Spotify contre Taylor Swift : la rémunération des artistes en question ?

Audrey Oeillet
Publié le 12 novembre 2014 à 12h16
Le conflit qui oppose actuellement la chanteuse Taylor Swift au service de musique en ligne Spotify relance le débat concernant la rémunération des artistes par le biais de telles plateformes. De son côté, Spotify se défend en s'opposant... au piratage. Une comparaison de rigueur ?

Quelques jours après la sortie de son nouvel album, 1989, la chanteuse américaine Taylor Swift a relancé le débat concernant la rémunération des artistes par l'intermédiaire des sites légaux de streaming de musique. Pour elle, c'est évident, des plateformes comme Spotify ne paient pas assez les acteurs de l'industrie musicale : « Je ne suis pas disposée à partager le travail de toute ma vie au sein d'une expérience dont j'estime qu'elle ne récompense pas assez les auteurs, producteurs, artistes et autres créateurs de musique » déclarait-elle lors d'une récente interview.

Résultat, la chanteuse, qui a écoulé un million de copies de son nouvel album en une semaine, a fait le nécessaire pour que toutes ses chansons soient enlevées de Spotify. Pour la plateforme, c'est un coup dur compte tenu de la popularité de la jeune artiste de 25 ans. Spotify a donc commencé par annoncer la nouvelle en douceur : « Nous aimons Taylor Swift, et nos 40 millions d'utilisateurs l'aiment encore plus. Près de 16 millions d'entre eux ont écouté ses chansons dans les 30 derniers jours, et elle est dans plus de 19 millions de playlist » expliquait, le 3 novembre dernier, un communiqué qui demandait à la chanteuse de revenir sur sa décision.

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L'illustration d'un malaise

Mais la rébellion de Taylor Swift a fait parler d'elle, et a remis au goût du jour le délicat sujet de la rémunération des artistes qui proposent leur musique sur des plateformes légales comme Spotify. Début novembre, en France, l'Adami, le principal gestionnaire des droits des artistes et musiciens, pointait d'ailleurs du doigt un « partage inéquitable » des revenus des services de streaming légal. Ainsi, sur un abonnement mensuel payé 9,99 euros, les artistes écoutés se partageraient 0,46 euro, le reste allant dans les poches de l'Etat, de la gestion des droits d'auteur et des différents intermédiaires.

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Un constat qui n'est pas nouveau et qui était mis en avant par Spotify lui-même en décembre 2013. Dans un long billet détaillant son modèle économique, la plateforme révélait que l'écoute d'un morceau sur sa version américaine est rémunérée entre 0,006 et 0,0084 dollars selon l'abonnement. Entre 120 et 167 écoutes sont ainsi nécessaire pour toucher 1 dollar, qu'il faut répartir entre les multiples intermédiaires. L'artiste étant toujours au bout de la chaîne, on cerne bien le problème.

Les critiques de Taylor Swift en rejoignent d'autres, comme celles du chanteur de Radiohead Tom Yorke, qui accuse Spotify de rémunérer de manière ridicule les jeunes artistes. Nigel Godrich, leader du groupe Atoms for Peace, a également fait retirer certains albums de la plateforme. C'est peut-être une goutte d'eau dans la mer lorsqu'on considère le catalogue de Spotify, mais c'est suffisant pour que la plateforme décide de se défendre.

« Le piratage ne rapporte pas un sou »

Le 11 novembre, Spotify a changé de tactique. Son fondateur, Daniel Ek, a publié un très long message pour faire entendre sa voix. On pourrait grossièrement le résumer ainsi : Vous trouvez que Spotify ne rémunère pas assez les artistes ? Eh bien dites-vous que le piratage, lui, ne paie pas du tout.

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« Quincy Jones a publié sur Facebook "Spotify n'est pas l'ennemi : c'est le piratage qui l'est". Vous savez pourquoi ? Voici deux chiffres : zéro et deux milliards de dollars. Le piratage ne donne pas un sou aux artistes : rien, zéro, zéro. Spotify a versé plus de deux milliards de dollars aux maisons de disques, aux éditeurs, aux sociétés de distribution des auteurs et artistes » explique Daniel Ek.

« Nous avons déjà payé 2 milliards de dollars de redevances à l'industrie de la musique et si cet argent ne parvient pas à la communauté créative d'une manière transparente et opportune, alors il y a un gros problème » ajoute-t-il. Si le fondateur de Spotify indique qu'il souhaite prendre ses responsabilités, notamment en accélérant le paiement des redevances, le problème qui apparait en filigrane est celui de la redistribution de ces dernières auprès des différents acteurs du marché.

Un point qui n'est pas abordé par Spotify, et on imagine pourquoi : jeter un tel pavé dans la mare mettrait en danger certains partenariats de la plateforme. Néanmoins, il semble interpeler certaines instances. En France, l'Adami indiquait début novembre que « Les artistes du monde entier se mobilisent. Une coalition internationale sera prochainement annoncée » dans l'optique de trouver des solutions qui sont « connues » : « partage équitable, perception directe de la part artistes auprès des plateformes de streaming via la gestion collective. » Connues, mais loin d'être appliquées.

Tordre le cou aux idées reçues

Spotify en profite également pour briser quelques mythes, notamment le fait que son modèle gratuit, basé sur la publicité, participe à la rémunération des artistes. Le modèle fremium est nécessaire pour Spotify : « Aujourd'hui, les gens écoutent de la musique via une grande variété de moyens, mais de loin, les trois plus populaires sont la radio, Youtube et le piratage, gratuits tous les trois. Voici le constat indéniable qu'on peut faire : la grande majorité de l'écoute de musique est non rémunérée. Si nous voulons pousser les gens à payer pour de la musique, nous devons en premier lieu attirer leur attention avec une offre gratuite » estime Daniel Ek.

De fil en aiguille, Daniel Ek revient au sujet initial, à savoir Taylor Swift. Pour une artiste de cette envergure, il estime que les redevances dépasseront les 6 millions de dollars par an. « Nous estimons que ce nombre doublera l'année prochaine » ajoute-t-il.

« Le fait que Taylor Swift supprime sa musique de Spotify ne l'empêchera pas d'être disponible sur Youtube et Soundcloud, où les gens écoutent tout gratuitement. Et que dire des fans qui vont se tourner vers Grooveshark. Et bien sûr, si vous regardez quel fichier était en tête des téléchargements sur The Pirate Bay la semaine dernière, vous constaterez qu'il s'agissait de 1980 » conclut Daniel Ek.

Opposer streaming légal contre piratage est une manière à la fois simple et extrême d'expliquer pourquoi Spotify n'est pas la plateforme à pointer du doigt quand il s'agit de critiquer la rémunération des artistes. Si le piratage reste encore un problème pour l'industrie du disque - mais pas seulement - cela ne sous-entend pas qu'il ne faudrait pas remettre les choses à plat concernant la rémunération des artistes.

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