Interview Drupal : retour sur l'aventure du CMS open source

Guillaume Belfiore
Par Guillaume Belfiore, Rédacteur en chef adjoint.
Publié le 25 mai 2012 à 08h11
Avec une communauté de plus de 630 000 développeurs, dont plus de 16 000 en France, Drupal est l'un des leaders du marché du CMS (outil de gestion et de publication de contenus) et a su développer un modèle économique articulé autour de l'open source. C'est la société Acquia, fondée en 2007 et comptant 200 salariés à travers le monde, qui propose ses diverses solutions en ciblant principalement les entreprises. En France, Acquia est dirigée par Cyril Reinard et compte parmi ses clients la SNCF ou LaPoste. Aujourd'hui Drupal serait utilisé sur 1,5 million de sites web dont plus de 11 000 en France.

De passage à Paris, Dries Buytaert, le créateur de Drupal, a accepté de répondre à nos questions.

Comment se positionne Drupal sur le marché mondial des CMS ?

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Dries Buytaert : Il existe des centaines de CMS. Aujourd'hui un site sur cinquante utilise Drupal. C'est l'un des CMS les plus importants et seul Wordpress possède une part de marché plus élevée. Drupal se placerait donc en seconde position. En revanche nous ne sommes pas vraiment en concurrence avec Wordpress. Typiquement Wordpress est pensé pour les sites plus petits et nous nous focalisons sur les sites plus complexes.

Et quid de Joomla ?

D.B : Wordpress cible les blogs, des sites très simples. Pour sa part Joomla peut être utilisé pour des sites plus importants mais toujours bien moins complexes que Drupal. Nous sommes davantage en concurrence avec des solutions propriétaires comme Adobe CQ5, SiteCore et plein d'autres.

Et il y a de la place pour tout le monde ?

D.B : Aujourd'hui 70% des sites n'utilisent pas de CMS. Il s'agit de vieux sites conçus avec Dreamweaver, avec un framework développé en interne ou simplement à la main. Pour nous c'est une énorme opportunité par ce qu'à terme ces sites migreront vers un CMS.

Pour quelles raisons migreraient-ils ?

D.B : Je pense que ces sites vont soit disparaître, soit devoir migrer leur contenu vers un CMS. La plupart des gens veulent un rafraîchissement de leur site parce que le web évolue avec le déploiement de HTML5 ou des sites mobiles. Ils ont donc besoin d'optimiser leurs pages à cet effet et c'est précisément ce qu'un CMS peut leur apporter.

Pourriez-vous revenir sur le modèle économique d'Acquia ?

D.B : Nous avons une stratégie en trois axes. Nous avons une offre de support baptisée Acquia Network pour les gros sites souhaitant une équipe de support à n'importe quelle heure. Ce sont à la fois des experts qui apportent leur aide mais également des outils par exemple pour effectuer des audit automatisées pour la sécurité, les performances ou l'optimisation du référencement.

Nous proposons également Acquia Cloud qui est notre solution de Platform-as-a-Service basée sur Amazon EC2. Nous sommes donc en mesure de gérer l'infrastructure mais nous développons également des outils de production permettant de mieux manipuler les sites sur Drupal. Cela offre beaucoup de flexibilité pour les développeurs.

Enfin nous avons Drupal Gardens qui est une solution de type Software-as-a-Service. C'est une application web ne nécessitant aucun téléchargement.

L'offre Drupal Gardens cible-t-elle uniquement une clientèle professionnelle ?

D.B : Oui parce que beaucoup d'entreprises ont des centaines de petits sites à gérer. Par exemple s'ils organisent un événement ou le lancement d'un produit ils mettent généralement en place des sites dédiés. Ils ont donc besoin d'en faire plusieurs très rapidement tout en ayant accès à plusieurs fonctionnalités particulières, de type communautaires par exemple.

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Songez-vous à ouvrir un app store avec des extensions payantes ?

D.B : Plus ou moins. On peut dire qu'il y a un app store sur Acquia Network. En plus du support et des services d'audit nous avons une vingtaine de produits et certains d'entre eux reposent sur des travaux de développement effectués par des parties tierces. Nous négocions avec les développeurs puis partageons nos revenus avec ces derniers.

Il n'y a pas d'app store sur Drupal.org. La communauté est en train d'y réfléchir mais nous ne sommes pas sûrs que cela soit très logique.

Selon vous, les CMS propriétaires ont-ils une chance de s'imposer sur le marché ? Quel est l'intérêt de contrôler le code source d'un CMS ?

D.B : Non ils vont mourir. Beaucoup d'entre eux n'existent déjà plus. Il n'y a aucun intérêt à avoir une solution propriétaire. Les avantages de l'open source sont bien trop nombreux. Nous avons réussi à former une très grande communauté. Des dizaines de milliers de gens vivent en développant pour Drupal et autant d'entre eux contribuent au projet.

A titre de comparaison, ces concurrents, même les plus gros, doivent posséder une équipe d'une cinquantaine d'ingénieurs, pas plus. L'innovation apportée par les développeurs de Drupal fait donc l'effet d'un tsunami. Nous avons par exemple 15 000 extensions et ces dernières sont développées très rapidement. Après le lancement de Google+ il n'a fallu que 24 heures pour voir une extension spécifiquement conçue pour Drupal. Il existe déjà un module pour Pinterest. Je serais prêt à parier que ces intégrations n'existent pas pour les CMS propriétaires. Ils ne peuvent tout simplement pas concurrencer notre rythme de développement et l'innovation sur le web.

Au final, c'est donc Drupal qui a gagné et les sociétés développant des solutions propriétaires commencent à changer de stratégie en diversifiant leurs activités. Mais avec Acquia nous irons également les concurrencer sur ces autres domaines.

Selon vous quelle a été la fonctionnalité la plus importante apportée par Drupal 7 ? Est-ce la gestion de plusieurs types de bases SQL ?

D.B : Cet aspect a effectivement permis à des sociétés ne disposant pas de bases MySQL d'adopter Drupal. Cela a d'ailleurs faire croître notre part de marché. En revanche je pense que la fonctionnalité principale de Drupal 7 était sa simplicité d'ergonomie. Il est beaucoup plus simple de produire son site. Par exemple pour la création de 100 000 sites cela a été deux fois plus rapide qu'avec Drupal 6. La taux d'adoption a donc été 200% plus rapide. Cela devrait d'ailleurs se traduire par une forte croissance de Drupal.



Pourriez-vous nous parler de la prochaine version, Drupal 8 ?

D.B : Nous espérons sortir Drupal 8 l'été prochain, donc dans environ 15 mois. Nous nous concentrons principalement sur la mobilité avec la prise en charge des applications natives pour iOS ou Android. Nous travaillons également sur les technologies du HTML5 pour des applications web mobiles avec un agencement dynamique des pages web en fonction de la taille de l'écran.

Aussi, nous simplifierons encore plus la prise en main du CMS afin de répondre à la demande de nos clients qui veulent quelque chose à la fois de très complet mais aussi très simple à utiliser. Enfin nous moderniserons le coeur de Drupal pour le rendre plus léger et plus rapide. Nous ferons usage du framework Symfony en version 2.0. Et les développeurs vont adorer ça !

Avez-vous eu des soucis de vulnérabilités comme Wordpress par exemple ?

D.B : Je pense que Drupal est l'un des CMS les plus sécurisés. Il est même utilisé par le site de la Maison Blanche et ce dernier est soumis à plusieurs tentatives de hacking. Mais ils n'ont jamais réussi leur coup ! Chaque modification du code de Drupal est passée en revue par d'autres développeurs contribuant au projet.

En ce qui concerne Wordpress, ces vulnérabilités sont logiquement dues à une erreur de développement. Mais Wordpress est très populaire et cela en fait une cible privilégiée.

N'importe quel développeur spécialisé dans PHP/MySQL peut-il coder sur Drupal ?

D.B : Oui, n'importe qui peut se familiariser avec Drupal. Cela prend un peu de temps parce que la plateforme est assez importante et présente plusieurs aspects. Si vous connaissez PHP et MySQL vous serez rapidement efficace mais il y a plusieurs composants que vous devrez maîtriser. Drupal est très complet mais de ce fait c'est également un produit très complexe. Par contre il n'est pas nécessaire de connaître toutes les caractéristiques avant de se lancer.

L'évolution de Drupal consiste-t-elle à intégrer directement les extensions populaires ou au contraire à amincir le coeur de la plateforme ?

D.B : Le coeur de Drupal tend à grossir. Le mode de développement est assez darwiniste. Parmi toutes ces extensions, les meilleures sont privilégiées. Certaines sont si populaires que quasiment tout le monde les utilisent. C'est à ce stade que nous intégrons ces fonctionnalités directement dans le coeur de Drupal. On a par exemple embarqué des outils d'optimisation pour le référencement ou d'autres facilitant le développement de modèles de publication.

Je vous remercie.
Guillaume Belfiore
Rédacteur en chef adjoint
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