000 MW, l'équivalent de deux réacteurs nucléaires. Si tout va bien, celle-ci devrait être prête en 2028.

Google s'est déjà positionné comme client principal, voyant dans cette source d'énergie continue la solution idéale pour alimenter ses data centers en complément de l'énergie nucléaire. Dans son sillage, le groupe Meta s'est allié à Sage Geosystems pour s'assurer 150 mégawatts de puissance d'ici 2027, témoignant d'une tendance de fond grandissante dans l'industrie numérique.

Schéma d'un système géothermique amélioré : l'eau froide injectée dans un réservoir fracturé remonte chauffée pour produire de l'électricité. © Nature
Schéma d'un système géothermique amélioré : l'eau froide injectée dans un réservoir fracturé remonte chauffée pour produire de l'électricité. © Nature

La géothermie, version 3.0

La géothermie moderne rompt radicalement avec ses ancêtres. Fini le temps où l'on se contentait d'exploiter les sources chaudes naturelles. Les ingénieurs créent désormais leurs propres réservoirs de chaleur, en injectant eau et sable sous haute pression dans les profondeurs terrestres, jusqu'à plusieurs kilomètres sous nos pieds où la température atteint naturellement 200° C.

Cette technique, héritière inattendue de l'industrie pétrolière, permet de fracturer la roche et d'établir un véritable circuit d'eau chaude souterrain. Le processus implique le forage de deux puits distincts : le premier pour l'injection qui crée des fissures dans la roche, augmentant sa perméabilité, le second pour extraire en continu l'eau chaude pressurisée qui alimentera les turbines électriques. « Nous pouvons désormais fournir des quantités massives d'énergie géothermique au marché à des vitesses inédites », explique Emma McConville, géologue chez Fervo.

Les techniques de forage horizontal, en particulier, ont complètement révolutionné les pratiques du secteur. Les fissures créées par la fracturation ont tendance à se propager verticalement. Or, le forage horizontal permet de croiser de nombreuses fractures et d'injecter ou d'extraire l'eau d'un volume rocheux beaucoup plus important.

Cette approche, baptisée Enhanced Geothermal Systems, bénéficie directement de l'expertise et des équipements de l'industrie pétrolière, recyclant notamment les imposants derricks de 30 mètres de haut pour une cause plus vertueuse. « Pouvoir maintenir ces équipements en activité, mais cette fois au service d'une énergie décarbonée, constitue l'un des aspects les plus gratifiants de notre industrie », souligne McConville.

La conquête des abysses terrestres

Le projet Utah FORGE, laboratoire grandeur nature du Département américain de l'Énergie, illustre parfaitement les progrès fulgurants de ce secteur. Les coûts de forage ont chuté de moitié grâce à des innovations constantes, notamment dans le forage horizontal.

Une entreprise canadienne, Eavor, développe de son côté une approche sans fracturation, utilisant un système de guidage magnétique sophistiqué pour créer des boucles souterraines fermées. Au lieu de chercher des poches d'eau chaude préexistantes, Eavor crée donc artificiellement un système de collecte de chaleur en profondeur.

La géographie jouera un rôle déterminant dans l'essor de cette technologie. Une recherche publiée au mois de janvier dans la revue Nature Energy révèle que dans l'ouest des États-Unis, la géothermie nouvelle génération pourrait supplanter économiquement l'énergie nucléaire.

Carte montrant la capacité géothermique des États-Unis, avec une concentration majeure des ressources dans l'ouest du pays. © Enhanced Geothermal Shot Analysis for the Geothermal Technologies Office

Malgré des coûts de forage encore élevés – chaque puits se chiffrant en millions de dollars – cette technologie trouvera peut-être sa place dans le puzzle énergétique contemporain. Sa force ? Une production stable et continue, précieux complément aux énergies solaire et éolienne, par nature intermittentes. Reste maintenant à prouver que ces centrales peuvent moduler leur production au gré de la demande, sans usure prématurée des installations. Un défi technique qui, s'il est relevé, pourrait certainement installer la géothermie nouvelle génération parmi les piliers de notre mix énergétique de demain.

Source : Nature