Alain Goudey :"la musique est le parent pauvre du marketing"

Thomas Pontiroli
Publié le 15 octobre 2014 à 17h36
Alain Goudey est fondateur et directeur de l'agence en communication sonore AtooMedia et mène en parallèle des recherches à la Neoma Business School. Co-auteur de l'ouvrage Marketing sensoriel du point de vente, il revient pour Clubic Pro sur cet aspect du marketing souvent négligé par les marques.

Où en est le marketing sonore aujourd'hui ?

C'est assez compliqué d'avoir des chiffres. Le marketing sonore est un peu le parent pauvre alors que les marques ont la capacité de communiquer sur beaucoup de supports : applis mobile, accueil téléphonique, contenu de marque sur YouTube, vidéos d'entreprise, mini séries... Ces canaux se multiplient et constituent autant de supports sur lesquels on peut véhiculer une identité sonore. Le fait est que très peu de marques ont une démarche sonore en marketing. Le risque : créer des situations où leurs choix sont contre-productifs !


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Alain Goudey, AtooMedia.


On estimait en 2006 que 9% des 500 plus grosses entreprises américains avaient une vraie stratégie sonore - ce chiffre doit être de 15% maintenant. Les choses évoluent, il commence à y avoir prise de conscience sur le rôle du son dans la communication de marque. Cela s'explique par la multiplication des supports mais pas que. Le design visuel a mûri, et il est devenu dur d'innover. Le son permet alors de se différencier.

De quelles façons le son affecte les clients ?

Il existe quatre grands leviers : physiologique, comportemental, cognitif et affectif/émotionnel. Ceux que nous développons avec les entreprises sont les deux derniers. Pour une marque, sa mémorisation est capitale alors, au même titre qu'un logo ou une charte graphique, on va créer une identité sonore. On peut la voir comme un indice supplémentaire au service de la mémorisation. Nous ne parlons pas de réflexe pavlovien par contre, qui est plus dans une logique de manipulation, en association un réflexe automatique à une image.

Lors d'une présentation TedX, j'ai diffusé 11 identités sonores de marques différentes en 9 secondes. Il était frappant de voir à quel point on peut identifier une marque et son univers avec seulement quelques notes. Ce ressort, cognitif, est aussi employé par les galeries marchandes qui diffusent des musiques associées à Noël. L'autre levier utilisé relève de l'affect et des émotions. L'objectif est de développer un territoire émotionnel cohérent avec la marque afin de la classer parmi les sérieuses, élitistes, dynamiques, grand public et autres.

Pourquoi ne pas utiliser les autres leviers ?

Le physiologique vient en amont. Il est rare qu'une entreprise veuille absolument faire en sorte de changer l'attitude de ses clients lorsqu'ils pénètrent dans leur boutique. Ces approches sont en fait surtout adoptées dans le domaine de la santé, où l'on diffuse ses musiques calmes pour ralentir le rythme cardiaque et la respiration, afin de relaxer les patients pouvant être confrontés à un stress. Moins dans le marketing.

Le son n'influence pas toujours le comportement ?

Je mène des recherches académiques dans le marketing sensoriel, et j'ai constaté que le curseur entre les leviers physiologique et cognitif vient du niveau d'analyse. Toute musique a un impact physiologique. La difficulté est de le mesurer. Pour cela, on utilise la mesure de la conductivité de la peau, l'IRM, la fréquence cardiaque ou respiratoire afin d'établir le lien entre la musique et l'individu. L'effet physiologique va avoir un retentissement sur le cognitif et l'émotionnel. Les musiques lentes vont ralentir le rythme cardiaque.




Sur le Web, pourquoi est-ce le silence radio ?

Pendant très longtemps, Internet était limité par sa bande passante. Avant l'ADSL, il était compliqué de diffuser de la musique en ligne. Mais quand les débits se sont accélérés, on a eu un effet de rattrapage où beaucoup de sites de marque ont sonorisé leur page. Mais on ne peut pas sonoriser n'importe quelle page et n'importe comment, et c'est ce qu'on a eu... La norme était de diffuser des boucles de 30 secondes.

Alors pourquoi, aujourd'hui, presque aucun site digne de ce nom ne diffuse de la musique ? Le phénomène que nous avons constaté est que beaucoup de gens surfent depuis leur bureau. Soit leur poste de travail n'a pas d'enceintes, et cela ne sert à rien. Soit la diffusion d'une musique risquait de trahir ces personnes qui, du coup, ne travaillaient pas... Enfin, lorsqu'on surfe sur dix sites en même temps, cela pouvait vite devenir cacophonique. Même si les navigateurs gèrent les priorités sonores, passer d'une page à l'autre rapidement reviendrait à changer de musique aussi vite, ce qui serait mal vécu et ferait finalement fuir les visiteurs.

La question de sonoriser une page Web a pourtant du sens, surtout pour les sites à aspect communautaire, qui ont une notion de club. Lorsque ces musiques sont insérées en complément du discours de marque, par exemple sur les sites de ventes privées où une rhétorique est déployée autour des produits, avec des shootings photo très pointus, on est dans une consultation plaisir et pas fonctionnelle, donc pourquoi pas.

Mais est-ce que tout cela améliore les ventes ?

Les études ont montré que dans le secteur de la distribution, une bonne ambiance musicale pouvait améliorer en moyenne le chiffre d'affaires de 17%. A l'inverse, le silence peut détériorer les ventes jusqu'à 30%. Sur une bonne partie de nos 16 000 points de vente en Europe, nous n'avons pas juste testé l'ambiance musicale mais aussi les promotions diffusées à la radio. La différence est qu'au-delà de la musique, on amène des contenus éditoriaux et commerciaux en plus de l'ambiance : des promos, services, conseils, qui stimulent les ventes.

La numérisation des magasins est-elle un atout ?

La vraie question est qu'il y a deux façons d'appréhender l'ambiance sonore : sur l'ensemble du magasin ou en local, comme avec des écrans sonorisés. Avec la duplication des interfaces et tablettes, on multiplie d'autant les occasions de prendre la parole et d'avoir une approche sonore. Mais attention à la pollution sonore !


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