En 2014, rares sont les éditeurs qui auraient misé leur chemise sur Spintires, un jeu développé par Oovee Games prenant place au cœur de plaines russes où les mots GPS, routes et cartes semblent à peine connus. Aux commandes de mastodontes de la taïga, le joueur devait assurer le transport de marchandises. Rebelote en 2017 avec la sortie de MudRunner et un budget plus important pour Saber Interactive qui a pris le relais. Focus Home Interactive, déjà présent dans le monde de l'utilitaire avec Farming Simulator, a flairé la bonne affaire et bien lui en a pris puisque la formule de Spintires - dopée par davantage de véhicules et un environnement plus vaste, plus varié - a rencontré un large succès... En tout cas, suffisant pour que les deux compères se complaisent dans la mondialisation avec SnowRunner où l'Alaska et le Michigan s'ajoutent aux immenses plaines de Sibérie.
« Incontestablement plus vaste et plus riche que ses deux ancêtres »
Bagnole en rade et sacs de couchage tout trempés
« Chaque année, des hommes avec des grosses voitures partent à fond les bananes sans prendre de carte routière. Résultat ? Ils prennent les routes les plus mal entretenues et se plantent comme des grosses otaries bourrées à la bière ». En trois lignes, à la fin des années 80, les Nuls assassinaient le Paris-Dakar. Sans le savoir, ils décrivaient surtout et avec une précision assez redoutable, le pitch de SnowRunner. Vous vous en doutez, nous forçons un peu le trait, mais le fait est que 50% du temps passé sur SnowRunner sera consacré à de remarquables gamelles dans la boue, des glissades à peine contrôlées sur des surfaces verglacées ou à jouer du treuil pour essayer de se remettre « dans le droit chemin ».À la base, SnowRunner n'est certes pas un simulateur de gamelles, mais comme tous les amateurs de Spintires / MudRunner vous le diront, il s'agit d'une composante essentielle du jeu, une sorte d'effet collatéral qui implique d'apprécier les masques de boue pour prendre un minimum de plaisir sur ces livraisons de marchandises dans les coins les plus paumés et les plus inhospitaliers de la planète. Mais commençons par le commencement et l'organisation même du jeu. Un joueur de SnowRunner débute effectivement dans le Michigan au volant d'un pick-up Chevrolet CK1500. Oui, première information d'importance : les véhicules de SnowRunner ne sont pas qu'inspirés d'engins réels, de véritables accords de licences ont été signés avec quelques constructeurs de renom afin de disposer de 18 modèles emblématiques dans le jeu.
Des modèles « officiels » donc qui viennent compléter une offre pléthorique... enfin surtout si on la compare aux 10 pauvres engins présents dans Spintires et au 19 de MudRunner. À ce niveau, on sent clairement le budget bien plus important de Saber Interactive : au total ce sont donc 40 monstres mécaniques dont on peut prendre le volant pour s'éclater à faire du hors-piste. Chevrolet est ainsi de la partie, mais aussi CAT, Ford, GMC, Western Star, Freightliner, Pacific Trucks ou Hummer. En début de partie, il faudra toutefois se contenter du CK1500, un pickup bien pratique pour apprendre les rudiments du jeu. Les premières heures sont ainsi consacrées à une espèce de didacticiel avancé : on maîtrise les contrôles de base (accélération, freinage), on apprend à enclencher le mode quatre roues motrices et à jouer du treuil pour se sortir de situations délicates.
Très vite, SnowRunner oriente toutefois le joueur vers le cœur de son gameplay : l'exploration de la carte afin de dégoter de nouvelles missions et de nouveaux contrats. SnowRunner se démarque effectivement de ses prédécesseurs en donnant davantage d'objectifs aux joueurs, en les laissant un peu moins perdus au milieu de l'immensité de sa carte... de ses cartes devrait-on dire d'ailleurs puisqu'il n'est pas tout à fait question d'un unique monde ouvert, mais plutôt de trois vastes régions avec à chaque fois trois cartes connectées les unes aux autres. Ainsi, il n'y a évidemment aucun lien direct entre l'Alaska, le Michigan et la péninsule de Taïmyr, en pleine Sibérie. Passer de l'une à l'autre de ces vastes régions se fait via une espèce de téléportation et si SnowRunner propose bien un total de 30 kilomètres carrés de terrains à découvrir, les 8,25 km² de MudRunner formaient davantage un tout.
Notons toutefois que malgré ce « découpage », SnowRunner est incontestablement plus vaste et plus riche que ses deux ancêtres. Puisque nous en sommes à voir « qui qu'a la plus grosse », soulignons que SnowRunner propose plus de variété dans les missions alors que MudRunner se contentait d'une formule unique. Dans le même ordre d'idées, davantage de marchandises, de cargos sont proposés à des joueurs qui pourront agrémentés leurs camions de bien plus « d'add-ons », ces éléments destinés à changer complètement la fonction de tel ou tel engin. Il est d'ailleurs bon de souligner que la personnalisation des véhicules fait maintenant son entrée dans le jeu : on aurait aimé quelque chose de plus complet - notamment au niveau des peintures et des vinyles - mais c'est déjà ça... d'autant que les mods sont toujours de mise avec SnowRunner.
« Dès lors que l'on atteint une tour de guet, une portion de la carte se dévoile avec ce que cela suppose de nouvelles missions »
Inter-titre... de transport
Cela dit, avant de parler de modifier le jeu, il faudrait peut-être vous en préciser les tenants et les aboutissants... je m'égare, je m'égare. Revenons donc dans le Michigan au volant de ce CK1500 signé Chevrolet. Après les commandes de base, SnowRunner nous explique comment faire le plein - c'est qu'elles ont soif ces petites bêtes - et comment utiliser la carte. Pour l'heure, cette dernière est presque entièrement plongée dans le noir. Au choix, le joueur peut partir à l'aventure et éclaircir zone par zone, route par route, mais il peut aussi repérer les quelques tours de guets réparties sur la carte. La technique n'est pas nouvelle, elle a déjà été surexploitée par Ubisoft, mais reconnaissons que ça marche : dès lors que l'on atteint une tour de guet, une portion de la carte se dévoile avec ce que cela suppose de nouvelles missions et de nouveaux objectifs.SnowRunner profite de la première tour, pour nous lancer sur le système de contrats, à la base des nouvelles missions et de la nouvelle organisation du jeu par rapport à MudRunner. En effet, sur chaque carte, plusieurs entreprises proposent des contrats successifs. L'idée est ici d'imposer des objectifs aux joueurs afin de remédier au côté errance sans but de MudRunner. Ici, il s'agira d'acheminer les ressources pour remettre sur pied un pont et là de venir dégager une citerne tombée dans la boue. L'intérêt de ces objectifs est aussi qu'ils viennent apporter un semblant de progression au jeu. Là, les avis pourront diverger cependant. En effet, certaines routes, certaines portions de la carte sont inaccessibles tant que le pylône tombé en travers de la voie n'a pas été dégagé par exemple. L'accès à la deuxième puis à la troisième carte d'une région est ainsi conditionnée à la réussite de certaines missions.
Une telle façon d'organiser les choses va un peu à l'encontre du principe de monde ouvert pourtant largement mis en avant par les développeurs. Reste que si les fans de MudRunner n'ont pas besoin de ce genre d'artifices, tous les nouveaux venus seront sans doute ravis d'être un peu tenus par la main. Surtout que ce n'est pas dans les habitudes de Saber Interactive. En effet, même si certaines portions de la carte sont bloquées, c'est souvent au joueur de le découvrir « à la dure ». On roule avec notre chargement pensant que l'on va pouvoir emprunter ce tronçon pour se rendre compte que non, il n'est guère praticable avec l'énorme semi-remorque que l'on se trimballe. Tant pis, il va falloir faire demi-tour et remplir quelques missions pour que la voie principale soit de nouveau ouverte.
L'intérêt de ce système est double : on peut choisir d'enchaîner ainsi les contrats afin d'avoir toujours quelque chose d'un peu dirigiste et ne jamais être trop perdu ou, au contraire, on peut décider de se lancer à l'aventure et réaliser les missions en fonction de ce sur quoi on tombe. Une seconde approche qui ravira davantage les fans des précédents opus que les nouveaux venus. Cette variété des approches est bien sûr liée à la variété des missions proposées. Nous l'avons dit, les activités de SnowRunner sont bien davantage diversifiées et si le cœur du jeu reste toujours l'acheminement ici de ciment, là de métal pour différentes industries du secteur, on peut aussi être missionné pour la récupération de remorques abandonnées, sortir un véhicule embourbé, pomper une zone un rien détrempée, voire participer à de véritables petites courses contre la montre afin de montrer toute notre maîtrise des petits 4x4 d'exploration.
Reste que tout l'intérêt de SnowRunner réside davantage dans son système de conduite, son approche très simulation que dans l'habillage. On sent que Saber Interactive a encore des progrès à faire dans l'organisation de sa carte, la variété des missions ou la gestion de son interface. En revanche, côté conduite, le résultat est assez stupéfiant. Soulignons d'abord le soin extrême apporté à la modélisation des différents engins et à la reproduction de leurs spécificités techniques. Ceci est associé une fois encore à la parfaite intégration du moteur physique Havok. Il n'a rien de nouveau dans la mesure où il était déjà associé à MudRunner, mais Saber Interactive est allé encore un peu plus loin dans la prise en compte des éléments du décor, dans la réaction et le comportement des véhicules. SnowRunner est parfaitement capable de gérer des routes inégales bien sûr, mais aussi de prendre en considération les différentes natures de terrain.
« Cette pauvre branche qui bloque notre Azov 42-20 Antartic, un monstre de 40 tonnes / 450 chevaux »
Camions pas si ternes que ça
Nous ne parlons pas ici de faire la différence entre une autoroute et un chemin de terre, mais bien de rendre compte de zones plus ou moins boueuses, de cassis plus ou moins importants. Selon que la suspension de notre véhicule est plus ou moins haute, que les roues adoptent un diamètre de 39'' ou de 50'' et que les pneus sont typés hors-pistes ou équipés de chaînes, le comportement du camion sera radicalement différent. On doit alors faire attention aux risques de casse mécanique bien sûr - lancé à 60 ou 70 km/s, il ne fait jamais bon rencontrer un roc - mais aussi et surtout à la nature même du terrain. On a tôt fait de se retrouver embourbé dans une zone plus profonde que prévue ou d'être carrément renversé sur le côté parce que l'inclinaison de la route était « incompatible » avec l'équilibre de notre camion chargé à bloc.Il faut alors jouer du treuil comme le didacticiel a pu nous l'expliquer en tout début de partie. Bien sûr, les choses sont autrement plus compliquées quand il s'agit de « remorquer » un énorme 38 tonnes que de simplement « tirer » notre Chevrolet CK1500. Il faut faire preuve de justesse dans le choix du point d'ancrage et cela conduit à d'autres activités plutôt originales comme la gestion des grues de chargement / de sauvetage. On doit ancrer notre véhicule dans le sol de sorte qu'il ne soit pas emporté par le poids du véhicule / du container à « sauver », on doit gérer les mouvements de la grue et, bien sûr, permettre à la cargaison d'arriver saine et sauve. Dans ce genre de cas, mais aussi dans la plupart des situations de conduite en « terrain délicat », SnowRunner impose son rythme au joueur.
Il faut savoir prendre son temps pour négocier sa progression sur un chemin escarpé, il faut savoir raison garder quand pour la troisième fois, on perd notre fichue cargaison pour un coup de volant mal assuré. À ce niveau, SnowRunner implique de jouer au volant ou à la manette. Hélas, la gestion du clavier n'est pas assez fine, pas assez subtile pour parvenir à nos fins. Autre reproche, le niveau de difficulté est étrangement bien plus élevé en début de partie, alors que l'on ne maîtrise rien, que l'on dispose de véhicules bas de gamme et d'aucune option pour les rendre plus efficaces. Dans SnowRunner, il faut accepter de refaire deux, trois ou quatre fois la même mission, on peste contre le moteur physique parfois capable d'éclairs assez remarquables et d'autres fois - beaucoup plus rares heureusement - de blocages complètement « abrutis » comme cette branche qui coince notre Azov 42-20 Antartic, une espèce de variation du monstrueux Kamaz Arctic 6345.
Ces quelques bugs du moteur Havok sont assez compréhensibles quand on voit la richesse des situations de SnowRunner. Reste que quand on voit son camion complètement coincé / collé à un tronc d'arbre, ça énerve ! On est aussi pas mal agacé par une interface pas toujours bien organisée et l'absence assez stupéfiante d'un module GPS digne de ce nom. La vue intérieure - pourtant logique sur une simulation - n'est guère exploitable et même si des progrès sont à signaler, les développeurs sont ici encore loin du compte. Techniquement d'ailleurs, on se sent de nettes améliorations avec des bugs moins fréquents et des environnements plus détaillés. S'il n'est clairement pas le plus beau jeu du monde, SnowRunner fait le job et rend plutôt bien le côté cradingue des chemins que l'on doit parfois arpenter : les traces de boue ou l'évacuation de l'eau sont à ce titre plutôt bien rendues.
Alors que SnowRunner est exclusif à l'Epic Games Store, la question des mods était posée. Saber Interactive a répondu de belle manière en autorisant le travail de la communauté via la plateforme mod.io. Mieux, plusieurs mods sont déjà disponibles et quand on sait que MudRunner avait été bien soutenu par sa communauté, il n'y a aucune crainte à avoir de ce point de vue là. Hélas, le bilan de Saber Interactive est moins probant sur deux éléments : tout d'abord malgré la présence d'une option « vibrations » dans les options, les effets sont pour ainsi dire nuls et aucun retour de force n'est perceptible alors que cela aurait évidemment contribué à l'immersion du joueur. Autre regret, le mode multijoueur est à peine ébauché. On aurait pu imaginer une certaine compétition entre amis, mais dans les faits, il s'agit simplement de se retrouver sur la même carte et se lancer des défis : rien n'est prévu pour égayer un peu ce mode multijoueur qui ne permet pas de rejoindre un ami à n'importe quel moment : il faut nécessairement lancer la partie à plusieurs depuis le menu.
SnowRunner : l'avis de Clubic
Comment ça, se rouler dans la boue en transportant des marchandises du point A ou point B en jouant du treuil ou du différentiel ne serait pas du goût de tous ? Certes SnowRunner s'adresse à ce que l'on pourrait appeler un public de niche, mais à partir du moment où cet élément est pris en compte, il nous faut reconnaître qu'il le fait avec brio en signant tout d'abord d'importants changements depuis la sortie de MudRunner. Un moteur graphique largement revu, une prise en compte de la physique plus précise que jamais et un système de jeu plus complet, plus engageant pour profiter des dizaines de kilomètres carrés ajoutés à la carte et des quarante véhicules modélisés. Reste que SnowRunner conserve le rythme terriblement lent de ses prédécesseurs, son open world est encore trop saucissonné et pas mal de petits problèmes techniques gâchent un peu le plaisir. Un jeu de niche qui ravira à n'en pas douter les contemplatifs mécaniques... mais fera pester / s'endormir beaucoup d'autres joueurs.Test réalisé à partir d'un code fourni par l'éditeur