Zak Allal est un jeune médecin surdoué. Très sensible aux enjeux des technologies de rupture, il est de passage en France où il va tenter de recruter des dirigeants d'entreprises pour la prochaine rentrée, à la très particulière université de la Singularité. Après avoir été triés sur le volet et s'être acquittés de 35 000 euros de frais d'inscription, ils pourront suivre dix semaines de cours intensifs sur ce qui va bouleverser le monde.
Parmi les intervenants, Ray Kurzweil. Co-fondateur avec Peter Diamandis de la « SU » (Singularity University, en anglais), il est connu pour diriger l'ingénierie chez Google. Il l'est en fait beaucoup plus pour être l'un des « gourous » du transhumanisme, ce mouvement prônant l'amélioration de l'homme grâce à la technologie.
Pour Zak Allal, il ne faut pas caricaturer la technologie - Crédit : Zak Allal.
Sa simple présence invite à donner une teinte obscure à cette école de l'évolutionnisme par le high-tech. La rude sélection (80 retenus sur 3 000 candidats), et son élitisme y contribuent aussi. Une posture simpliste, selon Zak Allal, qu'il veut désamorcer fermement, et mettre à l'épreuve des faits : « D'abord, qu'est-ce que le transhumanisme ? Est-ce le cœur artificiel Carmat, comme on vient d'en tester en France, en fait partie ? »
L'homme qui vivra 1 000 ans, « une idée absurde »
Pour lui, ce mouvement « souffre des sorties de quelques illuminés ». Il le reconnaît, le discours radical de Ray Kurzweil ne fait pas que du bien. Mais il l'assure : dans le programme de la SU, ses interventions sont limitées aux échanges libres, où tout le monde y va de sa prospection. Pour le reste, la grille de cours aborde des « sujets concrets, dont les chefs d'entreprises devraient avoir conscience pour orienter leur stratégie ».Autre exemple : la fameuse phrase du fondateur de Doctissimo, Laurent Alexandre, selon lequel « l'homme qui vivra 1 000 ans est déjà né ». « Absurde », balaie Zak Allal. À la tête d'une start-up spécialisée dans la transplantation d'organes et l'espérance de vie, (soutenue par Peter Thiel), il préfère se concentrer sur les « évolutions techniques concrètes pour les professionnels, plutôt que sur les clichés de science-fiction ».
« Pour moi, le transhumanisme vu de France est un terme pour discréditer les évolutions technologiques venant des États-Unis. Mais lorsque cette innovation vient de France, l'opinion publique ne s'en émeut pas », enfonce-t-il. En tête, le médecin a le robot Rosa, de la société Medtech, dont la fonction est d'assister les neurochirurgiens. Plutôt que de rester « dans le déni » car, juge-t-il, ce progrès « adviendra quoi que l'on fasse », il choisit d'anticiper ces révolutions, les comprendre. Et via la SU, sensibiliser les hautes sphères.
Quand une imprimante menace l'identité d'un pays
Sans malveillance, il se rappelle s'être « amusé des réactions causées par Uber en France ». Un succès anticipé depuis longtemps dans son milieu. Il déplore un manque d'innovation, et la « méconnaissance » des pouvoirs publics sur l'impact de la technologie. Pour illustrer la soudaineté et la portée de certaines innovations dites de rupture, il prend l'exemple d'un chef pâtissier français qui doutait des capacités de des imprimantes 3D.« Cette personne était venue sur notre campus. Face à l'un de nos experts, elle a soutenu que l'impression 3D ne pourrait jamais rivaliser avec le savoir-faire d'un pâtissier. L'expert lui a démontré que c'était déjà le cas, en fait. D'ailleurs, on peut aussi imprimer des tissus humains (y compris en France), et de la viande ! Les yeux du chef, je les ai vus, se sont éblouis », raconte Zak Allal. Mais d'après lui, l'enjeu dépasse l'industrie.
L'impression 3D, ici, de chocolat, pourrait chambouler jusqu'à l'identité d'un pays - Crédit : EPSRC
La portée de son action veut être géostratégique. « Vous imaginez un pays comme la France, dont l'art culinaire, y compris la pâtisserie, rayonnent au niveau mondial et participent à son image et à son attrait touristique, perdre ce rang à cause d'une simple imprimante ? Si on n'anticipe pas ces technologies, si on n'essaie pas de les maîtriser, alors le pays peut courir à sa perte. » L'enjeu serait l'influence d'une nation.
Une antenne de l'université de la Singularité en France
Autre exemple du médecin : la cardiologie, qu'il connaît. « Il faut 14 ans d'études avant d'exercer ce métier. Avez-vous une idée de l'évolution technologique qui se passe pendant cette durée ? Quand l'étudiant débute son cursus, il n'imagine pas qu'à la fin, son métier pourra être automatisé ! Et il peut déjà l'être. » À la question de la destruction de métiers, Zak Allal rétorque, comme par le passé, que d'autres apparaîtront.Bien sûr, on peut se demander si cette université de la Singularité n'est pas tout simplement un nouvel outil, dans la batterie du « soft power » des États-Unis. Ou plus prosaïquement, un instrument d'influence pensé par Google. Sa mission serait d'infuser dans l'esprit des hauts dirigeants (aussi des artistes, comme le chanteur Will.i.am) le caractère inéluctable de ces avancées, mais sur lesquelles Google compte pour se développer.
Zak Allal sait qu'il y a forcément une part d'influence, mais dit que l'enjeu n'est pas là. Pour le représentant de la Singularity University en France, l'importance de ces questions tient à leur caractère exponentiel. C'est-à-dire que la technologie progresse de plus en plus vite, et qu'il est déjà trop tard pour se demander si elle est bonne ou pas bonne. Le but est d'accompagner ces ruptures. Et pour un État, de ne pas se laisser dominer.
Dans l'Hexagone, des cycles de conférences et des ateliers, un peu sur le modèle de TEDx, seront organisés par la SU à partir de 2017. Pas question d'importer les cours de l'université en France. Il s'agira simplement de sensibiliser le tout un chacun, sans sélection, à ces sujets. Zak Allal a profité de son passage en France pour rencontrer Kwame Yamgnane, cofondateur de l'école 42. Ils imaginent une école transversale des élites.
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