L'adoption du logiciel libre : un mouvement qui ne se dément pas...
En 2007, l'adoption par le marché de logiciels Open Source ne s'est pas démentie (+80% de croissance d'après l'étude de PAC pour la France) et le potentiel de croissance reste énorme si l'on regarde les choses d'un peu plus près. Tout d'abord jamais le marché n'a été aussi mature. Les exemples de grands comptes qui intègrent des composants Open Source à leur schéma directeur sont de plus en plus nombreux et non des moindres.
On peut citer la démarche de la RATP qui a intégré le SGBD Open Source PostgreSQL à ses préconisations technologiques pour ses applications métiers ou encore le Crédit Mutuel et l'industriel Plastic Omnium qui ont opté pour des solutions de GED Open Source, sans parler de l'arrivée remarquée des solutions décisionnelles libres.
On peut également se rappeler la décision de PSA de déployer Linux sur 20.000 postes de travail et sur 2.500 serveurs avec l'aide de Novell/Suse. Nous sommes définitivement loin de l'époque ou les logiciels libres occupaient le devant de la scène des seuls serveurs Internet. Dans le même temps cette percée du logiciel libre vers les couches métiers ou les postes clients n'en est qu'à ses balbutiements, en regard des taux de pénétration actuels de l'Open Source sur la totalité du système d'information.
Du côté des grands offreurs mondiaux de l'informatique, bien que les motivations soient très différentes, le mouvement Open Source s'ancre fortement au cœur des stratégies de développement. Soit parce que les logiciels atteignent des niveaux de complexité tels qu'ils vont bientôt être hors de portée d'une entreprise isolée (Steve Balmer a annoncé que Vista serait sans doute le dernier OS que Microsoft développerait seul, met une bonne partie de Mac OS X en open source avec Darwin et utilise un noyau BSD). Soit parce que le modèle Open Source, par nature coopératif, est le seul qui en cas de succès accélère de façon drastique une adoption massive au niveau mondial. Cette concomitance des leviers de motivations tant du côté de l'offre que de la demande sont les meilleurs gages de la vitalité du mouvement Open Source pour les prochaines années.
Une évolution forte des modèles économiques
Une des plus grandes inconnues qui pesait sur le logiciel libre il y a 5 ans était bien sa capacité à trouver son modèle économique, à l'instar des premiers sites Internet tout gratuit. Où en est-on aujourd'hui ? De fait, est-ce un effet de l'évolution ou de la sophistication ?
Les modèles économiques s'avèrent de moins en moins directs. L'exemple récent de Google est sans doute le plus marquant du moment. L'entreprise développe et met à disposition des ressources logicielles innovantes et gratuites (qui représentent des développements logiciels colossaux) afin de tirer le meilleur parti du trafic généré via ses liens sponsorisés. Pour mémoire, le modèle a fait bien des sceptiques !
Avec la nouvelle plate-forme Android pour mobile développée selon un modèle Open Source Google cumule deux approches. D'une part, comme Google l'a fait sur le poste de travail, l'entreprise va proposer des services logiciels sur le portable en vue de créer une addiction (accès à une messagerie unifiée, géolocalisation de services, accès à un stockage multimédia gratuit, moteur de recherche, portail d'information...), d'autre part, elle fournit une plate-forme complètement ouverte afin d'accélérer le développement d'applications tierces ou la personnalisation par les opérateurs télécoms de leurs propres services. À n'en pas douter Symbian doit prendre la menace au sérieux.
L'évolution des modèles économiques vers une commercialisation indirecte ne touche pas que le monde du logiciel. D'autres exemples sont en marche dans le domaine des télécoms où la mise en place d'infrastructures de communication ne sera plus rentabilisée par des minutes de connexion, mais par des abonnements forfaitaires d'accès à des contenus ou par la publicité. Et que penser encore de la brèche ouverte par Steve Jobs qui a réussi le tour de force de s'octroyer une part significative des communications opérateurs en contrepartie de l'exclusivité de la commercialisation de l'iPhone ?
De l'adoption à l'exploitation d'un logiciel libre
Le monde du logiciel n'échappe pas à cette évolution des modèles économiques et présente en la matière son propre modèle indirect. Jusqu'alors les coûts de conception et de développement d'un logiciel étaient rentabilisés par le paiement d'un droit d'usage. Pour les logiciels libres les coûts de développement (et particulièrement de mise au point) sont fortement réduits, car partagés, mais sa promotion marketing, sa coordination et son support ultime doivent trouver une contrepartie commerciale. C'est ce nouvel équilibre qui est en cours de stabilisation.
En effet, dès qu'un logiciel libre est choisi par une entreprise, de par ses qualités et sa couverture fonctionnelle, l'interrogation immédiate de l'entreprise est celle de son exploitabilité dans le temps. En d'autres termes, de sa maintenance et de son support. Cette question centrale du support des logiciels libres est vue de l'entreprise comme l'un des points de rupture majeure du modèle Open Source par rapport aux logiciels propriétaires dont l'éditeur est naturellement le fournisseur de la maintenance. Parmi les attentes connexes, on trouve les cycles de maintenance (fourniture des « patchs » et mises à jour) ainsi qu'une visibilité sur la planification du développement de nouvelles fonctionnalités (« roadmap »).
Après quelques années d'ajustements, la pérennité d'un modèle d'éditeur Open Source à même de répondre à ces attentes du marché semble en voie de stabilisation. Sur le modèle d'un support assurance et d'une maintenance logicielle, la société a valeur d'exemple sur le marché, et la dynamique ne semble pas faiblir. De nouveaux acteurs sont en passe de réussir leur entrée en piste à l'échelle mondiale, à l'instar d'Alfresco dans le domaine de la GED. Et les valorisations suivent. Après Jboss acquis pour 350 M$ par Red Hat, ou Suse par Novell, c'est au tour de XenSource d'être acquis par Citrix dans le domaine de la virtualisation de serveurs pour plus de 500 M$. Oracle semble lui aussi avoir intégré l'importance du support des logiciels libres et s'est mis à son tour à offrir du support Linux sur la distribution Red Hat !
Tout comme les logiciels ont progressivement représenté une part majeure de la valeur ajoutée des équipements électroniques, il y a fort à parier que les services représentent une part importante de la valeur ajoutée des logiciels, désormais de plus en plus libres. Les grands acteurs de l' informatique ainsi que la plupart des intégrateurs sont en tout cas en train d'intégrer cette nouvelle donne à leur stratégie de conquête.
Tribune libre de Patrick Bénichou, président fondateur d'Open Wide.