Le cash est-il voué à disparaître ? Entre promesses d’efficacité et risques de surveillance, la dématérialisation des paiements soulève des questions bien plus profondes qu’il n’y paraît.

La fin du cash : entre innovation et surveillance généralisée © Roman Samborskyi
La fin du cash : entre innovation et surveillance généralisée © Roman Samborskyi

L’argent liquide, ce bon vieux billet froissé au fond de la poche, est-il en voie d’extinction ? De plus en plus de pays adoptent l’idée d’une économie sans cash, portée par des technologies de pointe et des promesses d’efficacité. Mais derrière les paiements instantanés et les applications séduisantes se cache un débat plus épineux : celui de la vie privée et de la liberté financière.

Adieu la mitraille : bienvenue dans l’ère du paiement sans contact

Il y a dix ans, sortir son téléphone pour payer un café aurait relevé de la science-fiction. Aujourd’hui, c’est presque devenu un automatisme, porté par la technologie et accéléré par la pandémie.

En Suède, par exemple, le cash a quasiment disparu. Certains commerçants refusent même les paiements en liquide, une pratique inimaginable en France, où 69 % des Français déclarent utiliser les espèces au quotidien. Pourtant, à y regarder de plus près, les chiffres racontent une tout autre histoire.

En 2024, un Français retire en moyenne 55 euros par mois au distributeur, mais dépense des centaines d'euros par carte bancaire. En clair, les espèces suffisent pour un café ou une baguette, mais pour remplir le caddie, acheter un nouvel équipement ou réserver des vacances, les paiements dématérialisés prennent le relais.

Un décalage qui en dit long sur les transformations de nos habitudes, portées par un besoin de simplicité et de sécurité. Moins de billets dans le portefeuille, c’est moins de stress en cas de perte ou de vol. A contrario, la CB et les solutions de paiement numériques (Google Pay, Apple Pay, etc.) simplifient grandement les transactions du quotidien : plus besoin de courir après les pièces.

Même si le cash continue de régner sur les petites dépenses, les systèmes de paiement sans contact et les solutions type Google Pay favorisent la dématérialisation des transactions quotidiennes © Proxima Studio / Shutterstock
Même si le cash continue de régner sur les petites dépenses, les systèmes de paiement sans contact et les solutions type Google Pay favorisent la dématérialisation des transactions quotidiennes © Proxima Studio / Shutterstock

À terme, cette tendance pourrait bien signer l’érosion définitive des espèces, ce qui ne serait pas pour déplaire aux gouvernements et aux banques. Fin de l’économie souterraine, traçabilité des fraudes fiscales, réduction des coûts de gestion liés aux espèces... sur le papier, tout le monde est gagnant. Mais à quel prix ?

Traçabilité, contrôle et failles : l’envers du tout-numérique

Évidemment, dans une société sans cash, plus rien n’échappe à la traçabilité. Vos courses au supermarché, votre latte du matin, cette baguette que vous achetez chaque soir en rentrant du travail : tout est enregistré. Ces données, bien que sécurisées en théorie, restent accessibles à ceux qui ont les moyens – ou le pouvoir – d’y accéder : banques, gouvernements, et parfois, acteurs moins bien intentionnés. Et dans une telle équation, difficile de faire fi des abus possibles.

En Chine, par exemple, le yuan numérique offre théoriquement à l’État la capacité de surveiller en temps réel les dépenses de ses citoyens. Associé au système de crédit social, il pourrait contribuer à limiter l’accès à des services essentiels en fonction d’achats jugés « inappropriés ». Un contrôle comportemental glaçant, qui invite à réfléchir aux dérives potentielles de tels dispositifs ailleurs.

Car même dans les démocraties, le risque existe. En 2013, le Wall Street Journal révélait l’opération Choke Point, menée par le ministère de la Justice (DoJ) aux États-Unis. Officiellement destinée à lutter contre la fraude, cette initiative ciblait des secteurs jugés « moralement discutables » comme les prêteurs sur salaire ou les vendeurs d’armes. Des entreprises légalement constituées se sont ainsi retrouvées sanctionnées, non pour des activités illégales, mais parce qu’elles ne correspondaient pas à une certaine vision de l’éthique. Il y a donc matière à s'interroger : jusqu’où peut-on laisser banques et gouvernements définir ce qui est moralement acceptable ?

Evidemment, moins il y a de cash en circulation, plus les systèmes de surveillance se frottent les mains © acarapi / Shutterstock

Mais la question ne se limite pas aux enjeux de contrôle ou d’éthique. Une société sans cash, c'est aussi une société techniquement plus vulnérable. La Suède, où 80 % des transactions sont numériques, en a récemment fait l’expérience. En mars 2024, une cyberattaque menée par des hackers russes a paralysé les paiements en ligne dans tout le pays, exposant les limites d’un système trop dépendant du numérique. Face à cette crise, la Banque de Suède a recommandé à la population de conserver des espèces, envisageant même de rendre leur acceptation obligatoire dans les commerces vendant des produits essentiels. Une piqûre de rappel, s'il en fallait une : la modernité n’a de sens que si elle reste résiliente.

Cryptomonnaies : liberté financière ou mirage technologique ?

Pour celles et ceux qui souhaitent s’émanciper de la surveillance financière, les cryptomonnaies apparaissent comme une alternative attrayante. Bitcoin, Ethereum… ces monnaies décentralisées reposent sur des réseaux distribués qui promettent anonymat et indépendance vis-à-vis des banques traditionnelles. Mais dans les faits, la réalité est plus nuancée.

Car si les identités ne sont pas directement exposées, la blockchain, technologie au cœur des cryptos, conserve bien une trace publique, indélébile et infalsifiable de chaque transaction. Et avec les bons outils, il est tout à fait possible de retracer les échanges. Un semblant d’anonymat qui ne suffit donc pas à garantir une confidentialité absolue.

À cela s’ajoute un autre obstacle majeur : leur volatilité. La valeur des cryptomonnaies fluctue parfois de manière spectaculaire et imprévisible, ce qui rend leur usage difficile au quotidien. Cette instabilité décourage aussi bien commerçants que particuliers, et cantonne les cryptos à une niche d’initiés, loin d’un usage généralisé.

Interessante du point de vue de la confidentialité et de l'indépendance vis-à-vis des instances officielles, les cryptos souffrent de leur volatilité et peinent à trouver leur place dans les usages de masse © Azrialette / Shutterstock

Les stablecoins pourraient éventuellement apporter une réponse à ces limites. Indexées sur des devises classiques comme le dollar ou l’euro, elles offrent une stabilité appréciée pour les transactions courantes. Mais en s’appuyant sur des structures centralisées, elles rompent de fait avec l’idéal de liberté financière prôné par les cryptomonnaies. Les monnaies sous contrôle d’entreprises privées ou d’institutions exposent leurs utilisateurs à une nouvelle forme de dépendance. Peut-on réellement parler d’indépendance quand cet accès reste soumis aux décisions de ces acteurs ?

Entre innovation, lutte contre la surveillance et inclusivité : quelles solutions ?

Le cash ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Dans des pays comme l’Allemagne ou le Japon, il reste même un symbole fort de liberté individuelle. Mais pour réussir une transition juste, il faudra trouver un équilibre.

Certaines solutions hybrides émergent déjà : cartes prépayées anonymes, monnaies locales numériques, ou encore VPN, qui protègent la confidentialité des transactions en ligne, notamment lorsqu’ils sont combinés à des cryptomonnaies pour un anonymat renforcé, et qu'ils acceptent eux-mêmes les souscriptions en cash, à l'image de Proton VPN ou de Mullvad. Mais ces innovations, aussi prometteuses soient-elles, ne suffisent pas toujours à répondre aux défis sociaux posés par la dématérialisation des paiements.

Car tout le monde n’est pas armé pour cette révolution numérique. Les personnes âgées, les populations en situation de précarité et celles vivant en zones rurales risquent d’être laissées pour compte. Dans ces conditions, éliminer le cash sans prévoir d’alternatives inclusives risquerait d'aggraver les inégalités et accentuer les fractures économiques.

In fine, la fin du cash n’est pas qu’un enjeu technologique : elle touche à la vie privée, à la liberté et à l'équité. Si l’innovation ouvre de nouvelles perspectives, elle ne doit pas masquer les risques de surveillance généralisée ou d’exclusion. Oscillant entre fascination pour le progrès et vigilance face aux dérives, le débat mériterait d’être mené collectivement, car il touche directement à nos libertés fondamentales.

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