Synonyme de covoiturage, BlaBlaCar fait partie de ces pépites françaises qui ont su s'imposer en Europe et dans le reste du monde. Lors du Web Summit nous avons rencontré Nicolas Brusson, cofondateur et directeur général de la société qui revient sur la stratégie et les valeurs mises en place ces dernières années.
Vous avez levé 200 millions de dollars en septembre dernier. Qu'allez-vous faire de cet argent maintenant ?
Nicolas Brusson : Ça s'inscrit dans une expansion de BlaBlaCar. Au début nous n'étions qu'en France, on a vu les usages et fait évoluer le service. On a pris un premier virage en 2011-2012, on voulait faire une boite européenne et on a levé 10 millions de dollars à l'époque. Ça a marché. On est en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Pologne etc. Et il y a un peu plus d'un an on a fait un pari pour aller hors Europe sur des pays dits « émergents ». Nous sommes allés en Russie et ça a décollé fort.
On a racheté une société locale qui avait de 30 à 35 000 membres et aujourd'hui on parle de millions de personnes en Russie. On a gardé puis agrandi l'équipe. On s'est rendus compte que pour assurer la croissance non seulement européenne, mais aussi globale, il nous fallait plus d'argent et nous avons levé 100 millions de dollars l'an dernier. Les 200 millions s'inscrivent donc dans cette continuité. On a lancé BlaBlaCar en Inde, au Mexique, en Turquie et on va bientôt au Brésil. On parle de marché avec plusieurs centaines de millions de personnes.
L'argent a été levé par deux fonds d'investissements américains, Insight Venture Partners et Lead Edge Capital. Pourtant vous n'êtes toujours pas aux Etats-Unis. C'est courant comme pratique ? Ont-ils envie que vous y alliez ?
N.B : On a des investisseurs européens et américains. Quand on commence à lever des sommes comme 100 ou 200 millions de dollars, il n'y a pas beaucoup d'investisseurs en Europe qui sont prêts à faire ce genre de chèque pour des boîtes comme la nôtre.
Ça prend du temps à créer ce genre de fonds. Le marché en Europe n'est pas assez gros. Les investisseurs américains comprennent bien la globalité du marché Internet. Ils ont évolué en allant au-delà des startups présentes dans la Silicon Valley. Ça devrait entraîner de gros succès européens comme Spotify et j'espère, BlaBlaCar.
Nos investisseurs ne nous demandent pas d'aller aux Etats-Unis. Pour le covoiturage, ils ont une configuration très urbaine c'est-à-dire sur de courtes distances de type domicile-travail. Nous sommes positionnés sur des trajets plus importants et il n'y a aucun service comparable à BlaBlaCar aux Etats-Unis.
Et justement, vous ne souhaitez pas vous positionner sur des trajets quotidiens de type maison-travail comme ce que propose Wayz-Up ?
N.B : On regarde ça parce qu'on aimerait le faire. C'était notre objectif au début en lançant BlaBlaCar. On a créé un produit et un usage mais finalement c'est la communauté qui décide. On a vu que l'intérêt était porté sur des distances plus longues pour des trajets de type Paris-Lille par exemple. Donc notre produit a été amélioré spécifiquement pour ça. Au départ c'était assez ouvert.
Mais on a démarré en proposant notre service sous la marque Comuto en commercialisant des plateformes de covoiturage pour des distances courtes, type maison-travail, à des municipalités et des sociétés. On en a vendu 200 mais ça n'a pas trop marché ; les sociétés n'en parlaient pas beaucoup à leurs employés. En parallèle, le site covoiturage.fr fonctionnait vraiment bien.
Le lancement de la SNCF de la marque Ouibus est-il une menace pour vous ? Y a-t-il eu des répercussions sur votre trafic ?
N.B : Pour le moment on ne voit rien dans les chiffres. On a lancé BlaBlaCar dans des pays où il y a beaucoup de bus, typiquement la Pologne. Et pourtant BlaBlaCar fonctionne très bien la-bas. En Allemagne, on a connu la même dérégulation que l'on a vu en France deux ans avant et notre service fonctionne aussi très bien la-bas.
Pour nous c'est une bonne chose puisqu'il y a plus de choix. Avant, c'était plus dur pour nous parce que le train était la solution par défaut de tout le monde avec une telle inertie. Aujourd'hui, les choses ont changé et les gens se posent la question de savoir comment effectuer un voyage. On devient légitime comme offre de mobilité. Le train est plus rapide mais plus cher, et la voiture est plus rapide que le bus.
Mais nous avons un avantage considérable grâce à notre communauté. Les gens ne veulent plus simplement partir de Paris pour se rendre à Lyon, ils veulent partir d'Issy-les-Moulineaux pour se rendre dans le nord de Lyon. On propose une granularité point-à-point. On ne part plus dans le centre de Paris pour se rendre ensuite dans le centre de Lyon et perdre une heure, une heure et demie aux points de départ et d'arrivée. Plus on a de gens et plus le service est génial. Le vendredi soir, on a une cinquantaine de points de départ à Paris et des voitures qui partent toutes les dix minutes.
Vous prenez une commission sur chaque trajet. Mais si les usagers se rendent compte qu'ils font le même voyage toutes les semaines, ils ne passeront plus par votre plateforme...
N.B : Ça se passe déjà et en réalité nous ne cherchons pas à stopper ça. Nous sommes en général sur des trajets assez occasionnels mais ça arrive de temps en temps. Et nous sommes ravis. Au contraire, du point de vue marketing c'est super de se dire que trois amis se sont rencontrés via BlaBlaCar.
Ce que les gens veulent c'est la liberté de pouvoir partir et rentrer quand ils veulent. Souvent, les gens ne réservent pas tout de suite leur retour. Ils retournent sur la plateforme régulièrement pour cette quantité de choix. Pour 1,5 euro ou 2 euros de commission à BlaBlaCar j'ai quand même une vraie liberté.
Mais oui on le sait bien, parfois deux personnes se rencontrent pour des trajets réguliers et souvent les deux sièges à l'arrière se retrouvent sur BlaBlaCar.
A quelle fréquence un internaute utilise-t-il BlaBlacar en moyenne ?
N.B : En moyenne, il utilise BlaBlaCar tous les deux mois ou tous les trimestres. Ce sont des trajets occasionnels. Mais ça varie énormément. Ça dépend des distances. Nous avons 10 millions d'utilisateurs par trimestre.
Comment garantissez-vous la sécurité d'un trajet pour les membres de BlaBlaCar ?
N.B : On s'efforce de créer une communauté de confiance. Les passagers et les conducteurs vont mutuellement laisser des avis et il y a des dizaines de millions d'avis qui ont été déposés sur la plateforme. Ça nous permet de savoir ce qu'il se passe. Si un conducteur a de mauvais avis, tout de suite, on s'inquiète et on appelle le passager et le conducteur pour savoir ce qu'il s'est passé. Et puis on fait des vérifications sur les comptes. Le paiement en ligne apporte plus de fiabilité. Le passager paie en avance donc il sera présent au rendez-vous et il y a une meilleure traçabilité. On fait des vérifications bancaires. On a plusieurs éléments qui créent une confiance dans la communauté.
Aujourd'hui, vos rachats de sociétés visent surtout à étendre la communauté à l'étranger. Avez-vous d'autres types d'acquisitions en vue ?
N.B : Pour le moment on se focalise beaucoup sur l'expansion géographique. C'est quelque chose qui fonctionne. On a appris à intégrer les équipes.
A terme, on pourra se poser des questions sur des services additionnels. Est-ce qu'on fera des distances plus courtes ? Peut-être. Est-ce qu'on fera d'autres services ? Peut-être. Est-ce que les gens peuvent partager autre chose que leur voiture ? Sans doute. Mais aujourd'hui c'est encore trop tôt dans l'histoire de BlaBlaCar pour penser à autre chose. Même en France on a encore un potentiel de croissance incroyable.
Une société comme Uber qui multiplie ses activités pourrait-elle vous faire concurrence un jour selon vous ?
N.B : Je ne crois pas. L'activité d'Uber reste dans la ville sur de courts trajets qu'il s'agisse d'Uber, d'Uber Pop ou de leur service de livraison. Avec BlaBlaCar, toutes les personnes font la même chose. Il n'y a pas de chauffeur ou de livreur. C'est une communauté. Les gens partagent une expérience. Notre force, c'est la communauté.
Je vous remercie.
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