Transcendance : derrière la fiction, un futur transhumaniste ?

Audrey Oeillet
Publié le 13 juin 2014 à 11h00
Dans le film Transcendance, sur nos écrans le 25 juin, l'esprit d'un scientifique mourant est téléchargé dans un ordinateur pour perdurer après sa mort. Un récit de science-fiction plutôt inquiétant qui se base sur des théories bien réelles, liées au transhumanisme, et plus particulièrement à la Singularité technologique.

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Le transhumanisme est un mouvement intellectuel et culturel qui prône l'utilisation des sciences et des technologies pour améliorer l'être humain. L'homme augmenté est censé être plus adapté pour lutter contre la maladie, la souffrance, le handicap et même la mort. Appuyé par de nombreux théoriciens, le transhumanisme a de plus en plus d'adeptes, en raison notamment des avancées technologiques qui tendent à faire de ce concept de science-fiction une réalité tangible.

Parmi ses adeptes, on trouve Raymond Kurzweil, un informaticien américain s'intéressant particulièrement à la Singularité. Un concept qui se base sur une courbe exponentielle de l'évolution de la connaissance humaine. Cette dernière devrait grimper jusqu'à un point hypothétique - le point de singularité - où l'évolution technologique donnera à un superordinateur plus de puissance qu'à un cerveau humain, et lui permettra de le simuler. A ce stade, la machine aura conscience d'elle-même, sera autonome et n'aura plus besoin de l'homme pour être entretenue. Elle serait également capable de construire elle-même une machine plus intelligente qu'elle, mettant l'homme totalement à l'écart du progrès... et le menant potentiellement à sa perte.

Un point culminant en 2045

Raymond Kurzweil en est convaincu : ce n'est pas de la science-fiction. Le théoricien estime même que le point de singularité sera atteint en 2045. Dès lors, la Singularité technologique marquerait un tournant dans l'histoire de l'humanité, en voyant naître une intelligence surhumaine. Une telle perspective nourrit aujourd'hui un grand nombre de pensées transhumanistes : on ne parle pas ici d'augmentations physiques de l'être humain, mais de l'implantation d'une conscience humaine au sein d'une machine, voire même d'une renaissance.

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La courbe d'évolution technologique de Raymond Kurzweil

C'est exactement le postulat de Transcendance : dans le film, le professeur Will Caster (Johnny Depp), atteint d'un mal incurable, passe les dernières semaines de sa vie à numériser ses souvenirs, son visage, sa voix et sa manière de penser. Lorsqu'il meurt, son « esprit numérique » est injecté dans une intelligence artificielle.
Là encore, pour Kurzweil, ce n'est qu'une question de temps avant qu'un tel concept passe de la fiction à la réalité : l'informaticien, qui travaille chez Google, a d'ailleurs pour objectif de « ressusciter » son propre père de cette manière. Il conserve, dans cette optique, toutes les traces de l'existence de son géniteur, mort d'un infarctus en 1970.

La frontière entre l'homme et la machine

Tout comme dans la représentation de l'homme augmenté « physique », aux membres amputés remplacés par des bras et des jambes cybernétiques, la question est de savoir où s'arrête l'humain et où commence la machine. Transcendance met rapidement en avant cette inquiétante question : est-ce Will dans la machine, ou est-ce une machine qui prend l'apparence de Will pour mieux manipuler ses proches ?

La dimension transhumaniste de la Singularité telle qu'elle est présentée dans le film est palpable sur bien des points : l'intellect de l'homme est clairement transcendé par sa rencontre avec l'intelligence artificielle qui lui sert de moteur, et lui permet de créer de nouvelles technologies poussées, et de soigner les défaillances de l'homme. Mais ce qui s'apparente au départ à un cercle vertueux devient un cercle vicieux, puisque l'humanité n'est pas seulement dépassée par la technologie : elle est remplacée par elle.

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Cette perspective, illustrée depuis longtemps dans les œuvres de fiction de tous types, du cinéma à la bande-dessinée en passant par les séries télévisées, est désormais suffisamment concrète dans la réalité pour inquiéter des scientifiques. Le physicien Stephen Hawking écrivait récemment dans une tribune de The Independent que « Développer avec succès l'intelligence artificielle pourrait être le plus grand événement dans l'histoire de l'humanité. Malheureusement, ce pourrait aussi être le dernier ».

A bien y réfléchir, de Skynet à la Matrice en passant par les Cylons de Battlestar Galactica, les intelligences artificielles de fiction font rarement preuve de compassion à l'égard de leurs créateurs. Mais à en croire Stephen Hawking, l'évolution technologique actuelle tient plus d'une volonté de donner raison à la courbe exponentielle de la théorie de la Singularité que de faire avancer les recherches intelligemment, en se posant les bonnes questions.

Le téléchargement de cerveau, bientôt une réalité ?

Si l'illustration dans la fiction du concept de Singularité s'avère dans la majorité des cas alarmiste et poussée à l'extrême, il ne faut cependant pas le voir comme improbable. L'évolution de l'intelligence artificielle est telle que les chercheurs et ingénieurs ont désormais les moyens de développer des machines capables de rivaliser avec l'homme sur certains points, comme c'est le cas pour le superordinateur Deep Blue qui, en 1997, battait le champion du monde d'échec Garry Kasparov, ou l'ordinateur Watson d'IBM, qui avait tenu tête à des humains en 2011 dans une partie de Jeopardy.

Néanmoins, dans le cas de Transcendance, il reste un point de taille sur lequel il faut s'interroger : est-il réellement possible de transférer « l'âme » humaine dans une machine ? Il s'agit d'une question d'actualité pour les scientifiques, et ces derniers y réfléchissent depuis de nombreuses années.

En 2005, l'école polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, a lancé le projet Blue Brain, avec pour objectif de créer un cerveau synthétique grâce au procédé de rétroingénierie. Orchestré en partenariat avec IBM, le projet a réussi, en 2008, à traduire sous une forme mathématique les données biologiques d'une partie de cerveau de rat. 10 000 neurones virtuels ont été conçus, reliés entre eux par 30 millions de synapses. Un résultat encourageant pour Henry Markram, le scientifique à la tête du projet : ce dernier estime qu'il sera possible de concevoir un cerveau virtuel de mammifère aux environs de 2020, là où la courbe de Raymond Kurzweil parle de 2025.

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Henry Markram

Pour Markram, l'une des principales limites actuelles de ce type de projet tient dans le fait qu'aucun ordinateur n'est suffisamment puissant pour gérer tous les calculs liés à l'activité du cerveau humain. Un problème qui devrait être réglé, selon lui, dans les prochaines décennies, avec l'évolution de la technologie.

Mais le cerveau d'un rat n'est pas celui d'un humain, et il faudra fort probablement bien plus de temps avant qu'on puisse télécharger le cerveau d'un homme dans une machine, pour la faire raisonner comme tel. Néanmoins, pour de nombreux scientifiques, ce n'est qu'une question de temps : Christof Koch et Giulio Tononi, deux neuroscientifiques, expliquaient en 2008 que « la conscience est une partie de la nature. Nous pensons qu'elle ne dépend que des mathématiques et de la logique, ainsi que des lois mal connues de la physique, de la chimie et de la biologie. Il n'y a rien de magique ou d'un autre monde là-dedans. »

Vers une immortalité numérique ?

A en croire les scientifiques adeptes du Transhumanisme, l'immortalité passera donc par la transformation du cerveau humain en signal numérique. Certains sont déjà volontaires pour expérimenter la chose : en 2012, Kenneth Hayworth, un neuroscientifique d'Harvard travaillant sur un projet de cartographie du cerveau humain, expliquait ses étonnantes intentions : le scientifique désire se suicider avant que son intelligence décline, pour ressusciter à l'avenir sous une forme virtuelle.

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Ken Hayworth dans son labo.

Pas question de se tirer une balle dans la tête : Ken Hayworth expose un procédé complexe de mort assistée, pour que son cerveau et sa moelle épinière se retrouvent conservés dans un mélange de métaux lourds et de résines. « Si tout se passe selon le plan, je serai un parfait fossile » explique-t-il. Il estime qu'aux environs de 2110, son esprit pourra être transféré dans une machine.

En somme, d'ici à ce que la théorie puisse potentiellement s'appliquer, il y a vraisemblablement encore du chemin et même les ardents défenseurs du Transhumanisme le savent. La « Transcendance » devrait donc rester encore un moment un sujet de films de science-fiction, mais ça ne signifie pas, cependant, qu'il ne faille pas y réfléchir.
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