Histoire d'en rajouter une couche, le bon Patrice a décidé de ne pas jouer la facilité. Si l'on pouvait aisément imaginer retranscrire une telle épopée sous les atours d'un jeu de stratégie, cela manquait sans doute de panache pour Désilets et sa bande, qui a décidé de nous plonger in medias res, les mains dans le cambouis, directement dans la peau (ou la fourrure) de nos lointains ancêtres. Un choix plein d'audace, dont le but principal est sans aucun doute de renforcer l'immersion du joueur, et l'implication de ce dernier dans le destin des hominidés dont il prendra le contrôle au fil des heures de jeu. De l'audace donc. Et de l'ambition aussi. Trop peut-être, car comme vous allez le voir au gré de cette chronique, Ancestors : The Humankind Odyssey est loin d'être un jeu parfait, grevé par une ribambelle de défauts et de maladresses qui le rendent parfois proprement insupportable. Cela en fait-il pour autant une purge à éviter à tous prix ? C'est la question à laquelle nous allons essayer de répondre dans les quelques lignes qui suivent.
Premier contact
La date ? 10 000 000 avant notre ère. Le lieu ? Une portion de jungle du continent Africain, berceau de l'humanité. Après une cinématique qui nous montre toute la cruauté de ces temps reculés, où règne la loi du plus fort, le temps est venu pour nous de débuter l'odyssée de l'humanité. Et c'est dans la peau d'un enfant, dont la mère vient juste d'être boulottée par un volatile monté en graine que l'on fera nos premiers pas. Effrayé par l'inconnu, matérialisé à l'écran par une tripotée de stimuli visuels et les oreilles noyées par des bruits inquiétants, il faudra emmener notre petit compagnon à l'abri. Une tâche qui permet de se familiariser avec les commandes de déplacement, et quelques autres qui seront expliquées succinctement par de brefs messages affichés le temps d'un éclair. Désilets et sa bande l'avaient annoncé de but en blanc au début du jeu : Ancestors ne va pas nous faciliter la tâche.Après cette brève introduction, et une fois le petit mis en sécurité dans un abris de fortune, c'est dans la peau d'un adulte du clan que l'on pourra véritablement débuter la grande aventure de l'évolution. Avec comme première mission d'aller récupérer le petit dans sa cachette, car comme vous le découvrirez par la suite, les enfants du clan sont la clef de l'évolution, et donc, de la survie de l'espèce. C'est donc la fleur au fusil que notre vaillant primate est parti à la recherche de sa progéniture, prêt à en découdre avec les menaces du monde qui l'entoure. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a de quoi faire. Confiant dans ses capacité, l'adulte s'élance dans le vide, pour mieux rater la branche qu'il visait, s'étalant des dizaines de mettre plus bas sur le sol de la jungle, et se brisant une guibolle au passage. Encore groggy de sa chute, handicapé par sa blessure, la jungle lui rappelle illico que les faibles ne sont pas les bienvenus. Un serpent, sans doute dérangé dans sa sieste postprandiale lui saute dessus, le mord, et se taille, l'empoisonnant pour la forme. Traînant la patte, la vision déformée par le venin qui coule dans ses veines, notre primate finira quand même par accomplir sa tâche après plusieurs dizaines de minutes d'errance pour retrouver la cachette du petit, finissant par retrouver la sécurité de l'habitat du clan.
Voilà, en somme, la première heure que j'ai passé dans Ancestors. Un premier contact loin d'être accueillant, dominé par une seule et même pensée : « Mais bon sang de bois, qu'est-ce que je suis en train de faire là ? » . Car Ancestors ne vous facilitera pas la tâche, et prendra même un certain plaisir à vous laisser patauger dans les méandres de son gameplay. C'est même là tout le cœur de la démarche de Désilets qui souhaite placer le joueur au même niveau que les primates qu'il incarne. Des êtres qui ont tout à découvrir, largués dans un monde inconnu, plein de mystères, et qu'il faudra apprendre à maîtriser au gré de longues séances d'essais et d'erreurs. Et des erreurs, vous risquez d'en faire quelques-unes, que vous le vouliez ou non...
Dave Gibbon
Nous l'avons déjà évoqué un peu plus haut, mais nous allons le réaffirmer ici : Ancestors est un jeu avare d'informations, et il revient au joueur de découvrir ce qui se trame dans les entrailles du jeu de Désilets. Ici, point de de quêtes, de marqueur d'objectifs à suivre, voire d'objectifs tout court. La seule et unique mission que vous confie le jeu consiste à faire évoluer votre clan, sorte d'allégorie d'une humanité en devenir. Et pour accomplir cela, il va falloir bosser.Tout commence par l'utilisation de l'intelligence, une sorte de vision spéciale qui, lorsque vous restez immobile, vous permet de mettre en surbrillance les éléments intéressants de l'environnement immédiat. A vous ensuite de vous concentrer dessus pour tâcher de les identifier, et ainsi permettre à votre avatar d'en mémoriser l'emplacement, du moins pour un court laps de temps. Il sera aussi possible d'utiliser son odorat, ou son ouïe pour identifier les menaces ou les sources de nourritures potentielles. Après avoir repéré l'un de ces éléments, vous pourrez rejoindre son emplacement pour découvrir de quoi il s'agit. Buissons, cailloux, ruches et autres éléments du décor pourront alors être inspectés en détails, ramassés et analysés en profondeur, de manière à intégrer la base de connaissance du primate.
Ramassez une baie, et vous pourrez la renifler, puis la goûter afin de découvrir ses propriétés, bénéfiques ou non. Prenez en main un caillou, puis un autre, et vous découvrirez déjà qu'il possible d'utiliser vos deux mains, et qu'en plus, vous pouvez prendre une pierre pour taper sur autre. Ou utiliser une pierre sur un bout de bois ramassé plus tôt. En quelques minutes, vous venez ainsi de découvrir une source de nourriture, les des outils, et même une arme pour vous défendre contre les prédateurs qui ne manqueront pas de vous tomber sur le râble.
Si la sécurité du camp est idéale pour pratiquer les tâches de bases, et faire quelques découvertes, vous ne pourrez toutefois pas vous contenter d'y rester ad vitam aeternam sous peine de péricliter. Pour progresser, et évoluer, il faudra vous lancer dans l'inconnu en allant explorer l'environnement. Une tâche loin d'être simple tant la nature regorge de pièces et de dangers. Entre les prédateurs qui rôdent sous les halliers, les plantes toxiques, et la peur de l'inconnu qui pourra faire fuir vos primates la queue entre les jambes, il faudra s'armer de courage. Reste qu'il s'agit là d'une étape capitale qui vous permettra d'étendre non seulement votre territoire, mais aussi les connaissances de votre clan, au gré des nouveaux éléments découverts. Si Ancestors ne vous guidera pas, il vous forcera en revanche à utiliser votre tête et votre imagination au moindre moment. Chaque nouvel élément vous permettra de débloquer de nouvelles possibilités, qu'il vous faudra bien évidemment découvrir par vous-même. Comme nos ancêtres ont dû le faire lorsqu'ils se sont trouvés face à la même situation. Profond non ? Et surtout, terriblement malin.
Passage de témoin
Chacune de ces découvertes est capitale pour la progression de l'espèce, permettant développer les connaissances et le réseau neuronal de chaque individu composant le clan que vous dirigez. Car voyez-vous, dans Ancestors, vous ne dirigez pas un seul primate, mais bien un clan entier dont vous pourrez incarner les différents membres comme bon vous semble. Pour survivre, le clan ne pourra en effet pas compter qu'une seule personne, et c'est du nombre que viendra la force. Voilà pourquoi il sera extrêmement important de cultiver les relations entre les individus, jusqu'à former un ensemble soudé, capable de partir explorer l'inconnu sans succomber à la peur, ou bien aux attaques de prédateurs. Il sera ainsi possible de montrer une technique aux membres du clan pour qu'ils puissent la reproduire, nouer des relations de confiance entre les membres du clan, ou des étrangers rencontrés au gré de vos pérégrinations, voir même, de créer des couples qui engendreront à un rejeton qui viendra grossir les rangs du clan. Et ce point est essentiel pour la survie, et la progression de l'espèce. Le réseau neuronal de votre avatar, sorte d'arbre de compétence qui recense toute ce que vous avez appris
Dans Ancestors, la progression tourne autour de la transmission des connaissances aux petits du clan. Voilà pourquoi chaque adulte à la possibilité de transporter jusqu'à deux petits à tous moments. Chaque action accomplie en compagnie des rejetons permettra en effet d'engranger de l'Energie Neuronale, servant à débloquer les « compétences » obtenues en effectuant des découvertes (tailler un bâton, créer une couche avec des feuilles, etc). Une idée simple en apparence, qui vise à montrer les mécanismes de transmissions entre les générations, mais qui une fois en jeu, s'avère légèrement plus complexe. Car le système de progression d'Ancestors est une machine complexe, absconse, qu'il faudra pourtant déchiffrer pour ne pas gâcher inutilement des heures de jeu.
Après avoir débloqué lesdites compétences, et agrandi le clan à grands renforts de bambins, il sera possible de faire un saut de génération. Ce qui aura pour effet de faire vieillir toute le monde d'une quinzaine d'année, mourir les individus les plus vieux et surtout, faire passer à l'âge adulte tous les rejetons du clan. Ces derniers, fort de ce que leurs ont transmis les parents, seront plus habiles, et donc plus à même de faire progresser le clan plus avant. Ces sauts seront aussi l'occasion de verrouiller certaines améliorations, tandis que d'autres devront à nouveau être éveillées en réalisant les actions ad hoc (tailler à nouveau des bâtons par exemple). Dès lors, c'est un nouveau cycle qui se répète. Nouvelles découvertes, apprentissage de nouvelles compétences, transhumance du clan vers l'inconnu pour établir un nouveau campement pour le clan, naissances, etc... Jusqu'à pouvoir lancer l'Evolution.
Si le saut de génération se contente de faire passer une quinzaine d'années, l'Evolution pour sa part, permet de faire avancer le temps de plusieurs centaines de milliers d'années. Il s'agit d'une étape cruciale du jeu qui vous donnera l'occasion de bloquer bon nombre des compétences que vous avez apprises pour les générations futures, toute en récapitulant les principales découvertes que vous aurez effectué. A son terme, vous retrouverez votre clan plus solide que jamais, enrichi par le savoir de plusieurs milliers de générations. Et si vous avez suffisamment bien bossé, vous aurez même l'occasion de découvrir que votre petite famille a évoluée vers une nouvelle branche de l'espèce. Aussi intéressant que soit ce principe, les mécaniques qui y président reste particulièrement absconses lorsque l'on s'y frotte la première fois, ce qui pourra engendrer pas mal de déconvenues durant les premières parties.
Retour vers le passé
Pour ne rien arranger à l'affaire, Ancestors ne s'illustre pas particulièrement sur sa partie technique. Visuellement pour commencer, le jeu est loin d'atteindre les standards de production actuels. Que ce soient les modèles ou les textures, difficile de ne pas tiquer devant la grossièreté de certains éléments. On tiquera aussi sur la distance d'affichage qui, si elle reste correcte lorsque l'on évolue dans les zones de jungle denses, devient problématique lorsque l'on se trimbale dans les environnements plus ouverts. Il en va de même pour les animations des primates, rigides à souhait, qui cassent un brin l'immersion, et le plaisir de voir ces derniers virevolter de branche en branche. Cela reste toutefois excusable dans la mesure où, ne l'oublions pas Ancestors est un jeu développé par une petite équipe, ne disposant pas de moyens aussi faramineux que le premier AAA venu. Ce que l'on pardonnera moins en revanche, c'est la laideur et le manque d'ergonomie de l'interface, tout comme les problèmes techniques dont souffre encore le jeu.Avec ses grosses formes géométriques blanchâtres, ses multiples couches de touches aux utilisations diverses et un radar proprement incompréhensible, l'interface d'Ancestors et un cauchemar d'UI designer. A tel point que l'on se demandera parfois s'il ne vaut pas mieux jouer en la désactivant purement et simplement. Les problèmes techniques pour leur part, sont une autre paire de manches. Si nous avons été relativement épargnés durant nos tribulations, de nombreuses personnes ont eu affaire à des bugs extrêmement problématiques, qui ont purement et simplement foutu en l'air une partie bien entamée. Espérons toutefois que Desilets et les siens prennent le temps de concocter des correctifs pour arranger les choses. La difficulté du jeu se suffisant à elle-même, pas besoin de nous rajouter des bâtons supplémentaires dans les roues.
Pour terminer sur une note plus positive, et en dépit d'une partie technique un brin décevante, il faut toute de même souligner le travail effectué par Panache Digital sur le level design, et leur univers en général. Les différentes zones créés pour Ancestors possèdent indéniablement une âme, et c'est un plaisir, après s'être familiarisé avec un environnement, d'en parcourir les moindres recoins. Le jeu possède d'ailleurs des très jolies visions, que l'on se surprendra à admirer au gré d'une luminosité ou d'une météo particulière.
Ancestors : The humankind Odyssey - l'avis de Clubic
Ancestors est rude. Rèche. Repoussant même parfois. Et pourtant, il s'agit d'une expérience comme l'on en voit que très rarement. Intrigant. Ambitieux. Fascinant. Malin à plus d'un égard aussi. Si l'on ne le jugeait que sur son aspect ludique, autant vous dire que le titre de Panache Digital se ferait descendre en flèche sans aucune retenue de notre part. Graphiquement daté, avec des animations d'une raideur effrayante pour des personnages sensés se trimbaler avec grâce dans les frondaisons, Ancestors souffre aussi de nombreux bugs franchement handicapants, capable de foutre en l'air une partie pourtant bien engagée. Pour ne rien arranger, difficile de ne pas non plus juger assez négativement l'âpreté du gameplay. Entre l'interface grossière, lorsqu'elle n'est pas tout bonnement incompréhensible, le manque (voulu) d'informations sur les mécaniques du jeu et les objectifs, la répétitivité imposée par le gameplay et la difficulté qui frôle parfois la punition, la volonté d'envoyer valdinguer manette ou clavier et souris n'est jamais bien loin.Mais retenir uniquement ces aspects d'Ancestors, même s'ils sont loin d'être anodins lorsque l'on parle de jeu vidéo, serait une erreur. Une sacrée erreur même, tant le jeu de Désilets a à offrir. Avec son gameplay rustre, qui ne se livre qu'après de longues heures d'apprentissage par l'erreur et la répétition, tout comme cette volonté de ne pas nous mâcher le boulot à grands renforts de tutoriels, Ancestors nous colle dans la même situation que nos ancêtres. Livré à nous-même dans un univers étranger, dont les codes et les dangers nous échappent, il faudra faire preuve de persévérance et d'ingéniosité pour pouvoir progresser. Et c'est sans doute là la très grande force de ce titre, qui mêle fond et forme de fort belle manière. Gageons toutefois que cette approche extrême ne ravira pas tout le monde, et que de nombreux joueurs décrocheront passé les premières heures de jeu, déçus ou dégoûtés par les épreuves auxquelles ils seront confrontés.
Ancestors est un titre qui se mérite, qui demande de l'investissement pour livrer ce qu'il a de meilleur. Un concept extrêmement ambitieux, trop sans doute, mais qui nous fait vivre quelque chose de grand. Cela suffit-il pour que nous lui donnions l'absolution ? Aussi difficile que cela soit à écrire : non. Les lacunes techniques, l'absurdité de certaines mécaniques et la difficulté finissent par générer une certaine lassitude qui finit par l'emporter sur l'attrait initial, et le plaisir pourtant engendré par la découverte. Et c'est dommage, parce que Désilets nous avait fait une magnifique promesse, que l'on peinera à retrouver manette en main.