Dogecoin

Il aura suffi de quelques tweets de Elon Musk pour voir Dogecoin faire irruption dans le top 12 des crypto-monnaies mondiales. Consécration ou aberration ? Difficile à dire, mais au moins peut-on chercher à mieux connaître cette « petite » monnaie qui veut désormais jouer dans la cour des grands. Explications.

Le crypto-meme a-t-il un avenir ?

Doge... quoi ?

L’histoire commence en 2013. Bitcoin, apparu en 2009, suscite déjà un intérêt notable, son cours s’envole et sa capitalisation se chiffre bientôt en milliards puisqu'elle dépassera pour la première fois cette année-là, en décembre, le seuil de 10 milliards de dollars. Dans les forums spécialisés, les crypto-monnaies font le buzz et suscitent des velléités. Des dizaines de projets apparaissent, plus ou moins solides, plus ou moins éphémères, souvent clonés à partir d’autres monnaies.

Sans s’être jamais rencontrés, deux ingénieurs, Billy Markus (IBM) et Jackson Palmer (Adobe) vont, ensemble, donner naissance à Dogecoin.

Dogecoin

Sur Twitter, devant l’effervescence suscitée par les cryptos, Palmer lance : « J’investis dans Dogecoin, carrément sûr que c’est le prochain gros truc ». C’est une simple boutade : il n’existe aucune crypto du nom de Dogecoin et le tweet veut surtout dire que, par les temps qui courent, n’importe quelle crypto peut s’avérer un investissement rentable. Mais l’idée fait son chemin, et la possibilité de créer une « crypto-monnaie marrante » fait fureur sur les réseaux sociaux, à commencer par Reddit. L’idée est de surfer sur la vague Bitcoin, mais en s’en distinguant pour créer une crypto moins sérieuse et accessible au plus grand nombre.

Encouragé par un étudiant sur Twitter, Palmer achète le domaine dogecoin.com. Il y place la photo d'un chien qui deviendra le logo du projet, assorti de quelques mots. De son côté, Markus, qui cherche à créer sa propre crypto-monnaie, découvre le site. « Trop marrant, il faut que je fasse cette crypto », expliquera-t-il. Il entre en contact avec Palmer et le projet se concrétise rapidement.

Le plus souvent développées en Open Source, les crypto-monnaies sont susceptibles d’être « forkées » : on duplique leur blockchain, on change quelques paramètres de leur code et des protocoles qui les régissent, et on obtient une nouvelle crypto indépendante. Dogecoin est ainsi issu de Luckycoin, lui-même un fork de Litecoin (lui-même dérivé de Bitcoin).

Le 6 décembre 2013, quelque part entre blague potache et intention de démontrer qu’il y a bien une « crypto révolution » en cours : Dogecoin et sa monnaie DOGE sont nés.

« Meme » pas mal

D’emblée, le projet se veut marqué du sceau de l’auto-dérision. Là où Bitcoin, porté par des experts de la cryptographie, des entrepreneurs ou investisseurs de haut vol et autres start-up ambitieuses, se veut solide, sérieux et même assorti d’un message politique, Dogecoin a été pensé comme une plaisanterie. Dogecoin, c’est l’enfant (forcément) illégitime des blockchains, de la culture Web et du buzz viral.

Le projet doit d’ailleurs son nom et son emblème à un shiba au regard interrogateur, devenu quelque temps auparavant un meme baptisé « Doge » (déformation du mot « dog »). Sans surprise, la viralité web fait partie du quotidien de Dogecoin, qui s’accompagne d’un langage propre, vaguement absurde, censé insister sur son caractère « spectaculaire ».

Dans l’esprit du meme initial, pour parler de Dogecoin, limitez vos phrases à deux ou trois mots commençant ou finissant par « Such », « Much » ou « Wow ». Cryptique mais lourd de sens, pour les fans au moins.

Doge, le meme original ayant donné son nom et son logo au Dogecoin

Much success wow

Malgré tout, le projet connaît un fort succès et son histoire est ponctuée d’heures de gloire. Dès le premier mois, le site Dogecoin attire plus d’un million de visiteurs. Le cours de la monnaie s’envole, triplant en trois jours mi-décembre 2013 (de 0,00026$ à 0,00095$) avant de retomber brutalement peu après.

Si le projet est ponctué de quelques cafouillages, comme le piratage du porte-monnaie Dogewallet qui aura fait disparaître quelque 12 000$ dans la nature, son esprit reste vivace durant plusieurs années.

Développé dans un esprit communautaire, Dogecoin se distinguera par la possibilité d’envoyer facilement de petits « pourboires » en crypto-monnaies sur les réseaux sociaux, par des donations de groupe à vocation caritative, et même par des velléités en matière de sponsoring sportif. Les fans de la crypto à tête de chien essaieront ainsi (sans succès) de financer la participation aux Jeux olympiques d’hiver d’une équipe de bobsleigh, avant de parvenir en 2014 à sponsoriser pour de bon le pilote de course Josh Wise (du championnat NASCAR). Après avoir levé 68 millions de doges (environ 55 000 $ à l’époque), le pilote participera à plusieurs courses en arborant le logo Dogecoin.

Crédit : Phil Parsons Racing

Fin 2017, alors que la valeur d’un bitcoin dépasse 16 000$ pour la première fois, Dogecoin bénéficie lui aussi de l’envolée des cours des crypto-monnaies et sa capitalisation dépassera un milliard de dollars tout début 2018.

Mais le soufflé retombe vite. Tandis que les « vraies » crypto-monnaies, à commencer par Bitcoin et Ethereum, se solidifient et suscitent un fort intérêt institutionnel et industriel, Dogecoin se fait peu à peu oublier.

Elon Musk en a décidé autrement. En décembre 2020, puis en janvier et février 2021, le P.-D.G. de Tesla et de SpaceX publie plusieurs tweets semblant montrer son support à Dogecoin. « Dogecoin est la crypto du peuple », écrit-il le 4 février 2021. De façon plus significative, l’homme le plus riche de la planète a récemment expliqué croire en Bitcoin, mais semble s’amuser de sa capacité d’influer sur le cours beaucoup plus volatile du DOGE. De fait, en quelques tweets, la crypto-monnaie a vu son cours exploser pour atteindre 0,057 $, son plus haut historique. En deux mois, la valeur du DOGE a été multipliée par 20.

Si Musk aura ravi les fans (et enrichi les investisseurs de la première heure), tout le monde ne s’en réjouit pas. « Elon Musk discrédite l’ensemble du secteur des crypto-monnaies avec cette crypto-blague Dogecoin. Cela ne peut que nuire aux crypto-monnaies, en donnant des arguments à ceux qui répètent que Bitcoin et cryptos ne sont que des bulles sans valeur », fustige, sur Twitter, Alexandre Stachtchenko, co-fondateur du cabinet de consulting Blockchain Partners.

Doge ou pas

Que retenir de tout cela ? A minima, que Dogecoin jouit aujourd’hui d’un statut très ambivalent.

Pour certains, il ne sera jamais qu’un « shitcoin » (littéralement « crypto-monnaie merdique »), sans véritable usage et sans avenir autre que la spéculation financière au rythme des « pump and dump » (achat groupé et coordonné d’un actif financier pour faire artificiellement monter son cours, avant de le vendre massivement). Et même si c’est ce qui a fait son succès, l’image du projet nuit quelque peu à sa crédibilité et à sa viabilité. N’en déplaise à Elon Musk, on voit mal des banques d’investissement, de grandes entreprises ou des géants du e-commerce s’intéresser véritablement à une monnaie en forme de meme à tête de chien, née d’une blague sur Twitter et piquouzée à la culture LOL.

À l’inverse, on peut admettre que Dogecoin fait bel et bien partie du paysage crypto. Sa blockchain fonctionne, et on trouve même quelques dizaines de marchands acceptant les paiements en doges. Le projet réunit aussi de fervents utilisateurs : sur Twitter, le compte officiel @dogecoin s’adresse à près de 400 000 abonnés, tandis que sur Reddit, la communauté Dogecoin compte quelques 860 000 membres.

Le DOGE, dont le cours est particulièrement volatile, peut s’échanger sur des dizaines de bureaux de change (dont quelques-uns des plus gros comme Binance, Kraken, Bittrex...). Et surtout, Dogecoin pèse à ce jour près de 6 milliards de dollars. À ce stade, ce n’est plus tout à fait (ou plus seulement) une plaisanterie.

Much cool ?