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Avec le Digital Markets Act (DMA), qui entre dans sa dernière phase d'adoption, la législation sur les marchés numériques en Europe va enfin entrer dans une nouvelle ère.

Posé sur la table de l'Union européenne en décembre 2020, le Digital Markets Act (DMA), un texte devant devenir la référence dans la zone en matière de prévention des abus de position dominante des géants du numérique, a abouti à un accord politique provisoire entre le Conseil de l'Union européenne, présidé par la France, et le Parlement en fin de semaine. Cet accord provisoire, qui rapproche un peu plus le DMA d'une adoption définitive, a été salué par la France, la Commission européenne ou encore certains acteurs du numérique, comme Mozilla. Entrons dans les détails de cette future réglementation XXL.

L'UE valide les conditions faisant basculer les géants du numérique dans le cadre applicatif du DMA

« Ce que nous voulons est simple : des marchés équitables également dans le numérique ». Avec ces mots, Margrethe Vestager, Vice-présidente de la Commission européenne, a bien résumé l'esprit de cette législation sur les marchés numériques. Mais c'est évidemment en réalité un petit peu plus compliqué. L'idée générale du texte est de définir des règles claires pour les grandes plateformes en ligne. Les instances de l'UE ne veulent plus que les géants du numérique qui ont une activité au sein de l'UE ne se trouvent dans une position de contrôleur d'accès vis-à-vis des utilisateurs, ni qu'ils abusent de cette position au détriment d'entreprises qui souhaitent, aussi, accéder à ces utilisateurs.

Quelles plateformes numériques seront considérées comme des « contrôleurs d'accès » ?

Le Conseil (donc les États membres) et le Parlement européen se sont mis d'accord autour des grands principes. Un contrôleur d'accès devra avoir réalisé un chiffre d'affaires annuel d'au moins 7,5 milliards d'euros au sein de l'Union européenne, dans les trois dernières années. Il peut aussi faire état d'une valorisation boursière d'au moins 75 milliards d'euros. Ces deux conditions ne sont pas cumulatives : les revenus seuls peuvent être retenus, la valorisation boursière également (ce qui ne fait pas les affaires d'une entreprise comme Airbnb, valorisée à plus de 100 milliards de dollars, mais dont le chiffre d'affaires est loin d'atteindre les 75 milliards d'euros annuels).

Ensuite, outre cette condition économique, la base minimale d'utilisateurs finaux mensuels requise pour être considéré comme un contrôleur d'accès est de 45 millions, avec au moins 10 000 utilisateurs professionnels établis dans l'UE. Le DMA touchera donc les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), mais aussi d'autres grands acteurs du numérique, comme Netflix ou Uber.

Les plateformes devant contrôler un ou plusieurs services de plateforme de base dans au moins trois États membres, le texte pourra s'étendre à d'autres marketplaces, boutiques d'applications, moteurs de recherche, services de publicité, assistants vocaux, services Cloud, réseaux sociaux, navigateurs web ou téléviseurs connectés. Et une catégorie de « contrôleur d'accès émergent » sera aussi créée, pour imposer certaines obligations aux entreprises qui font preuve d'une position concurrentielle, sans qu'elle ne soit encore durable.

Ce que pourront faire et ne plus faire les « contrôleurs d'accès »

De nombreuses obligations pèseront sur les contrôleurs d'accès. La première sera de permettre aux utilisateurs de se désabonner des services des plateformes, dans des conditions similaires à l'abonnement. Se désabonner devra donc être aussi simple que s'abonner. Autre obligation : les éditeurs/développeurs des logiciels les plus importants (de type navigateur web par exemple) ne pourront plus imposer leurs outils par défaut lors de l'installation d'un système d'exploitation.

Les contrôleurs d'accès devront aussi permettre aux développeurs d'applications d'accéder aux fonctionnalités auxiliaires des smartphones (comme les puces NFC) dans des conditions équitables, et donner aux vendeurs l'accès à leurs données de performance marketing ou publicitaire. Le DMA imposera également aux entreprises visées d'informer la Commission européenne de toute acquisition ou fusion réalisée.

À côté des obligations entérinées, il y a les comportements auxquels les acteurs du numérique ne pourront plus se livrer, comme le fait de réutiliser les données personnelles collectées lors d'une prestation, pour les besoins d'une autre prestation. De même qu'ils ne pourront plus classer leurs propres produits ou services de façon préférentielle par rapport à leurs concurrents. Le DMA mettra définitivement fin à la préinstallation de certaines applications logicielles et empêchera les géants d'imposer aux développeurs d'applications l'utilisation de certains services (comme un système de paiement) pour être référencés dans les boutiques d'application.

Des sanctions très lourdes, et le pouvoir de la Commission européenne

Dans le cas où une entreprise concernée par le DMA vient à enfreindre une ou plusieurs de ses dispositions, celle-ci risque une amende pouvant aller jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires mondial total, ce qui équivaut ici à des milliards d'euros. Et en cas de récidive, cette amende peut grimper jusqu'à 20 % du chiffre d'affaires mondial. La pire de situation sera celle où un acteur aura enfreint de façon systématique le DMA (au moins trois fois en huit ans). Là, la Commission européenne aura toute la liberté d'ouvrir une enquête de marché et d'imposer des mesures correctives comportementales ou structurelles.

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C'est d'ailleurs l'autorité bruxelloise qui sera l'instance habilitée (et la seule !) à faire appliquer cette future réglementation. Un comité consultatif et un groupe à haut niveau seront mis en place pour assister la Commission et faciliter son travail. Les États membres pourront, de leur côté, habiliter les autorités nationales de concurrence pour qu'elles puissent ouvrir des enquêtes suite à de potentielles infractions, qui seront ensuite remontées auprès de la Commission.

Et alors que le Conseil et le Parlement européen doivent approuver de façon définitive le DMA (qui ensuite serait mis en œuvre dans un délai de six mois après son entrée en vigueur), l'UE se concentre aussi sur le second texte appelé à devenir l'autre pilier de régulation, le Digital Services Act (DSA), qui lui concerne davantage les contenus transitant par les grandes plateformes numériques. Un accord est aussi attendu rapidement, avec une UE qui se veut confiante.

Les réactions 🎙

« Grâce à une application efficace, les nouvelles règles apporteront une contestabilité accrue et des conditions plus équitables pour les consommateurs et les utilisateurs professionnels, ce qui permettra plus d'innovation et de choix sur le marché ».

Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur

« L’Union européenne a été amenée à prononcer des amendes record ces dix dernières années contre certaines pratiques commerciales néfastes des très grands acteurs du numérique. Le DMA permettra d’interdire directement ces pratiques et créera un espace économique plus équitable et contestable pour les nouveaux acteurs et les entreprises européennes (…) L’Union européenne est la première à agir de manière aussi décisive en ce sens et j’espère que d’autres nous rejoindront bientôt ».

Cédric O, secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques

« Aujourd'hui, le législateur européen a envoyé un signal clair : les géants ne doivent pas saper la concurrence fondée sur le mérite. Le Digital Markets Act (DMA) de l'UE donne aux consommateurs et aux entreprises plus de liberté pour déployer et utiliser une variété de logiciels qui peuvent façonner nos vies de manière décisive. Nous voulons d'abord féliciter le législateur de l'UE pour la rapidité et l'ambition dont il a fait preuve en adoptant ces règles. Cependant, nous souhaitons rester en alerte et ne pas nous reposer sur nos lauriers. Nous devons maintenant veiller à ce que ces règles soient mises en œuvre et appliquées de manière solide et efficace. Les internautes méritent d'avoir à disposition une variété de produits personnalisés selon leurs préférences et localisés dans leurs communautés (…) » .

Mozilla