Rares sont ceux qui pouvaient s'imaginer qu'Oculus VR deviendrait un jour la propriété du réseau social Facebook, plutôt habitué à lorgner du côté des applications Web et mobiles. Pourtant, le rachat en question a été annoncé mardi 25 mars, pour environ 2 milliards de dollars. La nouvelle, qui a d'abord étonné les internautes, a ensuite entraîné moult questionnements, notamment liés à la campagne de financement participatif qui a lancé la machine en 2012, en rassemblant pas moins de 2,4 millions de dollars.
Pas de retour sur investissement
Le point important à souligner immédiatement : les 9522 backers, qui ont donné de l'argent à Oculus VR en 2012 pour le lancement de la production de l'Oculus Rift, ne toucheront rien du rachat de la start-up par Facebook. Rappelons que Kickstarter ne propose pas de retour sur investissement financier aux backers, qui donnent de l'argent en échange de contreparties physiques ou virtuelles.
Toujours en ligne, la page de la campagne explique que l'objectif de cette dernière était de lancer la production de l'Oculus Rift. La levée de fonds participative a eu un succès colossal, multipliant par 10 les espérances des créateurs du dispositif, qui espéraient récolter 250 000 dollars. Le lancement de l'Oculus Rift a bien eu lieu fin 2012, et les backers ont, depuis, reçu leurs contreparties. A priori, donc, le rideau n'a plus de raison de se lever à nouveau sur cette campagne.
« Si j'avais su, je n'aurais rien donné »
Seulement, les backers, qui se considèrent comme le soutien originel d'Oculus VR, ne l'entendent pas de cette oreille. Sur la page des commentaires de la campagne Kickstarter, certains ne décolèrent pas. « Je n'aurais pas donné un seul centime de mon argent pour l'Oculus si j'avais su que vous alliez le vendre à Facebook. Vous nous avez tous vendus » écrit un investisseur. « J'espère que ça va se retourner contre vous. »
« Merci de nous vendre, Palmer ! Vous n'auriez pas pu choisir pire entreprise. Pourquoi ne pas aussi faire équipe avec la NSA... malheureusement, j'ai soutenu cette entreprise. Je ne referai pas une telle erreur » écrit un autre backer en s'adressant directement au fondateur d'Oculus VR, Palmer Luckey.
Les messages s'accumulent par centaines, aussi bien sur Kickstarter que sur Reddit, où Palmer Luckey s'est d'ailleurs exprimé. La tendance est générale : les investisseurs affichent le sentiment d'avoir été berné. « A quoi a servi le Kickstarter si c'était pour que vous vous vendiez à une énorme entreprise comme Facebook ? C'est très décevant » ajoute un investisseur. Un état d'esprit qui résume bien le sentiment de frustration qui se fait ressentir dans la communauté.
Le paradoxe du financement participatif
A bien y réfléchir, il y a fort à parier qu'Oculus VR n'aurait pas autant capté l'attention si sa campagne de financement participatif n'avait pas été autant médiatisée. Et vice-versa : sans une mise avant aussi conséquente, peut-être que la somme de 2,4 millions de dollars n'aurait pas été atteinte. Dans tous les cas, les ingrédients ont été réunis pour que l'Oculus Rift soit un succès avant même sa sortie, d'autant que le casque de réalité virtuelle est, encore aujourd'hui, théoriquement restreint à la communauté des développeurs.
Ce qui frappe dans les messages laissés sur Kickstarter, c'est le réflexe qu'ont un bon nombre d'investisseurs à s'approprier la firme : « Vous nous avez vendus » est une tournure de phrase qui revient souvent. Car Oculus VR, comme d'autres entreprises qui font le choix de financer leurs créations par le biais du crowdfunding, a appelé les backers éventuels à prendre part au projet. Sans l'argent des internautes, l'Oculus Rift n'aurait peut-être pas vu le jour. « Il est possible qu'Oculus VR soit allé en direction de Kickstarter car c'était le seul choix à leur disposition » commente l'analyste de Gartner Brian Blau chez CNET. Ce genre de cas n'est pas rare : récemment, Michel Thomazeau, le fondateur du studio français Cubical Drift, nous expliquait qu'il n'avait pas eu d'autres choix que de lancer le financement de son jeu Planets³ sur Kickstarter, car tous les investisseurs lui avaient claqué la porte au nez.
Les investisseurs de la première heure estiment donc être à l'origine du succès d'Oculus VR. Ils ont été intégrés dans le projet, aussi bien en terme financier qu'en terme créatif, car le contenu compatible avec l'Oculus Rift est conçu principalement par la communauté de développeurs. Le sentiment de trahison est donc bien présent, et le fait que ce soit Facebook, une entreprise tentaculaire et de plus en plus touche-à-tout dans le secteur du high-tech qui soit à l'origine du rachat n'arrange pas les choses.
« La campagne la plus lucrative de Kickstarter »
Pour Brian Blau, Oculus VR pourrait rentrer dans l'Histoire en tant qu'entreprise ayant le mieux réussi suite à une campagne sur Kickstarter. La start-up n'est cependant pas la première à être rachetée par un grand groupe suite à une démarche de financement participatif : on peut notamment citer TT Design Labs, racheté par Logitech en juin 2013. Mais jamais un rachat d'une entreprise ayant débuté sur Kickstarter n'avait atteint une telle somme.
En théorie, la communauté devrait se réjouir d'un tel succès, et d'avoir permis à une entreprise prometteuse de prendre son envol. Mais en pratique, le sentiment d'avoir aidé une start-up à garder son indépendance en l'aidant financièrement, pour qu'elle soit rachetée deux ans après par un géant du Web aux liens flous avec le secteur de développement initial pourrait bien l'emporter. Reste désormais à savoir ce que Facebook réserve à Oculus VR, et si les développeurs seront toujours au rendez-vous pour l'Oculus Rift DK2, le nouveau casque de l'entreprise, actuellement en précommande.