Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !
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Avant propos
Où l'on parle représentationLa vie réelle, c'est sympa, on ne va pas se mentir. Mais entre le boulot, le ménage et autres obligations du même style, cela peut parfois être sacrément ennuyeux. C'est pourquoi il n'y a rien de plus appréciable que de s'échapper le temps d'un film, d'un bon bouquin, ou d'un jeu vidéo. Ce dernier média, constitue un parfait exutoire pour fuir son quotidien pendant quelques heures. Les créateurs de loisirs ludiques ont en effet rapidement compris l'intérêt de nous faire endosser le rôle de personnages hauts en couleur, aux destins flamboyants, et aux pérégrinations qui viennent titiller notre fibre aventureuse. Car on ne va pas se mentir, personne n'a envie de vivre la vie de Patrick de la compta. Non, ce que l'on souhaite vraiment c'est s'évader, voir du pays, incarner, un homme, ou une femme, purement badass... et découvrir des trésors millénaires, casser du nazi à tour de bras, présider au destin d'une nation, d'un empire ou, même, d'une galaxie.
« Ce problème, c'est celui de la représentation, et par extension, de la diversité.»
Tout cela, et bien d'autres choses, il est possible de l'accomplir dès lors que l'on lance un jeu vidéo, surtout si l'on tape dans les grosses productions, les fameux AAA. De Call of Duty à Mass Effect en passant par Skyrim, GTA et autres productions du même acabit, l'on incarne un héros au destin grandiose. Une sorte d'élu promis à de grandes choses que l'on incarnera le temps qu'il accomplisse sa destinée.
Dans bon nombre de ces productions, si l'on excepte les RPG permettant de se créer un avatar, le personnage en question est un mâle, généralement bien bâti, plutôt blanc, et l'hétérosexualité bon teint. Ce qui n'est pas sans poser un problème que l'on a tendance à éluder dans la sphère prétendument apolitique du jeu vidéo. Ubisoft a d'ailleurs, alors même qu'il vient de présenter un troisième un épisode de Watch_Dogs qui aborde le Brexit et les dérives totalitaires de la vidéosurveillance, réaffirmée qu'il ne faisait pas de politique dans ses productions. Ce problème, c'est celui de la représentation, et par extension, de la diversité.
Il suffit de jeter un œil aux productions vidéoludiques de ces dernières années pour se rendre compte de l'uniformité qui s'en dégage. Regardez les jaquettes présentes dans les bacs du premier Micromania ou de la première FNAC venue, et vous vous retrouverez vite face à un océan d'hommes bien bâtis, caucasiens, et à la mâchoire carrée recouverte d'une barbe de trois-quatre jours. De-ci de-là, une Lara Croft ou une Bayonetta, mais guère plus. Très peu de femmes donc, mais aussi peu de diversité ethnique, de morphologies variées, ou même de situations de handicap. Et si les productions indépendantes viennent bousculer cet état de fait en étant beaucoup plus libres à ce niveau-là, beaucoup de joueurs passent à côté de ces titres qui restent assez confidentiels lorsque l'on ne joue qu'occasionnellement.
« Le problème vient en réalité d'une minorité de joueurs particulièrement forte en gueule, qui monte au créneau à la moindre chose qui lui déplait.»
Il y aurait beaucoup à dire sur cette propension des créateurs de jeu vidéo à nous livrer systématiquement des avatars basés sur le même modèle. La raison principale, c'est bien évidemment la thune. Lorsque l'on investit de centaines de milliers de dollars dans un jeu, il vaut mieux que ce dernier se vende. Or, dans l'esprit de beaucoup de personnes, la cible principale des jeux vidéo reste le mâle blanc cishétéro, qui oscille entre l'adolescence et le jeune adulte actif. Une catégorie de personne qui souhaiterait donc incarner quelqu'un qui lui ressemble. Enfin presque, car je doute que la majorité des joueurs qui rentrent dans cette case disposent du physique Apollon dont sont dotés la plupart des héros que l'on nous refourgue.
Or ce principe de base est totalement faux, puisque si je ne m'abuse, la moitié des joueurs sont en réalité des joueuses. Et parmi tout ce beau monde, je doute qu'il n'y ait pas un brin de diversité. À mon sens, et je ne prends pas beaucoup de risque en disant cela, le problème vient en réalité d'une minorité de joueurs particulièrement forte en gueule, qui monte au créneau à la moindre chose qui lui déplaît. {ANGRY_MODE} Une minorité vociférante, conservatrice, qui jongle souvent avec les extrêmes, bref, une poignée de fieffés connards comme on en trouve à tous les coins de forums ou de réseaux sociaux. Ces gens qui n'aiment pas trop incarner des femmes (ou les femmes tout court) parce que ce sont des vrais bonshommes. Des êtres petits qui n'envisagent même pas se mettre dans les baskets de quelqu'un différents d'eux, et qui défendent des valeurs passéistes sans vraiment savoir pourquoi. Et le problème, comme souvent, c'est qu'ils possèdent un pouvoir de nuisance bien trop important, ce qui leur donne un certain poids. {/ANGRY_MODE}
Je suis néanmoins heureux de voir que cette puissance s'amenuise de plus en plus, et que de nombreuses compagnies commencent à les renvoyer dans la fange d'où ils viennent. Il suffit de voir la manière dont Bethesda à orienté les dernières campagnes autour de Wolfenstein pour s'en convaincre.
L'éditeur, non content de nous inciter plus que fortement à dégommer autant de nazis que faire se peut, nous invite dans le prochain épisode à incarner deux jeunes filles particulièrement virulentes dans l'exécution de tous ces petits racistes. Et j'ai beau ne pas être une femme, ni un amateur de FPS, cette perspective me réjouit me au plus haut point. Cette communication autour du jeu n'a toutefois pas été du gout de tout le monde, et de nombreux TRU3 G4M3RZ, vite rejoints par ces braves gars de l'Alt-Right se sont insurgés. S'en est suivi un florilège d'allégations de racisme anti-blanc, d'incitation à la haine des nazis et autres balivernes du même genre (jeu à la solde des SJW, racisme bas du front, on peut plus rien dire, et bla, et bla et bla). Et il suffit de voir tout ce qui s'est passé autour de films comme Black Panther ou Captain Marvel pour se rendre compte qu'il ne s'agit pas d'un phénomène isolé, ce qui ne cesse de m'attrister.
« On ne va pas se mentir, la bataille pour la représentation et la diversité dans le jeu vidéo est loin d'être gagnée. »
Mais j'ai l'impression que de nombreux pas dans le bon sens ont été effectués ces dernières années. De plus en plus de femmes rejoignent des postes importants dans les studios de jeux vidéo (et elles ont un courage hallucinant lorsque l'on voit tout ce qu'elles se prennent dans la gueule au quotidien), et permettent chacune à leur échelle de faire bouger les lignes. De plus en plus de productions nous arrivent aussi d'Afrique, d'Asie ou même d'Amérique du Sud. De petits studios se montent au quatre coins du monde, afin de nous livrer leur approche du jeu vidéo, et nous permettre de découvrir leur culture. Cette diversité est non seulement la bienvenue, mais je pense aussi qu'elle est salutaire pour cette industrie.
Et là vous allez me dire : c'est quoi le rapport avec le jeu du jour ? Et bien, c'est vrai, le lien est assez ténu, quoiqu'existant. Avant de me lance dans ce qui ressemble de plus en plus à un pamphlet, j'évoquais le fait que lorsque l'on joue, on a envie d'incarner un personnage destin exceptionnel. Un être appelé à de grandes choses, un héros. Eh bien, cela ne sera pas le cas dans notre Indiescovery de la semaine. Mais cela ne rend pas les choses moins intéressantes, au contraire...
Observation
par No Code (2019)Après un Stories Untold salué quasi unanimement par la critique, les Écossais de No Code s'en reviennent sur le devant de la scène avec un second titre nommé Observation. Le truc de No Code, c'est de livrer des jeux ou la narration occupe une place centrale, s'appuyant sur un dispositif ludique simple, et pensé pour appuyer l'histoire qui nous est narrée. Avec Observation, ce procédé est encore plus marqué, et tout ce que l'on y accomplira ne sera là que pour une seule et unique chose : permettre à l'histoire de progresser. Mais de quoi que ça cause en vrai ce p'tit jeu ?
« Néanmoins, et contrairement à ce que vous êtes en train d'imaginer en ce moment, ce n'est pas elle que nous incarnerons durant cette aventure. »
Observation nous emmène dans une station spatiale, pas si différente de notre station spatiale internationale. Observation, puisque c'est aussi le nom de la station que l'on visite, orbite autour de notre belle planète en 2026, et l'on trouve à son bord un personnel venu de diverses nations. Tout ce petit monde a pour but de mener des expériences pour aider la Terre, qui semble avoir quelques pépins. Comme de nombreuses œuvres de science-fiction nous l'ont appris, une telle mission ne peut pas se dérouler sans encombre, et bien vite, un incident inconnu va venir mettre un joli bazar dans cette mécanique bien huilée. Petite explosion, puissance venant à manquer, perte de communication avec la Houston et les membres de l'équipage, bref, un sacré bazar. Et c'est dans cette situation que nous faisons la connaissance de la docteure Emma Fisher, le personnage principal de cette aventure. Néanmoins, et contrairement à ce que vous êtes en train d'imaginer en ce moment, ce n'est pas elle que nous incarnerons durant cette aventure.
Notre rôle, en tant que joueur, sera celui de SAM (Systems Administration and Maintenance), l'ordinateur de bord de la station. À ce titre, nous serons entièrement aux ordres d'Emma, qui nous demandera d'effectuer de menues tâches, à commencer par réaliser un diagnostic de nos systèmes à la recherche de dysfonctionnement éventuels. Et c'est clairement là le coup de génie de ce jeu. Le joueur y est presque cantonné à une position passive, en permanence dans l'attente des ordres du véritable héros de l'histoire. Au fur et à mesure des « chapitres » de ce jeu, il faudra se plier aux demandes d'Emma afin de l'aider à progresser dans sa recherche de la vérité sur les événements qui ont frappé Observation. En utilisant les caméras disséminées à bord de la station, et en vous connectant aux divers systèmes présents à bord de la station, vous devrez porter assistance à Emma. Cela se traduira bien souvent par de petits puzzles qui vous demanderont un brin de jugeote et un peu de coordination.
« Le récit qui se déploie autour de l'incident, et ses retombées, est aussi absolument fascinant, quoiqu'extrêmement cryptique. »
La plus grande difficulté réside dans le fait que les instructions données par Emma sont parfois un peu nébuleuses, et que vous pourrez passer de longues minutes à chercher comment résoudre un problème. Cela s'avère néanmoins très intéressant dans la mesure où l'on incarne ici une IA devant obéir à des directives humaines. Directives qui sont en sus données par un personnage en période de stress intense ; de quoi conférer à l'ensemble une étrangeté pas désagréable.
Au gré de l'évolution du scénario, SAM pourra aussi accéder à de nombreux terminaux informatiques afin de récolter des documents, qui iront compléter sa base de données défaillante. Car comme Emma, vous n'avez aucune idée de ce qui s'est passé dans Observation. En récoltant ces fragments, vous pourrez peu à peu tisser la toile des événements qui ont mené à cet incident, et découvrir une histoire humaine très bien ficelée. Le récit qui se déploie autour de l'incident, et ses retombées, est aussi absolument fascinant bien que cryptique. Mais je me garderais d'en dévoiler plus afin de ne pas vous gâcher la surprise.
Observation est un jeu qui fascine dans la mesure où il inverse presque les rôles habituels entre le joueur et le jeu. Si l'on reste toute de même acteur, et que l'on participe à l'intrigue en réalisant de nombreuses actions, ce n'est toutefois que pour servir l'aventure d'un autre. En l'occurrence, c'est un PNJ qui vit ce que l'on pensait être notre aventure, et nous ne sommes là que pour l'aider à accomplir ses objectifs, sa destinée.
Cette délocalisation du point de vue est au final très intéressante si l'on y pense un peu. Dans la plupart des jeux, l'on possède un contrôle direct du personnage principal. Ce faisant, c'est nous qui lui dictons ses actions, et qui l'accompagnons vers l'accomplissement de son destin. Là, nous tentons la même chose de façon indirecte. Et Dieu que c'est rafraîchissant !
Pour ne rien vous cacher, j'ai craqué, rompu les règles et joué bien plus de deux heures douze à Observation, et j'ai poussé le vice jusqu'à le finir. Laissez-moi vous dire que cela vaut le coup d'œil de bout en bout.
« Il s'agit d'un titre qui ne laisse pas indifférent, et apporte à sa manière au gigantesque édifice qu'est le jeu vidéo »
Le titre de No Code est une excellente surprise à tous les niveaux. Beau, intéressant, ingénieux, intriguant, malin et original à bien des égards, il s'agit d'un titre qui ne laisse pas indifférent, et apporte à sa manière au gigantesque édifice qu'est le jeu vidéo. Je ne saurais trop vous conseiller d'y consacrer les quelques heures nécessaires pour accéder à son terme. Vous ne devriez pas le regretter. Ah oui, en plus on y incarne pas un bellâtre ultra baraqué porté sur la violence... et ça, ça fait du bien.
On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur l'Epic Game Store) :