Citation :
''Les salariés ne comprennent pas toujours que le patron ne se paye pas. Qu'il a créé la société avec rien. Que c'est un pari. Mais ce patron, il ne doit pas communiquer ce stress.”
- Nom : Movidone
- Activité : gestion de VOD et paiement
- Création : juillet 2010
- Localisation : Strasbourg
- Fondateurs : Sylvain Lamarche et Sébastien Lutz
- Effectifs : 3 associés, 3 collaborateurs
- Mise de départ : 7 600 euros
- Clients : professionnels de l'audiovisuel et du cinéma
- Modèle économique : frais de mise en service
- Chiffre d'affaires : prévisionnel 2014 : 600 000 euros
- Equilibre : non communiqué
- Salaire du patron : non communiqué
- Levée de fonds : non
- Concurrents : DotScreen, Hubee, Saffron Digital
- Projets : créer des pôles spécialisés dans les marchés à fort potentiel
L'entreprise qu'il y a derrière l'écran
Une start-up, c'est un peu comme un radeau : fait à la main et risquant de se disloquer aux premiers rapides. Loin du paquebot et de son capitaine auxquels il ne faut pas comparer Sylvain.
Pendant plusieurs mois, Sylvain ne cesse d'appeler Olivier. Son but est de lui proposer sa plateforme de vidéo à la demande. Il promet de s'occuper de tout, de la sécurisation jusqu'à la diffusion des contenus. C'est déjà ce qu'il réussit à faire depuis 2007 avec Vidéoàvolonté, son site de VOD multiplateformes pour le grand public. Mais de son poste de « Senior Digital Business Manager » chez Warner Bros France, Olivier décline, décline et décline encore. « Je ne voulais pas travailler avec eux », se souvient-il.
Puis un jour, il tombe sur un article, « sur Clubic ». « J'apprends que des Français ont réussi à commercialiser de la VOD sur iPhone. Là ça commence à m'intéresser. Je passe un coup de fil à un ami dans un autre studio pour sonder son opinion. Finalement je rappelle Sylvain et lui demande s'il peut faire la même chose pour Android », raconte Olivier. En 2010, celui qui devient Movidone, signe avec Warner Bros.
Pop-corn au congélateur
Pendant ses études, Sylvain constate comme d'autres internautes que l'offre illégale est bigrement bien organisée. Tout y est. Les films sont documentés. Faciles à télécharger et à visionner. Et même en VOST. Mais au fond, Sylvain n'est pas un flibustier, même s'il partage ce côté conquérant. Alors il décide d'apporter la solution lui-même en se jetant dans le bouillon de l'entreprise. « Trop ambitieux », il veut aller plus vite que Netflix et proposer, déjà, de la vidéo à la demande sur abonnement. Mais rapidement, le mousse alsacien et son compagnon Sébastien se prennent un sérieux coup de canon des studios - ils leur demandent trop d'argent. Exit la SVOD, le service, torpillé, fera de la VOD.
Un deuxième boulet est tiré par le CSA qui rappelle à leur bon souvenir ce qu'est la chronologie des médias : elle dit quand et où sont exploités les films. Pour que la VOD passe, il faudra que cette règle trépasse. Car sa fenêtre de tir est mince : elle s'ouvre quatre mois après la sortie d'une oeuvre en salle, et se referme dix mois plus tard, quand c'est au tour des chaînes de télévision. Repousser une séance à la demande au lendemain, c'est risquer de se faire pincer les doigts dans la porte qui se referme. Il n'y a plus qu'à congeler les pop-corn et patienter trois ans, quand le film sera en SVOD.
Tout compte fait le projet avance. Arrivé en 2010, il affiche un catalogue de 10 000 titres. Plus qu'agréger des films, Vidéoàvolonté a engrangé un savoir-faire sur lequel Sylvain compte désormais capitaliser. Diffusion sur iOS, Android, BlackBerry, Smart TV, en mode déconnecté, ultra-sécurisée et bientôt labellisée Ultraviolet... Sylvain raconte qu'à ce moment « la demande du marché se fait sentir » si bien qu'il décide d'exporter sa techno pour la proposer aux entreprises, en B2B. Ainsi naît Movidone.
22 ans et Alsacien
Lauréat Oséo 2011 et lauréat Réseau entreprendre en 2012, le projet est reconnu. Et avec le studio Warner pour client, d'autres gros poissons mordent peu après : Pathé, HP, Gulli aussi. En septembre 2013 la start-up signe avec LG pour équiper ses téléviseurs connectés du service Vidéoàvolonté. Une étape « cruciale » pour l'équipe. Movidone assure aussi la diffusion d'émissions en direct sur Playstation 3 et 4. Sylvain se souvient du chemin effectué, de ses premiers contacts avec les grands groupes...
Quand on commence ce métier, « on va direct à l'échafaud » ! C'est « comme ça qu'on apprend, en frontal », dit Sylvain, avec un peu plus de bouteille aujourd'hui. Il ne le « nie pas », les cours suivis à l'école ont préparé le terrain. Il n'empêche que le jour où il contacte une grande chaîne de télévision pour lui proposer sa plateforme de VOD, elle tique. « Quand on a 22 ans et qu'on vient de Strasbourg, ils vous regardent bizarrement », raconte l'entrepreneur. « Il faut un an pour obtenir les premiers droits vidéos. Par contre une fois qu'un nom connu vous fait confiance, ça débloque la situation. »
Convaincant, Sylvain finit par attirer ce cadre de Warner Bros France, Olivier, qui devient directeur commercial et marketing de Movidone. Un sacré coup de boost pour la start-up qui peut désormais profiter de cet homme de réseaux. Il voulait « arrêter avec les grands groupes et leurs lourdeurs ». Toujours passionné par le divertissement, Olivier préfère l'agilité des petites structures, les chaînes de décision courtes », quand « ça va vite ». Lui-même contribue à « raccourcir les délais » avec son carnet d'adresses : « Quand on parle directement au directeur général, c'est plus simple, non ? »
Désormais Sylvain est associé avec un plus expérimenté. Mais l'entrepreneur a beaucoup appris en peu de temps, et a canalisé son stress. « Il y a eu des phases de panique avec la première société, parfois c'est la loi des séries et tous les problèmes s'enchaînent », raconte celui qui réussit à ne pas se démobiliser. « Ce sont des problèmes qui peuvent n'avoir aucun rapport entre eux et qu'il faut apprendre à gérer calmement mais urgemment pour en minimiser l'impact. Cela peut demander de travailler sans arrêt jusqu'à 3 heures du matin, le tout, sans diffuser son stress à ses équipes. »
Patron, pas baron
C'est la face cachée. A 20 000 lieues du capitaine d'industrie, un petit chef de start-up sans un kopek souffre malgré tout de la sale image du patron. « On dit que c'est facile de créer une entreprise mais on ne voit pas l'investissement qu'il y a derrière, surtout en tant qu'employé », clame Sylvain. « Il ne voit pas que le patron ne se paye pas. Il ne voit pas qu'il a fondé la société avec rien. Il ne mesure pas la pression sur ses épaules. »
L'entrepreneur doit avoir les « reins solides », dit-il, car il a plusieurs personnes « à nourrir », et « chaque décision peut avoir un impact important ». Pourtant Sylvain ne doit pas montrer ses moments de fébrilité. Il doit tenir la barre fermement. Les secousses de la houle, lui seul doit les ressentir dans les bras et éviter que des coéquipiers ne passent par-dessus bord. Il doit aussi savoir lâcher du lest quand la structure est menacée.
« Lorsque je donne des cours à Supinfo ou à l'Epita, je repère les bons éléments et leur propose de nous rejoindre, mais il est arrivé que je me trompe. J'ai dû me séparer de collaborateurs car nous n'avions pas la même vision. Pas facile quand on bossait ensemble depuis trois ans », raconte le patron de Movidone. Mais « c'est très compliqué » : Sylvain se demande s'il ne fait pas erreur. S'il n'en réclame pas trop à ses équipes. Pour le rassurer dans son choix, il consulte ses collaborateurs. « C'est un cap à passer. »
Une autre façon de savoir s'entourer pour Sylvain a été de s'expatrier six mois aux États-Unis. « On voit qui sont les amis fidèles, cela permet d'avoir un avis tranché sur les personnes à qui on peut demander des retours sincères sur son entreprise, sur ses idées », dit celui qui se sent parfois injustement jugé. « Lorsqu'on fait 350 000 euros de chiffre d'affaires, certains comprennent que c'est la somme qu'on se met dans les poches mais cela n'a rien à voir. C'est alors dur à expliquer que la rémunération est faible car lorsqu'on paye un salarié 2 000 euros net par mois, l'entreprise doit sortir le double. »
Ni son père, ingénieur en électronique, pas plus que sa mère, employée en hôpitaux, ne sont entrepreneurs. « Tous ces investissements personnels sont des paris, rien 'n'est acquis », souligne Sylvain. « Nous faisons des réunions régulières et nous consultons toujours nos clients pour sonder les besoins afin de nous renouveler. Nous devons avoir une vision sur trois ans, surtout dans la technologie », poursuit Olivier. Car une start-up « ne sait pas où elle sera dans un an ». Jusqu'à présent, la start-up reste fidèle à la devise de Paris, « battue par les flots, mais ne sombre pas ».
Thomas Pontiroli