Lorsque David Schwarz a pris les commandes de la division e-commerce chez Carrefour à l'automne 2012, il a trouvé une plateforme en pleine recomposition, et fraîchement adossée à Pixmania, dans l'espoir de se relancer. Malgré son chiffre d'affaires supérieur à celui d'Amazon, le géant de la distribution a un talon d'Achille : son site de vente en ligne. Un retard que le responsable e-commerce espère combler en partie en plaçant le client, et ses avis, au cœur de sa stratégie.
Dans cette optique, l'enseigne s'est mise à recueillir les avis de ses clients en ligne à l'aide de la plateforme en SaaS Bazaarvoice. L'intérêt des avis réside dans leur haut niveau de crédibilité auprès des autres clients : 90% des internautes leur font davantage confiance que les discours marketing. Attestant de la satisfaction - ou non - sur un produit ou un service, ils peuvent être redoutables comme label de confiance pour un site. Mieux, le client satisfait peut devenir un prescripteur actif et en attirer d'autres, via le bouche à oreille.
L'intérêt des avis clients
David Schwarz explique que sa décision a été guidée par la volonté d'influencer les consommateurs sur les canaux, ce qui est le principe élémentaire. L'autre but recherché, avance-t-il, est de pouvoir, après analyse de ces avis, mieux comprendre les besoins des internautes pour adapter l'offre produit ensuite. Comme outil d'aide à l'e-réputation, l'avis client sert aussi à Carrefour à identifier les « crises » afin de les désamorcer.« Grâce à cela nous avons pu observer que même les articles de marque ont parfois fait l'objet de mauvais buzz car les clients étaient déçus sur le produit lui-même, le package ou bien la qualité de service », affirme David Schwarz. « Dans ce cas, on compare les retours avec ceux d'autres distributeurs et on s'adapte. »
Carrefour utilise également les messages des internautes pour personnaliser son discours en utilisant les clients satisfaits comme ambassadeurs, mais « avec pragmatisme et sans en faire des tonnes ». Enfin le responsable e-commerce espère à terme créer des communautés en ligne autour de passions ou de centres d'intérêt communs, comme la puériculture ou la gastronomie, qui sont « les plus évidents » selon lui.
Remonter les avis du point de vente
Aujourd'hui Carrefour affiche sur son site 35 000 avis clients et espère dépasser la centaine de millier prochainement. Dans cet ensemble, 70% proviennent des e-mails envoyés à l'acheteur après la transaction, 20% proviennent des partenaires de Bazaarvoice et enfin 10% sont liés à des contributions spontanées. « La difficulté est que l'e-mail après l'achat en ligne uniquement n'est pas suffisant pour rattraper notre retard », confie David Schwarz. L'astuce pour gagner en volume a été d'étendre le concept aux clients en boutique.Une initiative qui a apporté son lot d'enseignements. « Les avis récoltés dans nos hypermarchés sont en fait sensiblement les mêmes que ceux provenant du site Internet », affirme le responsable e-commerce. « Nous ne l'expliquons pas, mais il y a même de meilleurs retours des magasins. Je pense que c'est lié au profil des consommateurs qui se rendent sur le point de vente, qui sont traditionnellement plus engagés, ou bien aussi parce que Carrefour jouit d'une tendance positive quant à son image », essaie d'expliquer David Schwarz.
Lorsqu'ils sont positifs, ces avis peuvent rassurer le commerçant. Mais quand ils sont négatifs ? De manière générale, le vice-président des ventes de Bazaarvoice en France, Thibaut Ceyrolle estime leur proportion à une dizaine de pourcents. S'ils sont constructifs, ces retours contribueront à l'amélioration du produit ou du service. Et attention, car ils sont peut être mal notés par les amateurs, mais bien notés par les experts.
Étendre le concept à l'alimentaire
« C'est l'étape suivante. » Le sujet ne fait pas consensus car tout le monde au sein du groupe n'en voit pas forcément l'intérêt, mais le responsable du commerce en ligne (non alimentaire) de Carrefour en est convaincu : les avis clients peuvent être récoltés sur des produits alimentaires. David Schwarz soutient : « A ceux qui se demandent ce que le client peut en avoir à faire de savoir qu'une boîte de petits pois a obtenu quatre étoiles sur cinq, je leur réponds que cela ne peut pas faire de mal, et qu'on aura des surprises. »Dans le champ des possibles, le dirigeant évoque l'hypothèse, à terme, de croiser les avis avec les magasins. C'est peu probable que cela advienne sur le court terme, pour des raisons techniques et organisationnelles, mais pourquoi pas imaginer que les retours clients éclairent les points de vente sur les actions à mener, comme mettre en valeur un produit dont les performances seraient anormalement sous la moyenne. A son sens, un tel système viendra le jour où il pourra être intégré sans avoir besoin de recourir à des analystes.
Les évolutions du retour client
Autre piste : afficher les avis clients en tête de gondole. « J'en rêve ! », lance David Schwarz. Mais, réaliste, explique que la réglementation dans une boutique « brick & mortar » est plus contraignante que sur Internet. « Il faudrait que ces avis soient traçables, vérifiables, opposables... car un client doit pouvoir les contredire. Bref ils seraient soumis à la double règlementation de la publicité et de la consommation », souligne David Schwarz. Aux États-Unis, cette pratique est répandue. En France, ce serait une question de temps.Est également admise, outre-Atlantique, la possibilité pour un consommateur interpeller directement une marque via le distributeur. Dans cette veine, le service français Critizr met en lien direct un client mécontent avec le gérant d'un établissement, sans avoir à passer par un service après-vente. Mais en attendant ces évolutions, Carrefour a d'autres priorités pour mener à bien sa mue numérique.