JB - Denis Ettighoffer, bonjour. 25 ans après votre livre sur l'entreprise virtuelle, vous publiez "NetBrain". Le roman vous semble plus adapté qu'un essai pour faire passer vos idées sur l'économie de l'immatériel ?
DE - En vérité, j'ai pris le parti d'écrire un essai car il me donnait plus de liberté pour décrire des phénomènes interdépendants et complexe sur l'économie de l'immatériel. Rapprocher le formidable développement de la Toile et les différents aspects de la netéconomie caractérisés par le développement des échanges des biens numériques ( donc des contenus) et leur influence sur les stratégies à la fois des opérateurs, des entreprises et des Etats, notamment en matière de propriété intellectuelle, nécessitait un écriture en long cours et globaliste. Il s'agit en effet d'analyser des écosystèmes sociaux-économiques en pleine mutation sous l'influence d'Internet. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité rappeller à chacun et d'entrée que la Toile serait la première puissance économique mondiale avant la fin de la décennie. Ce qui pèse de façon considérable sur les modes de création de richesses et les modèles économiques de nos entreprises. Il n'est qu'à voir les difficultés actuelle des éditeurs de musiques pour s'en faire une idée.
JB - Concrètement, qu'est-ce que ce Netbrain ? La bataille de l'intelligence se livrera t'elle entre Etats ? Entre entreprises ? Entre entreprises... et Etats ?
DE - Tout cela à la fois. Des entreprises essaient déjà d'évincer leurs concurrents en utilisant toutes les stratégies possibles offertes par les lois sur le droit des marques et des brevets. De ce point de vue, elles tenteront de s'emparer de biens immatériels pour leurs usages exclusifs. En d'autres termes elles vont tenter de transformer des biens numériques collectifs en biens numériques privés en pratiquant ce que j'appelle des "stratégies d'expropriation des savoirs" comme on le constate déja dans de nombreux secteurs comme les logiciels informatiques, les OGM ou le génome humain. De façon similaire, les nations vont tenter de se doter de blocs de compétences exclusives, ce qui fait monter en première ligne le braconnage international des compétences et une accentuation de la concurrence entre les grandes écoles et les laboratoires de R&D. La défense et l'acquisition des patrimoines immatériels de valeur va devenir l'objet central de l'intensification annoncée des batailles de l'intelligence... au grand bonheur des cabinets d'avocats.
JB - Le gouvernement français semble prendre conscience des enjeux de l'économie de l'immatériel et a récemment commandé un rapport sur le sujet à Maurice Levy. Qu'avez-vous pensé de ses conclusions ? Auriez vous de nouvelles recommandations ?
DE - La qualité de ce rapport est d'avoir porté à l'attention du plus grand nombre un enjeu dont je suis convaincu qu'il n'est pas suffisament compris dans les états majors politiques et des entreprises. J'ai eu l'occasion de m'en expliquer lors de la fusion de Mital et d'Usinor. De ce point de vue je l'ai trouvé trés insuffisant sur les dangers et les enjeux auquels une nation comme la nôtre devra faire face. Je pense par exemple à la spéculation croisante sur les innovations et leurs effets sur la bourse, sur l'importance à accorder à la confusion entre découvertes ( qui favorise la biopiraterie) et les brevets ( qui assure la preuve d'une véritable activité inventive) ou encore au fait que la concurrence ne s'établit pas sur la quantité de savoir mais sur l'intensité des échanges et la libaralisation des idées et qu'il existe des méthodes et des outils pour en tirer parti.La France se trouve dans la même situation que les Etats-Unis dans les années 80, un immense savoir faire et mais insuffisament organisée pour le transformer, le promouvoir et le vendre. Un simple exemple. Au Canada des universités ont passé des contrats avec une société ( trader) spécialisée dans la valorisation et la commercialisation de leurs brevets. Ce qui leur facilite le financement de leurs dépôts et le suivi de la défense de leurs droits. Ce n'est pas le cas en France où les universités ont du mal à financer la protection et la commercialisation de leur R&D.
JB - Denis Ettighoffer, je vous remercie.