Le fabricant de pneumatiques français fêtait ses 130 ans cette année. Mais plus que jamais, l'équipementier assume son histoire tout en développant les technologies d'aujourd'hui et de demain. Il a d'ailleurs mis plus qu'un pied dans l'Internet des objets.
Michelin traverse les âges, et à l'instar de son célèbre bonhomme Bibendum, ne prend pas une ride. La société était présente, les 20 et 21 novembre, au Sigfox Connect, l'événement phare annuel autour du réseau 0G. Nous en avons profité pour rencontrer Pascal Zammit, le directeur des services connectés de Michelin, qui propulse la division IoT du groupe.
Avec ce dernier, nous avons échangé sur la relation qui unit Michelin et Sigfox, qui a abouti à la naissance d'une société commune, Safecube, en début d'année. Nous avons voulu en savoir plus sur le développement de l'IoT au sein même du groupe, et avons évoqué son rôle d'équipementier en pneumatique du championnat de Formule E, avec les premiers kilomètres effectués par son pneu connecté dans la catégorie. Interview.
Réseau 0G : Sigfox veut "connecter un milliard d'objets connectés" sur son réseau (Interview)
Michelin, cap sur les pneus à destination des véhicules autonomes
Clubic : Quelle position adopte le groupe Michelin sur le marché des objets connectés ? Où en est-on ?Pascal Zammit : Chez Michelin, nous parlons de services connectés. Un objet est un moyen de développer de nouveaux types de service qui vont apporter de la valeur à nos clients et aux consommateurs.
Nous avons des convictions. La première est que nous rentrons dans une économie de l'expérience où la planète essaie de dépasser le produit pour des moments de mobilité, où les gens ont une relation avec le produit complètement différente. Les habitudes des citoyens du monde vont évoluer très fortement dans les prochaines années.
Le lien avec l'IoT est que le produit va perdre de l'importance, puisque c'est le moment de mobilité qui va devenir important. Il faut que les produits parlent et disent comment ils sont utilisés, pour qu'on puisse les adapter, dans leur design, aux besoins des usagers.
À partir de là, on commence à comprendre ce qu'est l'IoT, qui permet de faire parler les objets, d'en extraire des données, de les consolider et de les croiser avec d'autres objets, et d'adapter le service que je rends en temps réel à mon usager. Le marché 2019 de la mobilité connectée, au sens large du terme, c'est plus de 500 milliards d'euros de valeurs échangées sur le marché.
« Le pneu a quelque chose à dire dans le comportement d'un véhicule autonome »
Les enjeux sont colossaux donc ?
Michelin va au-delà des enjeux financiers. On a bien conscience que nous ne ferons pas des dizaines de milliards d'euros en services connectés. Mais le but du groupe est d'être incontournable dans la compréhension d'usage d'un pneumatique, qui est le seul organe qui est en contact avec le sol... Lorsque vous réfléchissez aux enjeux du véhicule autonome, le pneu a quelque chose à dire dans le comportement d'un véhicule autonome.
Nous sommes en train de développer des services qui nous permettront de vendre des modèles d'intelligence artificielle à des fabricants de systèmes autonomes qui permettent probablement d'apporter une valeur indispensable pour qu'un jour, peut-être, le niveau 5 des véhicules autonomes soit une réussite.
Aujourd'hui, nous disposons des technologies IoT et des algorithmes qui permettent de potentiellement diminuer le risque d'accidentologie. Imaginez l'impact que cela pourrait avoir ne serait-ce que pour les collectivités et leurs infrastructures ?
Depuis quand développez-vous des pneus connectés, au sens IoT du terme ?
Nous connectons nos pneumatiques depuis... 1986. Pas tous, certes, mais nous sommes le leader mondial des solutions connectées des mines, et améliorons la productivité des mines. En 1986, nous avons démarré avec des gens qui sont très proches de l'IoT Valley toulousaine.
« Nous connectons nos pneumatiques depuis... 1986 »
Michelin a plus d'un million de véhicules connectés, puisque nous sommes la quatrième flotte mondiale. Le pneu connecté, faire parler le pneu, c'est le challenge que nous avons. Michelin a pris le leadership pour imposer déjà un objet électronique dans le pneu, sous la forme d'une étiquette RFID. Nous plaçons à l'intérieur un TMS (Ndlr : Tire Monitoring System) qui va communiquer sur le réseau en Bluetooth par exemple. Et avec cela, nous développons des services.
Un partenariat stratégique avec Sigfox, pour résoudre la complexité de la chaîne logistique des conteneurs
Revenons à la collaboration avec Sigfox. En avril dernier, vous avez annoncé, ensemble et avec Argon Consulting, la création de Safecube, une nouvelle solution de suivi de containers, basée sur le réseau mondial 0G de Sigfox. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?C'est plus qu'un partenariat, puisque nous avons ensemble décidé d'investir dans une société commune. Cette solution est proposée aux personnes qui ont besoin de transporter des produits d'un point A à un point B, par bateau, et qui font face à un énorme problème de la complexité de la chaîne logistique, sur laquelle il y a un grand nombre d'acteurs et où chaque acteur optimise son propre problème. Nous insérons des trackers dans les conteneurs pour optimiser le chargement sur les bateaux par exemple.
La différenciation qu'apporte Safecube est d'avoir une chaîne one-to-one. Le tracker est là pour optimiser le problème du transporteur qui a besoin que son client, qui se trouve de l'autre côté de l'océan, soit complètement satisfait. Avec Sigfox, nous avons conclu ce partenariat parce que dans les faits, une puce est rajoutée à un produit (un conteneur, un pneu, une voiture...) et n'a aucune valeur pour un client dans l'absolu. La valeur que vous allez en tirer, c'est le traitement de la data que vous allez faire. Il faut avoir le tracker le plus bas possible en coût par rapport à l'usage que vous allez en faire. Nous nous sommes bien retrouvés là-dessus avec Ludovic Le Moan et Christophe Fourtet.
Michelin et Sigfox nouent un partenariat autour de la traçabilité des conteneurs maritimes
Sigfox parvient à résoudre beaucoup de problèmes. La valeur est de récupérer des informations d'objets. Dans le pneu, il nous faudra toujours un tag peu coûteux, peu consommateur en énergie etc.
« La Formule E, un laboratoire avec ses pneus 18'' »
Aujourd'hui, Michelin n'équipe plus la F1, mais la Formule E...
La nouvelle saison, qui a démarré les 22 et 23 novembre 2019 à Dariya, en Arabie Saoudite, voit tous les pneus êtres des pneus connectés. C'est une première mondiale. Nous avions proposé cette option à FIA à la fin du premier semestre, et avons reçu l'accord durant l'été, pour démarrer le projet fin août. Les tests ont eu lieu début novembre, avec succès. Nous avons su mettre ce projet sur les rails en seulement trois mois.
La pression du pneumatique influe énormément sur la performance du véhicule, parfois 1, 2 ou 3 secondes au tour. Les pneus connectés permettent de vérifier la pression de façon uniforme pour toutes les écuries. Et le niveau d'exigence est très élevé.
Avec des pneumatiques 13", la F1 n'a pour le moment pas d'intérêt pour nous (Ndlr : les pneus de F1 basculeront en 18 pouces dès 2021). La Formule E, elle, sert de laboratoire, puisque les pneus sont en 18''. Ils ont un format de pneu de monsieur tout-le-monde, ce qui nous permet d'apprendre énormément.
En juin dernier, nous avons aussi annoncé au Salon du Bourget, avec notre partenaire Safran, un pneu connecté pour train d'atterrissage. Fondamentalement, nous n'avons pas maîtrisé tous les usages. Mais la vérification de la pression des pneumatiques est obligatoire pour redécoller. La pression d'un pneu dépend de sa température, vous le savez bien. Lorsqu'un avion vient d'atterrir, la température du pneumatique est très élevée, sa pression aussi. Et pour pouvoir redécoller, l'avion doit attendre que la température et la pression baissent. Nos outils de machine learning permettront de réduire ce temps d'attente. Imaginez l'impact que cela pourrait avoir sur le secteur aérien à terme.
Merci Pascal Zammit pour votre temps !
Merci à vous.