Grâce aux données issues des instruments de la sonde Cassini, une équipe de recherche a mis au point une carte géo-morphologique de Titan, afin d'en décrire les différents types de terrains. Le document est publié dans Nature Astronomy ce 18 novembre. Nous avons interrogé Alice Le Gall, chercheuse au LATMOS et co-auteure de l'article scientifique.
À quoi ressemble la surface de Titan ? On pourrait croire qu'après 127 survols de la sonde Cassini entre 2004 et 2017, la question ne se pose plus. Pourtant, il aura fallu beaucoup d'efforts à toute une équipe de chercheurs pour réunir les données nécessaires à l'établissement d'une cartographie précise. Car Titan, qui est d'ailleurs la seule lune du Système Solaire dans cette situation, se pare d'une atmosphère très dense et d'une importante couverture nuageuse. Pour en observer la surface, il faut donc utiliser des instruments capables de voir à travers.
« L'étude s'appuie à la fois sur les données radar incomplètes (qui ont cartographié environ 65 % de Titan avec une résolution comprise entre 300 mètres et 4 kilomètres) et les données infrarouges des instruments Cassini ISS et VIMS (qui ont imagé toute la surface mais avec une résolution d'au mieux 1 kilomètre). De cette façon, nous avons produit une première carte globale », explique Alice Le Gall.
Il faut de tout pour faire une carte
Chercheuse au LATMOS (Laboratoire ATmosphères, Milieux, Observations Spatiales) et spécialiste de Titan, avec plus d'une dizaine de publications scientifiques dédiées à la lune à son actif, Alice Le Gall participe ici à la cartographie de ses différents terrains, en particulier les dunes et les plaines. « J'ai analysé leur émissivité micro-onde, avec le radar de Cassini en mode passif (il n'émet pas d'onde mais se contente "d'écouter" l'émission thermique naturelle de la surface de Titan), ce qui nous donne des informations sur la composition du terrain, notamment la teneur en glace d'eau et en matière organique », nous détaille-t-elle.Visite guidée
Sur Titan, il existe six formations géo-morphologiques principales. Partons en voyage à travers cette épaisse brume orangée.Il y a d'abord de vastes plaines et des dunes qui peuvent s'étendre sur des centaines de kilomètres de long, quelques cratères (moins d'une trentaine dépassent les 20 kilomètres de diamètre), puis des régions vallonnées issues de la contraction de la croûte de surface, dans les premières années qui ont suivi la formation de Titan. On retrouve également les fameux lacs d'hydrocarbures (plus de 650 d'après les relevés !) dont certains sont asséchés suivant les saisons, et des formations dites labyrinthiques, imposants plateaux découpés de canyons et vallées fluviales.
« Les paysages de Titan sont très compartimentés, précise Alice Le Gall, dunes à l'équateur, plaines au moyennes latitudes, lacs et terrains labyrinthiques aux pôles. Cela est lié sans doute à la météo dans chacune de ces régions. Il pleut davantage aux pôles qu'à l'Équateur... Même si les gouttes de pluie sont des gouttes de méthane et non d'eau, il faut se rappeler qu'il fait -180°C à la surface de Titan ! On constate aussi que, même si la croûte de Titan est constituée de glace d'eau, sa surface est majoritairement recouverte d'un dépôt de matière organique formée dans l'atmosphère. Les dunes, les plaines, les terrains labyrinthiques sont très probablement constitués de cette matière organique ».
Un travail tourné vers l'avenir
Si cette carte va faire référence et permettre d'orienter certaines recherches à venir (les dunes, par exemple, peuvent servir à étudier les vents), elle restera incomplète à cause de sa résolution, révèle la chercheuse : « Cette étude reste limitée. Certains terrains que l'on qualifie de "plaines" sont peut-être recouverts de rivières ou de dunes plus petites ».S'il faudra attendre une prochaine mission pour obtenir de nouvelles données, c'est néanmoins grâce à ces travaux de cartographie que les équipes ont choisi un site pour l'atterrissage de Dragonfly. Ce drone multi-coptère devrait atterrir sur Titan sous la responsabilité de la NASA. « Dragonfly se posera dans une région dunaire, non loin d'un cratère "frais" où de l'eau liquide a pu exister à la surface pendant plusieurs centaines d'années et interagir avec de la matière organique. Le site choisi est particulièrement pertinent ».
Il faudra pourtant être patients, les vols ne sont prévus sur Titan que pour 2034 ! D'ici là, il faut travailler son imagination. Nous avons demandé à Alice Le Gall quel endroit elle aurait aimé visiter sur place : « Personnellement j'aimerais bien faire un tour du côté du site d'atterrissage du module Huygens qui s'est posé en 2005 à la surface de Titan. Et bien sûr aller observer les lacs, mais ces derniers sont plus difficiles d'accès car ils sont aux pôles, et une bonne partie de l'année dans la nuit polaire. Or une année sur Titan dure 30 années terrestres ! ». De belles perspectives, avec une première étape déjà accomplie, puisque l'on ne va nulle part sans une bonne carte...
Source : Nature Astronomy