Le choix de la rédaction
Cette semaine, nous avons choisi de remettre en avant cette actualité. A l'heure où l'on entend le néologisme « uberisation » à toutes les sauces, il est intéressant de s'interroger sur les implications, particulièrement sociales, du modèle de fonctionnement d'Uber.
Cette semaine, nous avons choisi de remettre en avant cette actualité. A l'heure où l'on entend le néologisme « uberisation » à toutes les sauces, il est intéressant de s'interroger sur les implications, particulièrement sociales, du modèle de fonctionnement d'Uber.
Sur l'emploi, Uber a-t-il raison ? Le service de VTC a déjà répondu à l'action en recours collectif menée par quatre de ses chauffeurs californiens, qui demandent que leur soit reconnu le statut de salarié. La ligne de défense de Travis Kalanick, fondateur et PDG : « Uber n'est pas le patron, c'est l'algorithme qui décide. »
Le responsable est conforté dans son point de vue par une étude de chercheurs à l'institut Data and Society de l'université de New York, indique le Wall Street Journal. Uber emploie des logiciels « pour exercer un contrôle équivalent sur les travailleurs à un manager humain », conclut l'étude, pour le moins iconoclaste. Les algorithmes de l'entreprise utilisent des indicateurs de performance, de la planification, des suggestions de comportement, des prix dynamiques et une information asymétrique. Bref, un « substitut de manager ».
L'équipe de recherche a mené plusieurs entretiens avec des conducteurs, a étudié les messages sur des forums et a conclu qu'Uber - et les autres plateformes de l'économie du partage - se plaçait dans la branche des logiciels d'aide à la décision et de planification. Des outils de plus en plus utilisés par Starbucks pour aider les responsables à gérer l'organisation et le comportement des employés. Uber, lui, les a automatisés.
Le boss, c'est aussi le client
« Les robots ne volent pas votre emploi, ils deviennent votre patron », écrit le Wall Street Journal, selon qui ces algorithmes se distinguent des patrons humains par une surveillance plus profonde, et systématique. De la même façon qu'un manager, l'algorithme évalue les travailleurs - mais ne lui demandons pas de prendre en compte des éléments relevant trop de l'humain, comme le stress, une maladie... pour pondérer sa note.Dans le cas d'Uber le patron est aussi, un peu, le client qui attribue la note, et poste des commentaires. « Le client d'abord », telle est la devise de Travis Kalanick et de la plupart de sociétés de la Silicon Valley. La plus emblématique est sans doute Amazon qui s'échine à satisfaire ses clients, car c'est la meilleure publicité. Ce pouvoir au consommateur, les chercheurs de l'institut le qualifient de « management intermédiaire ».
S'agissant des missions, personne ne dit jamais aux conducteurs de conduire. C'est le logiciel qui émet cet « ordre ». Encore une fois, il est le résultat indirect de la commande du client. Les chercheurs ajoutent que l'algorithme n'est pas qu'un outil passif car il manipule l'offre de travail. Il façonne le marché. En effet, le logiciel sait où se trouvent les chauffeurs et quand ils travaillent, et adapte leurs courses en anticipant la demande. Si bien que certains veulent le feinter, comme un employé ne voulant pas tout dire à son boss.
Une relation ambivalente
Le problème est que d'un côté, Uber présente ces chauffeurs comme des indépendants (et ils le sont) libres de partir s'ils ne sont pas satisfaits de la plateforme. De l'autre, l'application les astreint à accepter toutes les courses, même si ce n'est pas rentable. Libres et à la fois contraints. Une relation asymétrique qui profite au consommateur. Où les algorithmes prédictifs rendent les vies des chauffeurs paradoxalement imprévisibles.Maintenant, la balle est dans le camp de la justice californienne qui doit donner suite, ou non, au recours collectif - qui ne concernerait que quelques milliers de chauffeurs dans cet État. La question de fond est : à partir de quand un logiciel passe du statut d'outil à celui d'employeur - car donneur d'ordre. Le risque est la consécration du patron robot sur une pirouette sémantique. Et que la vague de l'« uberisation » déferle.
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