Le 10 avril, le monde entier a pu observer pour la toute première fois la photographie d'un trou noir capturée grâce au télescope virtuel géant Event Horizon Telescope (EHT). Si cette image a déjà été largement détournée sur les réseaux sociaux, elle soulève cependant de nombreuses questions auxquelles nous allons tenter de répondre ici.
L'aube d'un nouveau jour pour la recherche
M87* : un trou noir colossal
Situé dans la constellation de la Vierge à quelque 53 millions d'années-lumière de notre chère Voie Lactée, Messier 87 (aussi appelée M87 ou Virgo A) est l'une de nos géantes galaxies voisines. Prisée des astronomes pour son intense rayonnement électromagnétique, Messier 87 s'étend sur la bagatelle de 490 000 années-lumière. Cette galaxie elliptique abrite en son centre un trou noir supermassif appelé M87* qui se caractérise notamment par un jet de matière qui s'étend sur près de 5 000 années-lumière, qu'il est possible de détecter grâce à des radiotélescopes.D'une masse qui représente environ 6,5 milliards de fois celle du Soleil, M87* est à l'heure actuelle l'un des trous noirs des plus massifs que les chercheurs aient découverts et étudiés. Son diamètre est d'environ 40 milliards de kilomètres. Pour donner un ordre d'idée, cela représente 3 millions de fois celui de la Terre !
Comme nous, vous vous attendiez peut-être à visualiser une image de Sagittarius A*, le trou noir au cœur de la Voie Lactée, lorsque cette découverte a été annoncée. La question qui vient alors à l'esprit est évidemment : Pourquoi l'EHT est parvenu à capturer cette image de M87*, mais pas de Sagittarius A* ?
Un travail titanesque réalisé par la collaboration internationale de l'EHT
Tout d'abord, il faut savoir que Sagittarius A*, qui est situé à 26 000 années-lumière de la Terre est environ 1 000 fois plus petit (4,14 millions de fois la masse du Soleil) que M87*. Si le trou noir de notre galaxie voisine est quant à lui bien plus éloigné, sa nature supermassive le rend observable de manière équivalente à Sagittarius A*.En réalité, le réseau de télescope de l'EHT a tenté de cibler successivement les deux objets célestes, mais n'est pas encore parvenu à assembler une image correcte de Sagittarius A*. Il faut bien savoir que la capture d'une telle image n'est pas chose aisée puisque le consortium international de l'EHT regroupe près de 200 collaborateurs répartis sur le réseau de huit télescopes qui ont permis d'atteindre cette prouesse. Capturée les 5 et 6 avril 2017, puis quelques jours plus tard les 10 et 11 avril, cette image est en effet issue d'une collecte de données qui se chiffre en pétaoctets. Il aura fallu 2 ans de travail aux chercheurs pour parvenir aujourd'hui à nous présenter cette image bouleversante qui constitue un véritable test pour la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein.
Concernant Sagittarius A*, fort de sa réussite l'EHT prévoit déjà de réitérer l'expérience d'ici 2020 afin de capturer une image de ce mystérieux trou noir au centre de notre galaxie. L'an passé, une observation indirecte a été réalisée grâce à Gravity, un instrument qui a permis aux chercheurs de l'Observatoire européen austral (ESO) de combiner les quatre télescopes du VLT (Very Large Telescope) de détecter plusieurs sursauts lumineux provenant du disque d'accrétion (la matière, principalement du gaz, qui orbite autour du trou noir) et ainsi apporter des preuves tangibles de son existence. Toutefois, rien ne garantit encore qu'une telle image de Sagittarius A* puisse être obtenue. Le niveau de difficulté n'est d'ailleurs pas le même puisque le trou noir de notre Voie Lactée se présente par la tranche, alors que M87* est, comme nous pouvons le constater sur cette image, pratiquement vu de face depuis la Terre.
En parlant de cette image, rappelons qu'un trou noir n'émet pas de lumière et est invisible. La matière qui gravite autour à une vitesse proche de celle de la lumière est quant à elle détectée grâce à ses ondes radio, visible donc pour les radiotélescopes mais pas pour l'œil humain. Sur les images que l'on peut voir ci-dessus, les couleurs ne sont donc pas réelles : cette déclinaison de ton orangé à été choisie pour mettre en évidence les zones de forte intensité de rayonnement. Si le disque d'accrétion nous montre une asymétrie de luminosité, la zone située en bas de l'image présentant un rayonnement bien plus intense qu'à son opposé, c'est parce que dans certaines zones la lumière parvient plus facilement à échapper à la très forte attraction du trou noir. En outre, il faut noter que M87* est en rotation (dans le sens des aiguilles d'une montre) et est vu sous un angle de 60° depuis la Terre.
La preuve par l'image de la théorie d'Einstein ?
D'aucuns diront que cette image ne prouve rien, car le mystère qui entoure les trous noirs est encore grand à l'heure actuelle, et nous n'avons encore que très peu d'hypothèses sur la véritable nature des trous noirs et ce qu'ils peuvent bien renfermer. Ces objets étranges constituent à vrai dire une véritable énigme depuis près d'un siècle, quand l'astrophysicien Karl Schwarzschild a proposé sa solution aux équations posées par Albert Einstein sa théorie de la relativité générale. Si Einstein lui-même refusait l'idée que les trous noirs puissent exister, force est de constater que les travaux qui ont été menés depuis les années 70, avec des chercheurs comme Stephen Hawkings et Roger Penrose, ont aidé à investir ce secteur de la recherche en astrophysique, même si à cette époque aucune confirmation par l'observation n'avait pu être réalisée.L'image qui nous a été révélée ce 11 avril constitue cette preuve directe. Son observation vient confirmer, pour le moment, que la théorie d'Einstein est parfaite. Une première qui, on l'espère, sera suivie par d'autres saisissantes observations.
En outre, un point relativement important de cette découverte est que cette image se rapproche très fortement des simulations qui ont été réalisées en amont en suivant le modèle théorique. Les deux images ci-dessus sont le fruit de deux simulations qui ont eu lieu en 2017 et sont quasi identiques à l'image capturée par le télescope virtuel et ses 10 000 km de diamètre. Si cette découverte vient confirmer la théorie d'Einstein, elle valide également les travaux de ces chercheurs qui étaient déjà sur la bonne voie leur de leurs simulations informatiques.
Un algorithme pour confirmer la théorie d'Einstein
Enfin, rien de tout ça n'aurait pu avoir lieu sans l'algorithme qui a permis d'assembler la multitude de données collectées par le télescope virtuel. En effet, ce sont 5 pétaoctets de données qu'il a fallu déchiffrer et assembler, ce qui ne représente pas moins de 5 000 disques durs de 1 To ! C'est d'ailleurs pour cette raison que les données ont été transmises par avion à destination de l'observatoire Haystack du MIT et non par internet.À l'instar de Margaret Hamilton à son époque, l'ingénieure système du programme spatial Apollo sans qui rien n'aurait été possible, c'est une femme, Katie Bouman, qui a mis au point l'architecture informatique nécessaire à la réalisation de cette première mondiale. Pour en savoir plus sur ses travaux et le fonctionnement de l'algorithme, nous vous conseillons de visionner son enrichissante vidéo d'un TED Talk enregistrée en 2017.
Si des questions vous viennent encore à l'esprit après ce modeste récapitulatif, n'hésitez pas à utiliser la zone commentaire !