Aussi étonnant que cela puisse paraître, Maneater ne nous propose pas d'incarner le fameux carcharodon carcharias, le grand requin blanc popularisé par Les Dents de la Mer de Peter Benchley / Steven Spielberg, mais un « simple » requin-bouledogue, bull shark dans la langue de Shakespeare. La terreur de Roy Scheider n'est qu'un figurant parmi de nombreux autres, à peine davantage mis en avant que le requin-marteau, le mako ou le requin-tigre. Reste que comme nous allons le voir, une bonne part du jeu est conçue autour de la crainte que peut inspirer le prédateur et les références aux Dents de la Mer (ou autres) sont nombreuses.
« une espèce de scénario faisant intervenir Pete l'Écailleux et son fils Kyle »
« On va avoir besoin d'un plus gros bateau »
Maneater s'ouvre sur une courte cinématique introduisant le personnage de Pete l'Écailleux, un pêcheur des bayous de Louisiane qui tente d'inculquer les rudiments de son métier à un fils visiblement peu convaincu. Au bout de quelques minutes, on se demanderait presque si on ne va pas finir par incarner le costaud avec sa barbe fournie... mais non, le jeu nous invite alors à un didacticiel dans lequel on apprend comme il se doit toutes les commandes pour manipuler notre nouveau meilleur ami, ce requin-bouledogue. À ce moment de la partie, on contrôle un adulte, mais cela ne dure guère plus de quelques minutes : le temps de comprendre comment on bouge, on saute, on donne des coups de nageoire caudale et des coups de mâchoires et nous revoilà avec un bébé requin entre les pattes.Sur la forme, Maneater est un jeu d'action en monde ouvert avec des éléments de RPG. Il prend place dans une région inspirée par la Louisiane, sur la côte bordant le Golfe du Mexique. On y contrôle donc un bébé requin bouledogue dont le seul but est de grandir en faisant respecter la chaîne alimentaire dont il est en quelque sorte l'aboutissement. Une croissance que l'on obtient en gagnant des « niveaux », comme dans un RPG. On démarre donc « bébé » puis on devient « adolescent », « adulte » et « ancien ». L'ultime étape n'a plus rien de sérieux et fait davantage référence à des films de série B (Mega Shark vs. Giant Octopus et ses suites) qu'à une quelconque rigueur zoologique : notre « ancien » évolue en « méga » pour mégalodon, un énorme requin préhistorique qui n'a jamais croisé l'être humain.
Le théâtre de nos exploits est relativement vaste : la carte de campagne subdivise effectivement les bayous en huit régions d'importance inégale et se rapproche d'autres RPG en monde ouvert comme Grand Theft Auto ou Assassin's Creed. En dehors de deux « portes » que l'on peut contourner, Il n'est pas ici question de réellement de bloquer l'accès aux autres régions, mais Maneater adopte tout de même une structure relativement progressive. En tout cas, c'est le message qu'il essaie de faire passer. Ainsi, le Bayou de Fawtick permet à notre bébé requin de se faire les dents sans trop risquer la mort alors que le Lac des Chevaux Morts - la seconde région - est plus indiqué pour un squale adolescent. Hélas, la progression est en réalité assez bancale et, autant nous n'apprécions pas forcément qu'on nous tienne la main, autant on aime bien quand les choses sont mieux construites.
En effet, pour « guider » le joueur dans ses aventures, Maneater repose sur une espèce de scénario faisant intervenir à plusieurs reprises Pete l'Écailleux et son fils Kyle dans un pastiche d'émission de télé réalité avec quelques bonnes blagues... et d'autres moins réussies. Pour faire avancer ce « fil conducteur » le joueur doit enchaîner les missions dans une même zone jusqu'à ce que la rencontre avec Pete soit proposée. Problème, il est très facile de complètement se détacher de ce canevas pour s'amuser à faire bondir son requin un peu partout. À la manière d'un Assassin's Creed, la zone est effectivement parsemée de petits défis, de missions secondaires, de recoins à explorer et de collectibles... à collectionner. De plus, le scénario est au début très « subtile », à peine perceptible et les différents joueurs qui ont pu essayer le jeu avec nous ont tous fait de même : ils ont progressé à leur rythme sans le moins du monde suivre la « Pete's story ».
« Notre squale devient très vite un monstre de puissance »
Nez, crocs, logis
En théorie, cela ne pose pas de problème et c'est même le propre d'un jeu en monde ouvert : on découvre le jeu à sa manière, on joue à son rythme sans trop se soucier du scénario principal et, quand le cœur nous en dit, on s'y raccroche pour voir un peu ce qui arrive à notre héros. Hélas, Maneater n'a pas été équilibré avec suffisamment de sérieux par les développeurs. Notez déjà qu'il n'existe aucun niveau de difficulté à choisir en début de partie - pourquoi pas - mais, plus gênant, il n'existe en réalité aucune difficulté tout court, aucun challenge... à moins peut-être de suivre à la lettre la progression imaginée par les développeurs ? Nous n'en saurons rien, car nous avons eu le malheur de partir un peu en phase d'exploration. Nous voulions découvrir les différentes régions, leur environnement, leur faune. Dans un jeu bien conçu, de subtils éléments « perturbateurs » nous auraient forcé un peu la main, sans que l'on s'en rende compte. Dans Maneater, c'est presque l'inverse.Ainsi, sans s'en rendre compte, on se balade à travers les différentes régions. On évite les créatures qui semblent bien plus costaudes que notre requin adolescent / adulte et on part en quête des multiples caisses de nutriments ou des plaques minéralogiques. Autant de collectibles qui font rapidement progresser notre squale. Tout semble fait pour nous pousser à explorer, à ne pas suivre les aventures de Pete l'Écailleux. Problème, notre squale en devient très vite un monstre de puissance et, au moment de se raccrocher à cet ersatz de scénario principal, on est bien trop fort. On enchaîne alors les missions à très, très grande vitesse et on élimine la moindre opposition presque toujours du premier coup. Durant les deux ou trois premières heures de jeu, un peu hardi, on avait rencontré la mort en voulant faire joujou avec un alligator de cinq fois notre niveau (15 vs. 3), mais il s'agissait des seules vraies difficultés.
Il faut ici savoir que l'évolution de notre requin passe par les différents stades déjà évoqués et par des améliorations que l'on glane au fur et à mesure des missions, des découvertes. On peut ainsi obtenir un nouveau corps, des dents plus efficaces, des nageoires plus rapides et divers « organes » octroyant des bonus spécifiques. Une fois débloqués, ces éléments peuvent encore être améliorés (« mutés ») et s'équipent comme le matériel de n'importe quel héros classique, une fois le requin rentré « chez lui » dans l'une des huit « grottes-abri » que l'on trouve dans chaque région. Puisque certaines améliorations sont liées à l'exploration du jeu et que cette dernière n'est que très peu entravée, on se retrouve à débloquer des compétences sans faire avancer le scénario principal et on amplifie encore un peu plus le décalage entre la puissance de notre requin et le niveau de difficulté général du jeu.
Cette absence presque totale de la moindre difficulté est d'autant plus regrettable que la progression de notre requin fait plaisir à voir et que l'aspect exploration / découverte marche plutôt bien. Rares sont les jeux en monde sous-marin et c'est donc avec un réel plaisir que l'on arpente les océans à la recherche de poissons divers et variés. On croise le chemin de tortues, de maquereaux, de poissons-chats pour ne citer quelques-unes des espèces inoffensives. Très vite, on rencontre aussi des barracudas et de multiples espèces de requins qui ne nous veulent pas que du bien. Peut-être un peu trop « graphique », l'interface distingue de manière évidente les « gentils » des « méchants » : les premiers sont en blanc quand les seconds sont cerclés de rouge et ils auront de toute façon tendance à nous foncer dessus à la moindre occasion, au mépris même du plus évident des dangers.
« On prend un réel plaisir à nous jeter sur les grassouillets baigneurs et à mettre le souk dans une rave-party en bord de mer »
Requin malais ou squale à lumpur ?
Alors que notre requin est maintenant un ancien de niveau 22, armé jusqu'aux dents - c'est le cas de le dire - il se trouve encore des barracudas de niveau 5 pour nous chercher des noises. On peut déjà douter du fait qu'un barracuda sauvage de 25 kg tout mouillé irait taquiner un requin-bouledogue, qui plus est de 6 mètres de long. On doute surtout de l'intérêt d'embêter ainsi le joueur avec des combats répétitifs, qui n'apportent plus rien et se concluent en deux coups de mâchoires. Il existe bien une compétence qui permet de rendre « pacifique » les prédateurs dont le niveau est 50% du nôtre, mais elle n'arrive qu'en toute fin de partie. Là encore, il y a un sérieux problème d'organisation, de cohérence dans le gameplay. En réalité, tout porte à croire que les développeurs se sont épris d'un concept - le requin tueur que l'on dirige sur les côtes de Louisiane - et ont ensuite cherché à développer un jeu autour... sans jamais y parvenir réellement.Il ne faudrait cependant pas jeter bébé avec l'eau du bain. Reconnaissons par exemple que l'on a pris un réel plaisir à jouer avec notre requin, à nous jeter sur les grassouillets baigneurs et à mettre le souk dans une rave-party en bord de mer. C'est avec bonheur que l'on a découvert nos premières améliorations et que l'on a combiné certaines compétences afin de créer un set de requin « osseux », « bio-électrique » ou « de l'ombre ». Malgré leur manque de difficulté, les combats sont plutôt sympas aussi : on s'amuse à alterner coup de nageoire et coup de mâchoires puis à esquiver les assauts adverses. Hélas, on ne peut pas dire que les développeurs se soient cassé la tête. L'alternance coup de gueule / esquive marche sur tous les « prédateurs » (boss animalier) et, quand on rate son coup, il suffit de s'éloigner, de croquer quelques poissons inoffensifs pour se refaire une santé avant de retourner au combat.
En définitive, le seul challenge est à chercher du côté du « rang d'infamie », intégré par Tripwire Interactive. Plus on attaque d'humains et plus notre jauge d'impopularité monte avec des paliers successifs : chaque seuil est l'occasion de voir débouler un chasseur émérite et si on sort victorieux du combat, on débloque une compétence. Compte tenu du nombre de bateaux qui arrivent en même temps et de la présence de plongeurs, ces séquences sont aisément les plus délicates... sans toutefois qu'on soit obligé de se prendre trop la tête pour en sortir victorieux. En même temps, est-ce que davantage de difficulté aurait amélioré le jeu ? Pas sûr, car on aurait alors perçu de manière plus dure encore la vacuité de l'immense majorité des missions. Il s'agit le plus souvent de tuer 10 poissons-perroquets, de manger 10 tortues, de faire leur fête à 10 phoques... et de recommencer !
Après une petite douzaine d'heures de jeu, vous devriez triompher du « combat final » pour voir une ultime preuve du manque d'équilibre de l'ensemble du jeu : les développeurs nous invitent effectivement à poursuivre l'aventure afin que notre requin grandisse encore et que l'on débloque de nouvelles compétences... Seulement voilà, nous étions déjà très proches des 100% ! Terminons si vous le voulez bien par des remarques d'ordre technique. La caméra est parfois un peu capricieuse alors que la version PlayStation souffre de rares problèmes de fluidité. Sur PC, rien de tel et un jeu plus que correct sur le plan graphique. On aurait sans doute aimé quelque chose de plus contrasté, mais les fonds sous-marins sont joliment dessinés et les diverses créatures animées avec un certain soin... Dommage que le gameplay ne soit pas du même acabit au final.
Maneater : l'avis de Clubic
Sans mauvais jeu de mots, nous avons sans doute eu la dent un peu dure l'encontre de Maneater tout au long de notre article. Il a tout du divertissement sans prétention, du délire de développeurs fait pour nous amuser quelques heures durant. À ce titre, il peut faire penser à d'autres délires avant lui comme l'inévitable Goat Simulator ou Untitled Goose Game. Si Maneater est plus ambitieux, mieux réalisé et plus complet que ces deux « pépites », il est aussi beaucoup plus cher et, en définitive, c'est peut-être là son principal problème. Demander aux joueurs d'investir près de 40 euros pour ce qui n'est finalement qu'un délire amusant quelques heures, n'est-ce pas démesuré ? À vous de voir.Test réalisé à partir d'un code fourni par l'éditeur