De mémoire de journaliste, on n'avait jamais entendu le mot « cool » que lors de la conférence de presse organisée par le groupe Melty, éditeur d'un réseau de sites Web média tournés vers la tranche des 18-30 ans. Mais si l'on prône la cool attitude, à l'image de l'éternel jean basket du jeune patron, Alexandre Malsch (27 ans), on sait aussi faire tourner la boutique, comme en témoignent les annonces formulées mercredi : levée de fonds de 3,6 millions d'euros auprès d'investisseurs tels que Marc Simoncini, Fred & Farid ou Pierre Chappaz, développement d'un nouveau portail thématique et, surtout, une ambitieuse expansion à l'international, avec une ouverture vers l'Italie, l'Espagne et le Brésil en 2012. À l'heure où bon nombre d'acteurs de la presse s'interrogent sur leur avenir en ligne, Melty aurait-il trouvé la recette de la potion magique ?
La technique au service du média
Secret Story, Kate Middleton ou PSG : lorsqu'un sujet déclenche le tant espéré buzz, vous pouvez être sûr que vous trouverez un article qui l'évoque sur l'un des sites de la galaxie Melty. Et si le sujet est vraiment chaud, vous trouverez même sans doute trois, quatre ou cinq articles adoptant un angle, une titraille et un traitement différents, répartis sur les différents portails et soigneusement maillés de liens pointant vers les archives du réseau. Un exemple ? La victoire du PSG mardi soir permet au portail Meltyfood de titrer « PSG : Pour fêter la victoire du club, mangeons parisien ! ».
Dans les locaux de Melty, où travaille aujourd'hui une quarantaine de personnes, des écrans annoncent la couleur : sur l'interface interne du réseau sont affichés en temps réel les mots clé qui font l'actualité, enrichis d'un indice de popularité et assortis de données liées au trafic des différents sites. Baptisée Shape et réalisée intégralement en interne, la plateforme qui sous-tend les différents sites repose en effet sur des algorithmes qui calculent le potentiel en matière de référencement, la notoriété à un instant T ou la meilleure façon d'employer tel ou tel mot clé.
« Ils aident le rédacteur à choisir et optimiser ses contenus, puis à les diffuser le mieux possible », résume Alexandre Malsch. Dans son interface de publication, le rédacteur dispose ainsi d'indicateurs et de consignes liés au bon usage des mot-clés (quantité, position dans le texte) ou des liens hypertextes. Même l'heure de publication n'est pas laissée au hasard.
« Ces tableaux de bord servent de source d'inspiration aux rédacteurs. Ils leur permettent aussi de tester le potentiel d'un sujet », ajoute le jeune homme, selon qui l'outil est suffisamment puissant pour détecter une tendance en avance de phase : « on a détecté le groupe One Direction bien avant NRJ, dès leur sortie du X Factor anglais ».
Prééminence de la technique et réponse aux buzz du moment : la méthode évoque les fermes de contenu à la Demand Media, voie qu'avait un temps décidé d'explorer le groupe Wikio avant de faire machine arrière. Melty, qui revendique pleinement l'étiquette média, s'en défendrait toutefois vigoureusement. « Nous avons plusieurs rédacteurs en chef, une conférence de rédaction hebdomadaire et des journalistes passionnés », décrit ainsi Pascale Erblond, directrice des rédactions du groupe. Au delà de l'actu chaude écrite qui constitue l'essentiel de son activité, le réseau Melty s'est par ailleurs ouvert à la vidéo, à la Web radio et même à la production d'une web-série.
3 millions d'euros de CA en 2012
Les résultats sont là : « nous sommes le média leader sur les 18-35 ans avec nos sept portails Melty, et leader sur la cible 12-17 ans avec fan2.fr », affirme ainsi Alexandre Malsch (NDLR : fan2.fr est le fruit d'un partenariat conclu avec M6 Web, éditeur de Clubic.com). Le groupe revendique ainsi quelque 11 millions de visites sur le mois d'août dernier (source Médiamétrie eStat), auxquelles correspondaient environ 2,2 millions de visiteurs uniques en juin d'après le panel Médiamétrie Nielsen Netratings. « Environ 65% de nos visiteurs arrivent par Google », confie le cofondateur du groupe, le reste provenant pour l'essentiel des réseaux sociaux. « C'est nos contenus que nous voulons faire connaitre, pas forcément Melty en tant que tel », ajoute-t-il.
Une régie interne, aujourd'hui composée de cinq personnes, se charge de monétiser cette audience. Sa spécialité : la mise au point d'opérations spéciales ou de formats rompant avec les standards IAB, à l'image d'un habillage spécial en forme de timeline conçu pour Quicksilver qui aurait enregistré un taux de clic de l'ordre de 15%. Résultat des courses, le groupe revendique un chiffre d'affaires, émanant quasi-exclusivement de la publicité, de 1,2 million d'euros pour 2011, année de rentabilité (même s'il ne communique pas son résultat net). Il vise les 3 millions d'euros pour 2012 et prépare la déclinaison de son modèle à l'international.
Simoncini, Chappaz, Fred & Farid
Il disposera pour cela d'une nouvelle enveloppe de 3,6 millions d'euros, récoltés cet été lors d'une levée de fonds pilotée par Serena Capital (principal investisseur avec 3 millions d'euros), entouré de quelques pointures du Web : Marc Simoncini, fondateur d'iFrance et de Meetic, Pierre Chappaz, fondateur de Kelkoo puis de Wikio (et par ailleurs actionnaire historique de Melty), les publicitaires Fred & Farid et Nicolas Plisson (ex Canal+). Les investisseurs individuels se disent séduits par la fraîcheur de Melty, la jeunesse de ses équipes et désireux de les accompagner dans leur développement.
Melty indique de son côté avoir ouvert une première version italienne dans le courant de l'été, et prévoir la sortie des déclinaisons Espagne et Brésil d'ici la fin de l'année. « Nous visons 37 sites dans 10 pays d'ici 2016 », indique Alexandre Malsch, « d'après notre business plan, nous serons 256 à ce moment là ».
Les appétits expansionnistes n'empêchent pas le développement en France, où une partie des fonds levés servira d'ailleurs à muscler les forces de la régie publicitaire. Melty prépare ainsi le lancement d'un nouveau portail vertical, meltyXtrem, dédié aux sports de glisse et sports extrêmes, ainsi que le lancement d'un magazine papier décliné de son Melty Campus, réalisé en partenariat avec le quotidien Metro.
« Nous voulons devenir un média global, international et nativement multicanal », résume le jeune patron, qui dit considérer ses différents comptes Facebook et Twitter, ses applications mobiles ou son future environnement de TV connecté comme autant de médias devant pouvoir vivre leur vie à part entière.
« La conf2press de #melty me donne envi decrir mon papie com sa dan lezeko 2main », plaisantait mercredi matin notre confrère des Echos sur Twitter. S'il est clair que la recette Melty et ses papiers parfois un brin « légers » a de quoi arracher quelques haut-le-coeur aux journalistes formés à l'école traditionnelle (ainsi qu'à la majorité de ceux dont les cheveux commencent à blanchir, mais ils ne sont pas dans la cible), l'efficacité du modèle et la dynamique impulsée ne laissent pas indifférents.