Terminée la folie des grandeurs, les ambitions transverses et les projets cabossés : avec Final Fantasy XVI, Square Enix souhaite démontrer, comme il l’a fait tout au long de sa communication autour du jeu, que sa licence fétiche est solidement harnachée aux rails du modernisme sans pour autant renier son passif de raconteur d’histoires. Malgré cette confiance affichée plutôt rassurante, dire que nous avons abordé ce nouveau FF avec méfiance est un euphémisme. La Square Enix Business Unit III, constituée de développeurs besogneux comme Hiroshi Takai et Kazutoyo Maehiro, avait la lourde tâche de repenser une nouvelle fois les contours d’une licence qui a déjà eu mille vies. Quitte à perdre encore un peu de son âme en route ?
- Combats dynamiques et satisfaisants…
- Univers vaste, fouillé et intéressant
- Des panoramas sublimes
- Scénario travaillé
- Durée de vie
- Une belle OST
- … mais peu subtils et très redondants
- Quêtes annexes barbantes
- Des donjons qui manquent d’audace
- Dimension RPG très light
- Réalisation en dents de scie
Test réalisé sur PlayStation 5 grâce à un code fourni par l'éditeur. Final Fantasy XVI sortira le 22 juin 2023 sur PlayStation 5. Jeu terminé en 50 heures (une bonne partie des quêtes et des activités annexes bouclées).
Un peu de contexte
Car l’âme est l’essence même de cette licence, qui a emprunté nombre de chemins différents depuis 1987. Les mogs, cristaux et autres chocobos ne sont que des artifices au service de contes humanistes qui interrogent tantôt sur l’amour, l’identité ou encore le déterminisme. En ce sens, la nouvelle superproduction de Square Enix ne renie rien de son prestigieux passé : Final Fantasy XVI offre un univers riche et remarquablement travaillé, dont les nombreuses subtilités se dévoilent au fil d’une progression également répartie entre combats et dialogues.
Jeu d’action aventure davantage que RPG, il se déroule dans le monde médiéval-fantasy de Valisthéa, morcelé entre différents royaumes qui se partagent les cristaux-mères, des gros cailloux qui produisent l'éther nécessaire à l’exécution de la magie. Ces territoires sont chacun protégés par un émissaire, un humain qui profite de la puissance d’un primordial, l’équivalent des invocations élémentaires des précédents Final Fantasy. Fils aîné du roi de Rosalia, Clive n’en est pourtant pas l’émissaire. Son petit frère Joshua a hérité de ce privilège, portant l’avenir de la nation sur ses frêles épaules. Voici le point de départ narratif d’un titre qui s’étale sur plusieurs années et richement doté en complots, trahisons, sièges et déclarations de guerre.
On n’a pas attendu Games of Throne pour proposer une intrigue médiévale élaborée, mais il serait naïf de croire que Square n’a pas visé la série HBO dans sa manière de communiquer autour du contexte du jeu. La galerie de personnages, les retournements de situation et autres destins tragiques s’enchaînent à bon rythme pendant la trentaine d’heures de l’aventure, avec la dose d’envolées philosophiques que l’on est en droit d’attendre de la licence, niaiserie incluse. Un personnage dédié à la géopolitique, une encyclopédie fournie ou encore la possibilité d’arrêter une cinématique à chaque instant pour profiter d’un court laïus sur les personnages impliqués, comme le fait Amazon avec les acteurs sur Prime Video : l’amour des développeurs pour cet univers et son histoire est communicatif, et constitue la motivation première pour poursuivre une expérience dont les combats peinent à complètement convaincre.
Guerroyons gaiement
Exit les propositions hybrides, Square embrasse pleinement ses envies d’action en temps réel avec un modèle très proche du beat’em all. Spectaculaires, dynamiques et bourrés d’effets visuels clinquants, les affrontements s’embarrassent d’assez peu de subtilité : on attaque, on esquive, on contre, on enchaîne les pouvoirs magiques et l'on attend la fin de leur cooldown pour recommencer gaiement. Les patterns diffèrent, certains ennemis se dotent d’une jauge de volonté séparée à briser en priorité. Cependant, la stratégie reste désespérément la même quel que soit le gonze qui se présente pour en découdre. En termes de variété, Kratos et Atreus peuvent dormir sur leurs quatre oreilles.
On attend de trouver une utilité à cette foutue attaque à distance, qui ne fait aucun dégât. On attend l’évolution du combo de base, et ses quatre malheureux coups d’épée. On attend que l’adversité nous pousse à revoir notre stratégie, ou que le décor nous incite à adapter notre manière de masher les boutons. En vain. Un ennemi de feu ne prend pas davantage de dégâts par un pouvoir de glace. Pire, il subit les dommages d’un sort enflammé, là où on aurait pu s’attendre à lui redonner des points de vie. Ce savoir élémentaire, reliquat fondamental de nos centaines d’heures à arpenter Ivalice, Gaia, Cocoon ou encore Eos, se voit foulé au pied à Valisthéa. Et c’est un sacré choc.
L’intérêt sera donc ailleurs. Dans les sensations, déjà : les combats sont jouissifs, contre les mobs les plus insignifiants comme les monstruosités les plus gigantesques. Entre l’apport de Ryota Suzuki, designer de combats transfuge de Capcom (Devil May Cry 5) et celui du studio Platinum Games (Bayonetta, Vanquish), le système a bénéficié de tous les soins en matière de feeling et d’impact. Les coups portent, Clive virevolte et le rythme est effréné malgré l’apparente simplicité de la proposition. Les potards sont même poussés à fond lors des combats entre primordiaux, sommets dantesques et kitsch qui répondent aux mêmes fantasmes que les shonens les plus énervés. Pensez Asura’s Wrath, ou God of War III à la sauce médiéval-fantasy. FF XVI sait jouer avec les échelles, et la satisfaction de mettre un immense colosse à terre reste intacte d’un bout à l’autre de l’aventure.
En dehors de ces happenings aussi enivrants qu’éreintants et nonobstant leur éclatante dynamique, les joutes s’avèrent souvent trop longues pour leur propre bien. Les ennemis sont de véritables sacs à PV, si bien que la recherche d’efficacité guidera d’abord nos expérimentations. Les sorts les plus chers en points d’expérience sont les plus impressionnants, mais pas nécessairement les plus rentables et l’on jonglera allègrement d’un primordial à un autre (Clive peut en équiper jusqu’à trois en même temps) jusqu’à trouver l’équilibre qui convient. C’est là que le jeu aurait dû, par une configuration de combat spécifique, nous pousser à sortir du carcan dicté par le meilleur ratio dégâts/cooldown. Il n’en est rien, même s’il ne tient qu’à nous d’explorer quand même toutes les options à disposition. La survie de l’intérêt pour cette composante importante du titre, après des heures à bourrer les mêmes enchaînements sans trop réfléchir, en dépend.
Voyage au bout de l’éther
S’il emprunte les codes du beat’em all dans sa partie baston, Final Fantasy XVI n’est pas pour autant construit comme un simple tunnel d’action. Le jeu sait respirer, notamment grâce à sa volonté de nous faire explorer dans les grandes largeurs quatre des royaumes de Valisthéa. À l’inverse de son système de combat, qui donne presque tout, tout de suite, et peine ensuite à maintenir l’intérêt, l’exploration de FF16 se libère au fil de l’aventure. Au sentiment d’enfermement et de linéarité qui nous assaille aux premiers temps, Square répond avec une construction ingénieuse de l’espace, morcelé en plusieurs zones ouvertes remplies d’interconnexions que l’on découvre peu à peu.
On s’approprie ainsi, au gré du scénario principal comme des quêtes et des activités annexes, l’ensemble des hameaux, des clairières, plaines et dunes qui constituent de petits espaces cohérents et interconnectés au sein des quatre zones du jeu. Sans spécialement dévier de sa ligne balade/combat/cinématique, Square parvient à desserrer un peu l’étau en insufflant un maximum de variété esthétique. Il n’est pas rare de dévier de sa route pour aller déflorer une colline mystérieuse, ou un bourg repéré sur la carte. FF16 est une ode au petit détour, où l’enchaînement idéal d’espaces resserrés et d’environnements plus vastes offrent un équilibre parfait entre rythme et flânerie.
Les stakhanovistes des marqueurs de quêtes profiteront des totems de téléportation pour gagner un maximum de temps, et ainsi enchaîner les missions fedex à vive allure. Là encore, il faut manger un peu de pain noir avant d’entrevoir la lumière : la Square Enix Business Unit III n’a visiblement rien retenu de The Witcher 3, et voit en Clive un simple livreur/homme de main/confident lors de missions annexes qui manquent de souffle. Comme si Morpheus demandait à Neo de lui ramener une livre de navets dans Matrix, le héros enchaîne dans un premier temps les missions facultatives abrutissantes.
Mais, certaines quêtes sont en fait des lignes, qui mènent finalement à une rétribution intéressante. Ici un chocobo pour se déplacer plus vite et esquiver facilement les combats, là une besace plus large pour porter davantage de potions, des informations sur le passé d’un personnage, voire un peu de lore géopolitique : les quêtes valent finalement souvent le coup, même si le risque de se lasser avant d’en voir le bout est grand.
Autre point qui pourra chagriner les aficionados de la licence, la dimension RPG particulièrement légère : la personnalisation de Clive se limite à ses trois équipements, ses trois reliques et les pouvoirs magiques à marteler en combat. Le système de réputation est prétexte à brider les activités annexes disponibles, les objets se limitent à 8 types différents, dont la moitié dédiée au soin, tandis que les quelques choix offerts sont mineurs et factices. FF16 a réduit à sa plus simple expression tout ce qui pouvait nous dévier de la découverte de l’univers et du scénario : on n’a pas l’habitude d’avoir si peu d’influence sur son personnage dans un Final Fantasy.
Un titre vraiment accessible
Autre sujet central du marketing de Square, l’accessibilité est effectivement au centre des enjeux. Outre les nombreuses options de langues (doublage japonais, anglais, français) et de commandes, FF XVI propose deux modes de difficulté, normal et histoire : on n’a pas essayé le second, mais le premier offre déjà assez peu de challenge pour qui est un minimum habitué aux jeux d’action modernes. Les amateurs et amatrices de défis relevés se tourneront vers les stèles cachées, seules à véritablement exiger une maîtrise totale du système pour être complétées.
L’aventure est globalement une promenade de santé ; le New Game+ rend simplement les affrontements un peu plus compliqués, par la présence de plus d'ennemis ou de créatures plus puissantes, que l'on trouvait normalement plus tard dans l'aventure. La possibilité de synthétiser des objets pour pousser leur niveau, en plus d'une épée légendaire, viennent alors à votre rescousse. À réserver aux complétistes.
Toujours dans le but d’accueillir le plus grand nombre, on peut dès le départ équiper des anneaux pour automatiser les esquives, le comportement de notre compagnon canin ou l’utilisation des magies. On n’en recommande pas vraiment l’utilisation : le peu d’intérêt stratégique des combats s’en retrouve automatiquement annihilé. De toute façon, le ton résolument adulte de l’aventure et quelques séquences à la violence particulièrement graphique ne destinent pas le jeu aux plus jeunes : la volonté de Square de brasser si large, même si on la salue, interroge.
Entre waouh et cache-misère
Côté réalisation, difficile de trancher : loin d’être particulièrement éblouissant techniquement, FF XVI se rattrape par une certaine maîtrise esthétique. Chaque royaume offre son lot de panoramas sublimes qui incitent à la rêverie autant qu’à l’exploration, tandis que les donjons en ligne droite et les châteaux chichement décorés témoignent d’une certaine timidité dans la composition de l’univers. Il en va certainement de la survie du framerate, sous respirateur la plupart du temps, même en mode Performances. En l’état, on déconseille franchement le mode Graphismes, qui abuse d’un flou de mouvement qui le rend particulièrement inconfortable à jouer, malgré un cap à 30 images par seconde qui semble assez constant. Un petit correctif a déjà été publié, et l'on attend d'autres améliorations dans les jours/semaines à venir.
Loin d'être irréprochable techniquement, FF16 a des atouts esthétiques indéniables
Passé l’effet waouh des jeux de lumière, notamment surabondants en combat, et du rendu général de la végétation, difficile de ne pas noter les petits flous cache-misère lorsque l’on tourne la caméra, les sautes de fluidité quand l’écran est trop chargé ou les textures pas bien jolies. Rien qui ne gâche réellement la découverte de cet univers fascinant, d’autant que les temps de chargement ne dépassent jamais les trois secondes. Impressionnant.
Si tous les personnages n’ont pas bénéficié du même soin et que les barks ont tendance à se répéter quand on multiplie les allers-retours, la partie sonore s’en tire remarquablement bien. Le doublage français s’avère plutôt à la hauteur, en tout cas pour les personnages principaux, qui ont bénéficié de largement plus de soin visuel et sonore que les Bernard et Philippe randoms qui peuplent l’univers. Mention spéciale à la musique, qui enchaîne les thèmes inspirés et parfaitement raccord avec les échanges musclés ou les climax scénaristiques. Certains morceaux restent en tête une fois la console éteinte, et donnent à FF XVI ce souffle caractéristique des productions les plus ambitieuses.
Final Fantasy XVI : l'avis de Clubic
Tantôt magnifique, quelconque, kitsch, grandiose, redondant, mièvre, fascinant, malin ou encore épuisant, Final Fantasy XVI est une œuvre imparfaite. Il faut effectivement s’accrocher, voire gratter un peu le vernis, pour profiter de ses nombreuses qualités. Même s’il n’incite jamais vraiment à le faire, il convient, par exemple, d’explorer soi-même les possibilités du système de combat pour en tirer la quintessence. La proposition, en équilibre précaire sur une ligne de crête, se rattrape sans cesse avec un nouveau pouvoir, un environnement intrigant, une joute dantesque ou un retournement de situation bien senti : on a toujours une bonne raison de continuer l’aventure qui, si elle n’est pas jalonnée que de grands souvenirs, de situations remarquables ou d’enjeux saisissants, a toujours quelque chose à dire ou à montrer. Moins original que Final Fantasy XV, mais aussi bien plus équilibré et cohérent, FF XVI laissera nécessairement nombre de joueurs et joueuses sur la touche. Nous, on a été séduits.
Grâce à ses combats spectaculaires, son univers passionnant et son scénario accrocheur, Final Fantasy XVI embrasse le tout action avec panache, même si un certain manque de profondeur et quelques lacunes techniques l’empêchent complètement de briller.
- Combats dynamiques et satisfaisants…
- Univers vaste, fouillé et intéressant
- Des panoramas sublimes
- Scénario travaillé
- Durée de vie
- Une belle OST
- … mais peu subtils et très redondants
- Quêtes annexes barbantes
- Des donjons qui manquent d’audace
- Dimension RPG très light
- Réalisation en dents de scie