Indiescovery #5 : Iris.Fall

Kevin Gainche
Par Kevin Gainche, Spécialiste gaming.
Publié le 26 février 2019 à 17h40
Indiescovery 5


Indiescovery, c'est votre nouveau rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !

Avant propos

Où l'on parle d'ouverture

Ce qui est génial avec le jeu vidéo, c'est qu'il s'agit d'un média qui nous permet de vivre des tas d'expériences différentes, imaginées par tout autant de personnes différentes. Derrière chacune de ces créations se cache une vision, une volonté de nous transmettre un message bien particulier, une émotion, de nous raconter une histoire d'une certaine manière, en jouant avec les codes, les forces, mais aussi les limitations imposées par un genre donné.

Une approche particulièrement vraie pour le jeu indépendant, qui nous délivre des expériences beaucoup plus personnelles, là où les grosses productions venues des studios bien établis ont parfois tendance à se perdre.

Indiescovery 5

Iris.Fall nous invite dans un monde fantasmagorique aux visions saisissantes

Les jeux indés donc, nous parlent presque autant de jeu vidéo que de leurs auteurs, et de nombreuses figures fortes ont émergé dans ce milieu au fil des années. Des hommes et des femmes que leur travail a mis en lumière, et qui ont impressionné par leur démarche créatrice forte, une originalité certaine dans l'approche du jeu vidéo, ou un charisme particulièrement développé. On retiendra ainsi Jonathan Blow, créateur de Braid et the Witness pour son dévouement presque malsain à la création, et la démarche jusqu'au-boutiste derrière sa dernière création, Phil Fish et sa verve, ou encore le sémillant Edmund McMillen, co-créateur de Super Meat Boy et capable de nous pondre des idées de jeux parfaitement étranges (regardez n'importe quoi sur Mewgenics, que l'on attend d'ailleurs toujours, et vous comprendrez).

«Car au-delà de concrétiser la volonté ou la vision de son auteur, le jeu vidéo, même indé, est surtout le fruit de l'endroit d'où il vient»



Mais ce n'est pas là ce que je souhaitais souligner aujourd'hui. Car au-delà de concrétiser la volonté ou la vision de son auteur, le jeu vidéo, même indé, est surtout le fruit de l'endroit d'où il vient. A de rares exceptions près, la plupart des jeux actuels, indés ou non, sont issus soit du Japon, soit des Etats-Unis, soit d'Europe, ce qui leur imprime - ce n'est pas très compliqué à remarquer - une tonalité. Un RPG, un jeu d'action ou quel que type de jeu que ce soit sera bien différent selon qu'il vienne d'un studio japonais ou d'un studio occidental, les différences culturelles façonnant non seulement la manière de créer le jeu, mais aussi son contenu. Et ce qui est beau avec le jeu indépendant, surtout ces dernières années, c'est qu'il est désormais possible de découvrir des titres venus du monde entier.

Avec la démocratisation des outils de création, Unity en particulier, ainsi que l'essor de ce bon vieil internet, de plus en plus de créateurs peuvent concrétiser leur vision et diffuser leurs jeux en dehors de leur sphère géographique. Il est désormais possible de jouer à des jeux venus d'Afrique, d'Amérique du Sud ou de toute l'Asie en quelques clics, et ce sont là autant d'expérience uniques qui nous permettent, en filigrane, de découvrir la culture du pays, ou de la région du globe dont ils sont issus.

Et très franchement, ça fait un bien fou de se frotter à autant de nouvelles manière d'aborder le jeu vidéo, de découvrir autant d'histoires, de créateurs et de visions qu'il nous aurait été impossible d'imaginer il y a encore quelques années. Et c'est avec cette idée en tête, que nous avons décidé de nous attaquer à Iris.Fall, un titre venu tout droit de Chine.

Iris.Fall

par Next Studio (2018)

Iris.Fall, c'est un puzzle game créé par Next Studio, un développeur basé à Shangai et Shenzen qui nous livre là sa deuxième production après Death Coming, un autre petit puzzle game dans lequel on incarnait la mort et devait récolter des âmes en tendant des pièges à ces misérables humains. Un petit jeu mignon comme tout, avec un pixel art fort agréable, et un humour potache mis en avant lors des séquences de mise à mort des humains, qui évoquent très fortement la série de film Destination Finale.

Avec Iris.Fall toutefois, le studio opère un changement assez radical, tant sur le fond que sur la forme. Si l'on se retrouve une fois encore face à un puzzle game, ce titre se veut aussi plus narratif, avec de nombreuses cut scenes qui s'intercalent entre deux énigmes disponibles dans l'environnement.

Indiescovery 5

Un énorme travail a été effectué sur les décors, qui dégagent une atmosphère incroyable


Tout commence lorsque la petite Iris se réveille d'un cauchemar par une une nuit orageuse, pour découvrir un chat noir dans sa chambre. Intriguée, la jeune fille se met à le suivre dans les rues, sous une pluie battante, pour rejoindre une vieille et étrange bâtisse, un théâtre abandonné, qu'elle visitera en long en large et en travers au gré de son errance nocturne.

Guidée par la présence constante du matou, elle découvrira un monde étrange, fait d'ombres et de lumières, de mécanismes tarabiscotés, et autres éléments flirtant avec le surnaturel, dans un voyage à mi-chemin entre rêve et réalité. L'occasion pour elle de découvrir ce théâtre bizarroïde, mais aussi, et surtout, d'en apprendre plus sur elle-même. Car l'étrange bâtiment semble receler de nombreux secrets sur son passé ; du moins, c'est ce que suggèrent les cinématiques qui jalonnent l'aventure.

Indiescovery 5

Une séquence de jeu particulièrement réussie, tant sur le fond que sur la forme


Car Iris.Fall fait le pari de ne pas piper un mot. Aucun texte explicatif, aucune cinématique doublée, rien. La compréhension se fait par l'observation, l'essai et la déduction grâce aux éléments présents à l'écran, et le chat, bien évidemment, qui agit comme un panneau indicateur vivant, nous poussant toujours plus avant dans l'histoire. Si le titre de Next Studio ne possède pas de niveaux à proprement parler, il possède toutefois un découpage en tableaux, des pièces dont il faudra trouver un moyen de sortir afin de continuer à progresser dans le théâtre, des énigmes successives, en cascade, qui se nourrissent les unes des autres au sein d'une même pièce, et dont il faudra percer la logique au fil du temps.

Si l'on retrouve des énigmes d'un grand classicisme, qui reprennent des poncifs du genre, une grande partie des mécanismes qui nous sont proposés tournent autour du jeu entre l'ombre et la lumière. Iris peut en effet, via des grimoires disposés dans l'environnement, passer à l'état d'ombre vivante, afin de se déplacer sur les ombres présentes dans la pièce. Tout l'enjeu consistera alors à aligner des objets à la perfection pour créer un passage ou une forme permettant de libérer le passage, obligeant à raisonner sur un plan 2 et 3D. Une petite touche extrêmement sympathique qui nous oblige à raisonner un peu autrement, ce qui est loin d'être désagréable lorsque l'on aime se creuser le ciboulot (et vous savez que j'aime ça si vous avez lu le deuxième Indiescovery). Au fil de la progression, durant les deux heures et des brouettes pendant lesquelles j'ai joué, je n'ai jamais véritablement été bloqué par les énigmes auxquelles j'étais confronté, ces dernières restant malgré tout assez classiques et loin d'être insurmontables dès lors que l'on prend deux secondes pour réfléchir.

«Pourtant, Iris.Fall n'est pas une contrefaçon, loin de là même. Iris.Fall est le résultat d'une lente digestion des codes mis en place par une longue lignée de prédécesseurs»



Et ce n'est au final pas bien grave, car pour moi, au-delà du simple plaisir ludique, l'intérêt de Iris.Fall réside autre part. En prélude, je parlais du fait que les jeux indés permettent de découvrir une autre manière de jouer, de conter des histoires, dictées non seulement par leurs créateurs, mais aussi par l'endroit où ils ont été créés. Iris.Fall est un jeu créé en Chine, par une équipe chinoise... et cela ne se voit presque pas. Pendant longtemps, même encore maintenant, la Chine a eu cette réputation de copieuse invétérée, et l'on parle encore très régulièrement des contrefaçons chinoises, un petit sourire narquois aux lèvres. Pourtant, Iris.Fall n'est pas une contrefaçon, loin de là même. Iris.Fall est le résultat d'une lente digestion des codes mis en place par une longue lignée de prédécesseurs. Comprenez par là qu'en jouant à ce titre, vous découvrirez les engrenages de bon nombre de puzzle games sortis ces dix dernières années, assemblés méticuleusement, avec une précision d'horloger, au sein d'un même jeu.

Cette boulimie de références trouve sans doute son expression la plus directe dans la plastique du jeu, que je n'avais pas encore évoquée. Avec son style graphique racé, qui évoque un cell-shading poussé à son paroxysme, Iris.Fall est beau, magnifique même, qui propose des visions absolument fantastiques, à l'image de cette section pop-up book qui propose des architectures à la Escher, et des passages qui ne sont pas sans rappeler le style de ce bon vieux Tim Burton, entre autres. Là encore, il ne faut pas y voir une simple copie bête et méchante, mais bien une création originale qui tente de concilier des tas d'influences, et sans doute aussi de rendre un hommage marqué à ses sources d'inspiration.

«Iris.Fall est là, le cul entre deux chaises»



En dépit des problème qui la hantent encore, la Chine commence à s'ouvrir au monde de manière plus intense que par le passé, et il est normal que les développeurs chinois soient encore en train de chercher leur voie, oscillant entre désir de créations originales et reprise de modèles existants. Iris.Fall est là, le cul entre deux chaises, jonglant entre sensation de déjà-vu et envolée bien senties. Mais c'est aussi ce qui fait tout l'intérêt de ce type de jeu, qui marque des jalons dans l'essor d'une scène véritablement indépendante, qui cherche à s'émanciper de ses racines, de ses modèles pour devenir une entité à part entière avec ses forces et ses faiblesses. Et pour ce qui est du jeu en lui-même, et de mon avis (si jamais cela vous intéresse), sachez que j'ai passé un très agréable moment à faire marcher mes neurones pour résoudre les puzzles concoctés par Next Studio, porté par une bande son très agréable et des visuels à tomber par terre, proposant des séquences absolument magnifiques. C'est tout pour moi cette semaine. A la revoyure !

Indiescovery 5

Le jeu sur les ombres, au centre de pratiquement toutes les énigmes d'Iris.Fall


On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :

Kevin Gainche
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