Façonner un jeu en monde ouvert, cela ne tient de nos jours plus de l'exception. La grandiloquence des projets de ce type tendrait à laisser penser qu'ils se font rares. Mais il n'en est rien. En témoignent les sorties depuis le mois de septembre 2015 de Metal Gear Solid V : The Phantom Pain, Mad Max, Assassin's Creed Syndicate ou encore Fallout 4. A ce concert de titres ambitieux, offrant une liberté de mouvement importante aux joueurs, est venu s'ajouter le 1er décembre Just Cause 3.
Le troisième épisode de la série initiée en 2006, conçu comme ses aînés par Avalanche Studios, fait figure d'enfant turbulent à la table des grands se disputant les faveurs d'un public avide d'exploration et de grands espaces. Car la nouvelle aventure de Rico Rodriguez appartient à un sous-genre que Saints Row a grandement participé à démocratiser : celui de l'open world excentrique au sein duquel le joueur est livré à lui-même et a pour principale limite son imagination. Le scénario, les développeurs suédois l'ont laissé au placard. Et ils ne s'en cachent pas. Des dialogues sans aucune profondeur, des personnages secondaires creux dont on a tôt fait d'oublier le nom, une histoire laissée de côté après moins d'une heure de jeu, le constat est clair.
Avalanche Studios assume pleinement son parti pris et préfère s'éviter les simagrées d'autres productions qui ne savent pas choisir et ne réussissent au final qu'à diviser inutilement leurs forces. Nous voilà donc dans la peau d'un héros qui a en horreur les dictatures et ceux qui les installent. Or, à Medici, une nation fictive présentant des paysages en partie inspirés par la Provence, règne le cruel Di Ravello, une caricature de vilain qui s'amuse à terroriser gratuitement la population locale. Cela tombe plutôt bien car le seul but du jeu s'avère être le suivant : bouter la milice du tyran - et ce dernier, par la même occasion - hors des régions qu'elle occupe. Et pour ce faire, Just Cause 3 laisse l'embarras du choix.
Fourni avec les outils mais sans notice
La grande particularité du dernier rejeton d'Avalanche Studios provient justement de cette volonté d'abandonner toute idée d'histoire et même, de narration. Le titre fournit ainsi la quasi intégralité des outils aux joueurs dès les premières minutes. Et à l'issue de quelques missions en forme d'explication, ceux-ci sont laissés totalement libres de leurs mouvements dans un vaste monde ouvert composé de plusieurs îles. Un environnement qu'il est possible d'explorer à bord d'une grande variété de véhicules, permettant d'évoluer dans les airs, sur les étendues d'eau ou la terre. Mais la façon la plus intéressante de se mouvoir reste liée à l'équipement de Rico Rodriguez qui emporte en permanence avec lui un grappin, un parachute et une wingsuit.Ce n'est pas l'un de ces outils mais la combinaison des trois qui donne la possibilité de se déplacer à grande vitesse et avec beaucoup de précision dans les décors. Aussi bien de manière horizontale que verticale. Le grappin permet d'attraper des éléments au loin et de se hisser jusqu'à eux, le parachute de planer sur de longues distances et la wingsuit de fendre le vent à toute allure. Après une période d'apprentissage obligatoire, la navigation devient fluide et naturelle.
Cette formation, le jeu ne vous la fait pas. Et c'est là l'un de ses défauts. Hormis les bases, le joueur doit lui-même comprendre le fonctionnement avancé de ce dont il dispose. Ce qui n'a rien d'évident si l'on ne possède pas un passif jeu vidéo important. La discrétion des missions principales, déclenchables à tout moment en se rendant à un point donné sur la carte, n'a d'égal que leur incapacité à se montrer pédagogues à ce niveau-là. La persévérance et l'esprit d'initiative sont autant de qualités essentielles pour appréhender au mieux Just Cause 3 et obtenir un résultat reflétant le potentiel réel du titre.
Un monde sens dessus dessous
L'autre grande singularité du jeu concerne son level design. Les développeurs ont choisi, comme pour les précédents volets, de s'affranchir de toute cohérence. Le monde ouvert de Just Cause 3 n'est pas la reproduction d'un environnement réel. Il est la vision fantasmée de plusieurs régions du monde, l'ambiance « paysages de Provence » laissant place à des décors enneigés, plus montagneux au nord de la carte, soit moins de dix kilomètres plus loin. Contrairement à des jeux comme GTA ou Assassin's Creed - pour ne citer qu'eux -, les villes n'y ont pas une place particulière. Elles sont d'une part, relativement vides et ne constituent pas, d'autre part, des « hubs » autour desquels le jeu gravite, en ce sens qu'elles ne sont pas centrales dans le fonctionnement du monde et ne donnent pas accès à de quelconques activités secondaires. Elles sont en réalité des territoires à reconquérir, à l'instar des bases de taille variable que les joueurs sont amenés à découvrir au fur et à mesure de leur pérégrination. Un peu comme dans les derniers Far Cry, l'objectif est de reprendre une à une les zones placées sous le joug du dictateur en semant sur place le désordre le plus complet. Concrètement, cela signifie exploser une liste d'éléments vitaux : antennes, commissariats, haut-parleurs, statues, transformateurs, etc.Ceux qui ont joué aux deux premiers épisodes le savent mieux que quiconque, c'est dans ces entreprises de destruction massive que réside tout le sel de la production suédoise. Les développeurs en ont évidemment conscience et ils ont, de ce fait, particulièrement soigné le level design des bases et autres camps à réduire à néant. L'accent est mis sur la verticalité des environnements qui proposent systématiquement différents niveaux au cœur desquels évoluer. Les développeurs jouent autant avec les éléments naturels, comme les cavernes, qu'avec les édifices, à l'image des immenses tours que les joueurs sont régulièrement invités à faire tomber. De cette construction réussie naît en grande partie le plaisir de navigation et l'envie de se montrer imaginatif dans la manière d'aborder les objectifs.
Le moteur de destruction, qui ne s'applique pas à tous les éléments du décor mais à certains d'entre eux, identifiables grâce à un code couleur qui ne laisse pas place au doute, donne une autre dimension à ce monde ouvert. Il offre au joueur un sentiment d'emprise sur ce qui l'entoure. Comme si ce dernier était amené à le remodeler à sa guise.
Sa force est aussi sa plus grande faiblesse
Ce concept de bac à sable absolu laissant une entière liberté aux joueurs s'avère être la plus grande force de Just Cause 3. Parce qu'il permet un plaisir immédiat que peu d'autres productions sont capables de procurer. Néanmoins, il s'agit aussi là de sa faiblesse la plus criante dans la mesure où il éprouve un mal fou à se renouveler au bout de quelques heures de jeu. Il faut alors inviter son imagination dans la partie, se fixer ses propres objectifs, pour faire durer l'aventure. C'est l'évidente limite de la série qui ne possède pas ce fil rouge auquel se raccrocher quand l'envie de poursuivre sa route s'émousse naturellement. Et ce, en dépit des quelques défis facultatifs - courses de vitesse, parcours en wingsuit, etc. - et d'un nombre de modifications à débloquer pour faire évoluer l'équipement ou améliorer les déplacements.Un problème d'autant plus important que les motifs de lâcher Just Cause 3 existent. Les quelques soucis d'ordre technique sont notamment capables de faire décrocher les plus obstinés. A commencer par des temps de chargement incroyablement longs, sur PlayStation 4 du moins. Les nombreux ralentissements peuvent également mettre à l'épreuve la patience des joueurs les plus exigeants, tout comme l'absence de mini map pour se repérer dans l'environnement, obligeant à passer par les menus pour afficher la carte des lieux.
Il reste alors cette vaste étendue qui regorge d'endroits à découvrir, de zones à explorer, de bases à détruire. Un monde ouvert à part qui propose une approche différente des mastodontes du genre. Une alternative quoi qu'il en soit bienvenue en ces temps d'uniformisation des AAA.